Transport & tourisme durable au Québec – Partie IV: marketing durable & communication responsable, par Jean-Michel Perron

Transports, Tourisme durable · · Commenter

Dernier d’une série de 4 articles sur le transport et le tourisme durable

REM sur le pont Champlain

Le transport représente les 3/4 des émissions carbone du tourisme. Après avoir analysé l’impact de l’auto solo et ses alternatives, la nécessité pour le Québec de se doter de réseaux performants et écologiques de transport en commun régionaux et de mettre de l’avant dans nos villes des options durables de mobilité douce et durable, échangeons aujourd’hui sur la nécessaire équation entre des transports durables et nos façons de se vendre et de communiquer, à titre de destination touristique ou d’entreprise en tourisme.

Marketing durable[1]

Il est heureusement révolu le temps où nous mesurions la performance d’une destination ou d’une PME touristique que sur la base de ses volumes (visiteurs/recettes) et de la profitabilité à court terme. On assume de plus en plus nos responsabilités vis-à-vis la qualité de vie de nos concitoyens, de nos employés et de la biodiversité qui nous entoure ou qu’on impacte par nos achats. Nos objectifs changent (surtout en lien avec les ODD[2] rattachés au tourisme) et par conséquent, notre marketing doit aussi se transformer afin d’informer, se positionner et influencer nos visiteurs, nos employés et nos multiples partenaires comme je l’écrivais ICI en mars 2022 dans TourismExpress.

On peut donc définir le marketing durable en tourisme comme la promotion et la communication de votre positionnement, de vos valeurs, de vos offres touristiques et de vos pratiques – auprès de chacune des parties prenantes – qui impactent positivement les dimensions environnementales, sociales et économiques de la destination ou de l’entreprise.

Nous entrons dans une ère de communication et de promotion responsables, abandonnant ainsi volontairement le volet de base de la «vente» d’expériences, de séjours et de forfaits.

Plus facile à dire qu’à faire, lorsque nous sommes en pleine contradiction sur de multiples volets[3]  dans notre actuelle mise en marché:

  • Gaz à effet de serre (GES) : aller chercher des clientèles internationales, génératrices «d’argent neuf», alors qu’une partie importante d’entre elles arrive en avion et que les flux aériens représentent 41% des GES du tourisme (% en France, aucune donnée disponible pour le Québec)…
  • Encourager les clientèles touristiques à utiliser les transports en commun, alors que le service (qui est pensé pour les résidents et non pour les touristes[4]) et l’expérience offerte ne sont pas toujours à la hauteur, donc peu attractifs
  • Respect de la nature, de la biodiversité : valoriser, dans les promotions des destinations, la nature sous toutes ses formes, alors même que l’on sait que les espaces naturels sont fragiles et peuvent souffrir d’un trop grand volume de visiteurs
  • Respect de la qualité de vie des résidents : valoriser des produits d’appel (les «incontournables de la destination») en sachant que l’on va générer des espaces de surfréquentation, des effets sur les prix, l’immobilier, donc sur les espaces de vie…
  • Afficher la volonté d’un tourisme plus équilibré, notamment au profit des populations locales, tout en orientant ses actions et ses outils d’observation, d’abord vers les clientèles touristiques

Dans un contexte où les résidents de nos villes et de nos villages sont de plus en plus critiques face au tourisme (Airbnb et rareté de logement, circulation dense, etc.), il importe  dorénavant de mieux communiquer auprès des résidents les avantages du tourisme dans leur localité ou leur quartier. Et les voyageurs attendent de la part des entreprises touristiques, ainsi que des destinations, un engagement fort contribuant à l’effort collectif, en faveur de l’environnement, de la société et de la communauté locale… Alors, il faut le dire, communiquer ses engagements, en toute transparence, avec sincérité et sans tomber dans le piège facile de l’écoblanchiment.

