Tourisme Québec publie son plan stratégique 2023-2027: plus d’ambition svp, par Jean-Michel Perron (juillet 2023)

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Photo : Quartier des spectacles de Montréal

Nous sommes privilégiés au Québec de pouvoir compter sur un ministère dédié au tourisme, d’avoir des programmes de soutien aux organisations généreux et des fonctionnaires parmi les plus performants (94 %) de la fonction publique. Ceci étant dit, n’empêche qu’on peut être plus ambitieux sur les stratégies à venir.

Si ce plan du ministère est notre feuille de route vers un tourisme performant et durable, comment expliquer l’absence d’objectifs relatifs au défi de la main-d’œuvre ainsi que le manque de stratégies innovantes et d’indicateurs crédibles pour mesurer notre réelle transition durable, pourtant nos deux enjeux prioritaires?

Sans parler de l’absence de stratégies visant à améliorer l’accessibilité aux régions (aérien — prix, fréquence, capacité —/réseau efficace de transport collectif par autocar) et de la position que le tourisme doit prendre dans le partage de notre forêt et de nos terres publiques (92 % du territoire), déséquilibré par la priorisation historique de l’exploitation forestière et minière. Avoir une approche globale et intégrée du nouveau tourisme implique une approche holistique, également absente de ce plan.

Voici d’ailleurs les valeurs ajoutées, par rapport au Québec, de plans touristiques récents de 3 destinations comparables, desquelles nous aurions intérêt à nous inspirer:

Nouvelle-Zélande: le gros bon sens!

Le cadre d’intervention du ministère néo-zélandais porte sur des dimensions de l’expérience touristique et non pas des sous-secteurs comme au Québec:

Attractions — les visiteurs ont besoin de choses à faire et à voir — cela influence la durée de leur séjour et combien ils dépensent

Sensibilisation — les visiteurs doivent savoir ce qui est proposé — cela impacte le nombre de visiteurs et répartira les dépenses tout au long de l’année

Accès — les visiteurs doivent pouvoir se rendre à l’endroit qu’ils souhaitent visiter en toute sécurité en temps opportun pour un coût approprié. Cela comprend l’air, la route, le rail, la mer, les sentiers et pistes cyclables

Services — les visiteurs ont besoin d’hébergement, de vente au détail et d’hospitalité, de boissons et eaux usées et autres infrastructures

Attitude — les communautés doivent vouloir accueillir des visiteurs dans leur région

 

Deux des cinq indicateurs portent sur les citoyens et les retombées dans chacune des régions touristiques:

Toute une série d’actions est ensuite détaillée portant sur la durabilité, le transport régional, la régénérescence environnementale et culturelle avec d’autres ministères, ….

Finlande: une boite à outils complète en durabilité!

« Atteindre plus ensemble — croissance et renouvellement durables du tourisme finlandais » est la stratégie touristique nationale de la Finlande pour 2022-2028. La stratégie identifie quatre priorités clés qui permettront une croissance et un renouvellement durables du secteur du tourisme: soutenir les activités qui favorisent le développement durable, répondre au changement numérique, améliorer l’accessibilité pour répondre aux besoins du secteur du tourisme et assurer un environnement opérationnel qui soutient la compétitivité. La coopération joue un rôle majeur, comme l’indique le nom de la stratégie.

Contrairement au Québec, leur vision est claire: être le pays nordique le plus durable en tourisme avec des actions conséquentes dont leur programme national en durabilité pour les PMEs incluant un nouvel outil bilan carbone. Pour rendre le tourisme sobre en énergie et décarboné, il faut un plan. La mise en place d’une « gouvernance carbone du tourisme » en s’appuyant sur les associations touristiques régionales/sectorielles comme relais opérationnels vers les entreprises locales, constitue l’approche à privilégier.

Le chaînon manquant de l’actuelle stratégie du plan québécois est ce que fait précisément Visit Finland: comme leur thème transversal de la stratégie est la coopération, qui est essentielle pour parvenir à une croissance et à un renouveau durables du tourisme finlandais ; comme des actions sont menées en collaboration intersectorielle par un large éventail d’opérateurs ; les mesures sont contrôlées par un groupe de travail de haut niveau sur le tourisme nommé par le ministère de l’Économie et de l’Emploi. Le groupe sert d’organe consultatif d’experts sur la stratégie liée au développement du tourisme.

Slovanie: un petit peu plus, mais beaucoup mieux!

Leur plan de 2022-2028 repose sur «  l’approche boutique » (boutiqueness en anglais):

« Nous promouvons le “boutiqueness” — un portefeuille de produits et de services touristiques de haute qualité (caractérisé par les principes de l’esprit local, de contenus culturels, de développement durable, d’expériences responsables en nature, de services haut de gamme, d’expériences 5 étoiles, d’expériences personnalisées, d’une cuisine de classe mondiale, d’innovations technologiques et de processus numériques). »

Wow!

