60 minutes en tête-à-tête avec la directrice générale de l’ITHQ, Liza Frulla, par Claudine Hébert

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Dans le confort de son bureau à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), la directrice générale de l’établissement, Liza Frulla, a eu la gentillesse de nous accorder une bonne heure pour discuter, bien sûr de la réouverture de l’Hôtel de l’ITHQ, mais aussi des défis de l’industrie en matière de formation.

CH: Pour commencer, expliquez-nous svp l’importance de la modernisation l’hôtel.

Liza Frulla: Cela faisait au moins 13 ans que les chambres de l’Hôtel de l’ITHQ n’avaient pas fait l’objet de rénovations. Nous avons d’ailleurs profité de ces travaux majeurs pour nous assurer que la structure de l’immeuble répondait aux nouvelles normes du Code du bâtiment. Si on décortique le montant investi, ce sont 6,1 M$ qui ont été injectés pour revoir l’infrastructure et la mise aux normes du bâtiment. Le reste de la facture, 1,2 M$, a servi au réaménagement et au nouveau design des 42 chambres. Bien que la classification hôtelière ait disparu, le plan de la modernisation répondait aux critères d’un hôtel 4 étoiles.

CH: Quel est le mandat de l’ITHQ?

Liza Frulla: En 1968, le gouvernement de l’époque a eu le génie de créer un établissement scolaire spécialisé en cuisine et en service de la restauration. Un établissement qui a rapidement élargi ses champs de compétences pour répondre aux besoins de l'industrie touristique et hôtelière. Encore aujourd’hui, il s’agit de la plus importante école du genre d’un bout à l’autre du pays, qui offre des programmes professionnels, techniques et universitaires. Et je parle en connaissance de cause. Je suis présidente de Destination Canada.

Ici, à l’ITHQ, tout est intégré. Services de restauration, de banquet et d’hôtellerie…en fait, nous sommes une des rares écoles sur le globe, sinon la seule, où l’enseignement haut niveau de l’ensemble de ces services est réuni sous un même toit. À ceci s’ajoute une équipe de 110 enseignants, dont plus de la moitié a gradué à l’ITHQ au fil des ans, ainsi que deux chaires de recherche (GastronomiQc Lab et ExperiSens) et un centre d’expertise. En 2023, ce sont près de 1500 étudiants, dont 1200 à temps plein, qui circulent dans les classes de notre établissement.

CH: Parlant du nombre d’étudiants, plusieurs programmes en tourisme et restauration de la province, et ce à tous les niveaux, enregistrent des baisses notables d’inscriptions. Certaines de nos sources avancent que ces baissent vont jusqu’à 25% au cours de la dernière année. Comment ça se passe à l’ITHQ?

Liza Frulla: Je suis consciente de ce phénomène ailleurs dans la province, mais ici, nous affichons complet année après année. Dans certains programmes, nous devons même refuser plus de 30% des candidats effectuant une demande lors de chaque session. À ce propos, j’ouvre une parenthèse. À l’ITHQ, on manque d’espace. Si je pouvais augmenter, dès demain matin, la superficie des classes, ou encore trouver de l’espace pour concentrer les cours de gestion, ce serait l’idéal. Plusieurs pensent à tort que l'ITHQ est principalement une école de cuisine. Or, elle est bien plus que ça. Plus de 50% de nos étudiants sont inscrits en gestion.

CH: Quelle est votre solution envers ce manque d’espace?

Liza Frulla: L’ITHQ a entamé des démarches auprès du gouvernement et de la Ville de Montréal afin de récupérer l’immeuble voisin, l’Institut des Sourdes-Muettes. Depuis 2015, le bâtiment principal est vacant. En plus d’accueillir des classes, cet immeuble centenaire pourrait servir de logements pour les étudiants de l’école. Un peu plus de 15% de nos étudiants proviennent de l’extérieur de la province de Québec.

CH: Soit, ça va bien à l’ITHQ. Mais que faire pour aider les autres programmes en tourisme et restauration de la province?

Liza Frulla: À moi seule, je ne détiens pas les réponses. Les solutions doivent venir des différentes associations hôtelières, de restauration et du tourisme de la province. Les principaux acteurs du milieu doivent travailler ensemble pour stimuler l’attraction des programmes qui leur assurent une relève. C’est toute l’industrie qui doit trouver des solutions, qui doit démontrer aux jeunes et à la population active les multiples avantages que proposent les emplois liés au secteur touristique. Un exemple? Je considère que les restaurateurs, ayant pris la décision de fermer leur établissement deux jours semaine (pendant et après la pandémie) afin de faciliter la conciliation travail-famille, ont fait un pas dans la bonne direction. Bravo! Des congés pour tous. Notre secteur y a droit aussi.

CH: Est-ce que les programmes en tourisme dans les autres provinces sont touchés?

Liza Frulla: L’inquiétude liée aux baisses d’inscriptions dans les programmes en tourisme et le manque de relève n’est pas unique qu’au Québec. L’ensemble du Canada vit avec ce phénomène. Et le taux de chômage au pays historiquement bas n’aide pas non plus. En 2023, il manque toujours plus de 30 000 gestionnaires pour assurer la relève de divers hôtels, restaurants et autres produits touristiques à travers le pays.

L’ITHQ a d’ailleurs profité de sa réouverture officielle au début du mois d’octobre pour réunir les membres de direction de tous les établissements universitaires du pays en tourisme et restauration. Mon rêve est de créer la toute première alliance des établissements universitaires en tourisme, hôtellerie et restauration canadienne. Et bonne nouvelle, le dossier avance. Si notre industrie souhaite bénéficier d’un solide soutien et d’une reconnaissance sur le plan économique, elle doit d’abord bénéficier d’un solide réseau à l’échelle du pays.

CH: Que dites-vous à tous ces jeunes et moins jeunes qui soutiennent ne pas avoir besoin de l’école pour pratiquer leur métier en tourisme, hôtellerie et restauration?

Liza Frulla: Depuis des années, et encore plus aujourd’hui, les marges de profit dans notre secteur sont très faibles. Afin d’augmenter ses chances de succès, un entrepreneur doit, au minimum, avoir des notions de gestion. Et vous ne m’enlèverez pas ça de la tête : pour maximiser ces notions de gestion, ça prend une bonne formation.

CH: Petit mot, pour la fin. Demain matin, vous devenez ministre du Tourisme au Québec, vous faites quoi pour aider à la relève?

Liza Frulla: Je ferais mon possible… comme le fait actuellement la ministre Caroline Proulx. À ce propos, je tiens à souligner que Caroline Proulx fait un travail exceptionnel. Rarement a-t-on vu un ou une ministre du Tourisme travailler aussi près de l’écosystème touristique. Elle est très impliquée et se fait elle-même la porte-parole du tourisme au sein de son gouvernement. Chapeau! Elle mérite toute mon admiration.

 

Claudine Hébert
Journaliste et collaboratrice


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