La forme achevée du marketing durable consiste à ne faire AUCUNE action publicitaire et de sollicitation de ses marchés touristiques avec un budget zéro en marketing, comme le font déjà la ville d’Amsterdam et Tourism Vancouver Island, qui priorisent uniquement leur volet «développement de l’offre», ou encore des organisations touristiques majeures telles que Kingdom Trails au Vermont, sans aucune dépense marketing depuis 2 ans. Elles font le pari qu’il vaut mieux intervenir directement dans le développement d’une offre touristique réellement durable et dans les communications principalement avec leurs communautés, leurs PMEs touristiques et surtout leurs citoyens concernés. Le bouche-à-oreille et les médias feront la promotion de leurs valeurs et de leurs offres renouvelées, plus responsables.

6 volets d’intervention du marketing  durable en transport

Le marketing touristique classique étant insoutenable pour la planète, les destinations (OGDs) peuvent dorénavant communiquer leurs engagements et influencer pour des déplacements bas carbone par les visiteurs, les PMEs, leurs employés et même par les résidents (loisirs et tourisme local). Après s’être assuré de faire l’inventaire  actuel des modes de déplacement plus responsables, de développer avec des partenaires locaux et d’offrir des options de mobilité durable pour se rendre à destination et durant les séjours, vous pouvez  intervenir  dans votre marketing sous 6 volets, que je détaille sommairement avec des exemples concrets pouvant impacter notre tourisme en:

  1. Privilégiant et communiquant les modes de transport bas carbone[5] pour les visiteurs se rendant à destination et s’y déplaçant tout en limitant les transports aériens et en remettant en question les croisières internationales
  2. Valorisant les modes de transport bas carbone et la sobriété pour les employés touristiques et les citoyens
  3. Agissant sur l’offre/la demande et les flux touristiques (dans l’espace et dans le temps), ce qui augmente la qualité de vie des citoyens, répartit mieux les impacts économiques sur le territoire, rentabilise plus les entreprises et bonifie l’expérience des visiteurs
  4. Adoptant soi-même, comme acteur touristique, des comportements  responsables dans nos actions marketing
  5. En maximisant les outils technologiques performants
  6. En informant lors d’événements extrêmes

1. Modes de transport bas carbone pour les visiteurs

  • Privilégier pour nos touristes américains et ontariens l’automobile et le train. Lorsque l’aérien est incontournable sur nos marchés internationaux, il faut diffuser les meilleures pratiques en transport aérien tout en mettant de l’avant les offres de transport alternatives pour se rendre à destination  (autopartage, train, vélo...)  et la facilité de se déplacer une fois sur place (mobilité douce et transport en commun). Réussir à convaincre, sans être moralisateur, des touristes par avion de voyager plus longtemps sur place et moins souvent fait partie d’une communication responsable, surtout dans le contexte d’une compensation carbone qui a ses limites et n’empêche aucunement l’accélération de l’épuisement des ressources naturelles sur une planète qui a ses limites, comme on le sait maintenant.
  • Faire la promotion de circuits électriques optimaux et de routes d’accès avec bornes rapides pour nos marchés touristiques prioritaires en s’intégrant aux applications de renseignements sur les bornes électriques comme ici pour les Américains. Peut-on penser créer des bornes «signature» à saveur québécoise? En passant, le Colorado est le leader aux États-Unis pour électrifier ses circuits touristiques visant pour 2030 l’électrification complète de ses 26 circuits panoramiques et historiques.

Borne électrique «vintage» / Source : New York Times, 2023

  • Créer des promotions rendant positif le transport bas carbone, comme Destination Québec cité l’a réalisé avec le transport en commun gratuit pour les visiteurs avec nuitées ou le billet de train à 1 euro en Occitanie. On peut penser aussi à l’initiative française de musées nationaux offrant des tarifs réduits pour leurs visiteurs prouvant leur déplacement par train. Mais surtout, établir une «passe touristique» combinant l’entrée dans des sites touristiques et les déplacements illimités en transports en commun pendant une période fixe.
  • Sensibiliser les lieux d’hébergement afin qu’ils offrent les alternatives de transports et les circuits électriques.
  • Abandonner toute promotion ou support à des escapades de fin de semaine par avion.

2. Modes de transport bas carbone et la sobriété pour les employés touristiques et les citoyens

  • Sensibiliser, supporter et même financer une partie du transport durable de ses employés (mobilité douce, covoiturage, transport en commun) entre résidences et lieux de travail tout en estimant la faisabilité du télétravail, la meilleure des solutions pour un emploi sobre en transport.
  • Les déplacements professionnels des OGDs et de toute association touristique constituent de loin le poste le plus élevé d’émissions de GES de ces organisations. Un choix difficile, mais nécessaire et urgent, doit mener vers la sobriété à ce chapitre. En aucun cas, la compensation carbone peut excuser de maintenir le même nombre de déplacements annuels en avion ou par auto à essence. Ainsi, un Québec/Montréal peut se faire en autocar ou par train. Un salon «trade» en Europe n’est pas obligé d’accueillir 50 représentants du Québec en présentiel… et y aller tous les deux ans, au lieu d'annuellement, est au minimum l’action à réaliser.
  • La ligne entre loisir et tourisme est mince, surtout que les résidents pratiquant des loisirs peuvent migrer ensuite vers le voyage et les touristes apprécient les activités de loisirs locales. Pas étonnant que des OGDs chapeautent maintenant «loisirs et tourisme». Dans ce contexte, un office de tourisme, une ATR  ou  des festivals ou des attraits doivent pouvoir également communiquer les meilleures pratiques en transport auprès de leurs citoyens. Les offices de tourisme et des loisirs en France se développent, apportant de nouveaux services aux résidents, comme aux visiteurs. Ce lien avec les résidents est totalement imbriqué dans la gestion globale de l’accueil sur le territoire. L’office de tourisme est l'initiateur et le coordinateur des initiatives visant à développer une hospitalité globale sur sa destination. Son rôle ne se limite donc plus au simple tourisme. Même les destinations les plus touristiques constatent qu’il est indispensable d’apporter des services de proximité aux résidents, voire de les impliquer dans les politiques touristiques.
  • C’est dans cette logique qu’a été lancé le «Mobility Store de Bruxelles». Durant une expérimentation de plusieurs mois, Bruxellois et visiteurs ont eu accès, en un même lieu, à des informations sur la totalité des offres de transport présentes dans la capitale belge. Comment? Grâce à trois conseillers présents en permanence, à une boîte à outils interactive et à un panneau d’affichage multimodal. Grâce également à la possibilité d’essayer des véhicules partagés, tels que des trottinettes, des vélos électriques… C’était aussi un espace d’expérimentation pour plusieurs services de mobilité : SNCB, Billy Bike, Poppy, Ahooga, Edenred, Vias, Jeasy.

3. Gérer l’offre/la demande et  les flux touristiques

  • On peut mieux gérer l’offre d’une destination touristique en :
    • créant de nouveaux produits/expériences
    • fermant certaines zones/attraits afin de faciliter la régénération naturelle ou la quiétude des résidents
    • facturant des frais pour visiter une région, une ville, un quartier, un attrait naturel
    • limitant le nombre de visiteurs par heure ou par jour
    • en concentrant certaines activités (ex : Airbnb, hôtels ou zones d’animation, limités à certains secteurs géographiques)
    • transport (navettes, transport en commun, mobilité douce, covoiturage, etc.)
  • On peut mieux gérer la demande en :
    • faisant de la promotion pour les basses saisons uniquement
    • faisant du «démarketing» indiquant aux visiteurs potentiels qu’à telles périodes de l’année, il y a déjà beaucoup de monde… et en donnant l’information concernant la «pression» touristique sur les sites sensibles et emblématiques de la destination
    • dispersant les flux touristiques par la promotion de visiter à d’autres moments (heure, jour, mois, saison) et ailleurs sur le territoire
    • offrant des récompenses, des incitatifs, des «passeports  touristiques»
    • utilisant le «yield management», faisant ainsi fluctuer les prix selon la demande
    • établissant un code de conduite/charte d’engagement du visiteur portant sur les meilleures pratiques durables avant et une fois à destination
    • en informant en temps réel sur les files d’attente, les niveaux d’achalandage, les disponibilités, etc.

4. Comportements responsables dans nos actions marketing

  • Est-ce que ces actions sont durables et responsables? Sont-elles alignées sur nos stratégies et nos objectifs?
  • Chacun des articles que nous rédigeons (ou par l’IA!), les balados que nous  créons et les vidéos que nous générons doivent tenir compte de l’objectif de transports en tourisme plus responsables, bas carbone
  • Comme le numérique représente des canaux majeurs de notre marketing, il faut songer à l’écoconception: l’ordre de grandeur des émissions d’une page Web se situe entre 0,5 gCO2eq et 2,5 gCO2eq, même s’il n’est pas rare de mesurer des pages à plus de 5 gCO2eq, surtout sur des sites de destination gourmands en photos et vidéos[6]
  • Sensibiliser le mobinaute en lui suggérant d’activer un écomode numérique. Une fois activé, le site Web vise le bon compromis entre performances et impact environnemental
  • Intégrer dans ses indicateurs de performance, la réduction des GES de ses visiteurs et de ses employés touristiques, spécifiquement pour les facteurs d’émission des différents modes de transport utilisés
  • Reconnaître que promouvoir la compensation carbone comme façon de décarboner le transport est de dernier recours uniquement, après avoir promu des transports alternatifs durables et la sobriété
  • Éviter l’écoblanchiment par des affirmations fausses, trompeuses ou incomplètes, non basées sur la science («carboneutre» par ci, «régénératif» par là)
  • Ne pas promouvoir uniquement les produits d’appel de la destination afin d’éviter (comme sur Instagram) de créer une trop forte concentration des visiteurs dans de mêmes lieux sans compter des comportements douteux et irrespectueux
  • Par respect et authenticité, mettre une mention à toutes les occasions, lorsque des contenus (textuels ou visuels) ont été générés ou bonifiés en totalité ou en partie par l’IA

5. Des outils technologiques performants pour décarboner le transport touristique

Trois exemples :

  • Gestion des flux et des transports  à destination : réseau de bornes/codes QR et autres technos permettant d’informer et d’influencer les visiteurs arrivant à destination avec des offres de transports durables disponibles et les promotions rattachées
  • Encourager les transports bas carbone par une approche positive comme Green Go (plateforme de réservation), qui envisage de proposer aux hôteliers de mettre en place des tarifs spéciaux pour les «voyageurs décarbonés».
  • Créer des applications/plateformes simplifiées (ou mettre en valeur l'existant) qui permettent d'agréger et comparer les données concernant l'offre de transport bas carbone pour un trajet donné. Un bel exemple : A Better Route Planner

6. Informer lors d’événements extrêmes

  • Qu'il s'agisse d'événements météorologiques extrêmes, d'une pandémie, d'une crise sociale ou peu importe ce qui se trouve dans l’avenir, la communication avec ses parties prenantes, dont principalement les visiteurs de passage, est essentielle, en collaboration avec la sécurité civile et les autorités compétentes
  • Il faut planifier dans son plan de résilience, la communication optimale en temps de crise touchant spécifiquement la sécurité des personnes et leurs déplacements.

 


[1] On est loin de la définition classique des «  4 P » en marketing : Prix, Produit, Distribution et communication

[2] Objectifs du Développement Durable des Nations-Unies. Sur les 17, quatre (4) s’appliquent particulièrement au tourisme : 8, 9, 12 et 14

[3] Revue Espaces, juillet 2023, pages 105 et suivantes, Quelques injonctions paradoxales que peuvent vivre au quotidien les acteurs de la promotion touristique.

[4] Les touristes recherchent des transports en commun pratiques, simples d’utilisation, à prix attractif et offrant une « expérience » en soi.

[5] Les transports en commun n’étant pas de la compétence des OGD ou des PMEs touristiques, il importe d’influencer ces transports afin que leurs offres soient mieux adaptées au tourisme et non pas uniquement aux résidents.

[6] Revue Espaces. Juillet 2023, page 101, L’Éco-conception des sites Web de destination.


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