Leur plan débute par un SWOT réaliste et rapidement retient un scénario de croissance modéré qui, il me semble, serait approprié pour le Québec:

« Le scénario 3 — Un peu plus et beaucoup mieux — envisage une expansion modérée de la capacité de nos services touristiques, principalement des types de services de qualité supérieure, la majorité des investissements dans la rénovation, une augmentation de la qualité des capacités existantes, des investissements un peu plus intensifs dans l’alimentation et des boissons, et des offres supplémentaires. Ce scénario prévoit également une croissance modérée des arrivées et des nuitées, tout en atteignant un niveau de prix des services plus élevé. Il prévoit une augmentation modérée de la demande de nouveaux emplois dans le tourisme et des investissements plus substantiels dans la qualité du personnel. Il tire parti des possibilités de développement ultérieur du tourisme slovène d’une manière durable et économiquement efficace, ce qui permet d’atteindre des indicateurs économiques et sociaux optimaux, tout en tenant compte des aspects durables du développement touristique. »

J’aime bien leur approche de consolider leur industrie touristique existante au lieu d’investir dans de trop nombreux nouveaux projets, limitant ainsi les besoins supplémentaires en main-d’œuvre et en ressources.

Voici 6 exemples d’indicateurs de performance qu’ils se donnent — sur un total de 40 —, qui sont à des années-lumière de ce que nous comptons utiliser au Québec:

Comme la Finlande, ils ont une certification nationale en tourisme durable qui n’exclut pas les autres certifications reconnues par le GSTC.

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Ce nouveau plan du ministère du Tourisme du Québec présente 3 enjeux avec 3 orientations et 9 objectifs. Quelques commentaires à cet effet (encore une fois, c’est ce dont le plan ne traite pas qui constitue sa faiblesse principale):

Orientation 1

Développer et promouvoir une offre touristique distinctive d’avenir pour les touristes d’ici et d’ailleurs au bénéfice de l’essor durable de l’économie du Québec

Objectif 1.1

Soutenir le développement des filières prioritaires en vue de rehausser l’offre touristique

Notre gouvernement indique les filières prioritaires: l’accès à la nature, le tourisme autochtone, le tourisme hivernal, le tourisme haut de gamme et le tourisme d’affaires. Il aurait été à propos de mettre des indicateurs précis sur chacune des 5 filières (recettes, régionalisation, certifié durable) et d’instaurer pour toute subvention, le retour réel, après 3 ans d’opération, de chacun des dollars investis.

Objectif 1.4

Renforcer le rôle du tourisme comme levier de développement économique

Ces indicateurs sont les classiques en tourisme depuis des décennies. Ne considérer en 2023 que les volumes de recettes et de visiteurs n’est pas durable. Les distances parcourues en avion et les durées de séjour devraient être considérées. Et nulle part dans le plan, il n’y a des indicateurs sur la durabilité de notre tourisme tels que la diminution de l’empreinte carbone du tourisme québécois, le nombre d’entreprises certifiées en durabilité, le degré de satisfaction des résidents dans les zones touristiques ou la proportion de voyageurs de l’international qui n’utilisent pas l’avion. L’arrimage avec les indicateurs que l’Alliance mentionnait dans cet article devrait être fait.

Orientation 2:

Propulser la transformation de l’industrie touristique

Le MTO mentionne « … la nécessité d’agir rapidement et de montrer de l’ambition ». Soit, mais ça ne se traduit pas dans les objectifs.

« La transformation numérique contribuera également à l’amélioration de l’expérience de qualité offerte aux touristes et excursionnistes et remédiera en partie aux problèmes comme le manque de main-d’œuvre. »  Il s’agit de la seule solution envisagée par le MTO pour régler la pénurie de main-d’œuvre? Le MTO participe pourtant à d’autres initiatives à cet effet avec l’immigration saisonnière et le CQRHT? Et la technologie, seule, ne nous sauvera pas… Nous sommes en tourisme: les tâches et services de base répétitifs (réservation, nettoyage, etc.) ont intérêt à être digitalisés, robotisés, mais pour le reste, les contacts humains constituent la base de l’expérience touristique. On le sait, les solutions pour régler la pénurie de main-d’œuvre doivent être multiples alors quels objectifs et cibles y sont rattachés?

Objectif 2.1:

Susciter l’innovation dans l’industrie touristique

En quoi ces seuls indicateurs vont-ils permettre d’innover réellement en tourisme? L’innovation ne doit pas être que technologique. Elle doit être dans la gouvernance, dans les expériences touristiques offertes, dans l’intelligence d’affaires, dans l’IA et dans le marketing également.

Comme pour d’autres indicateurs, le # 10 mesure le nombre d’actions réalisées et non pas les résultats concrets à atteindre. Quels seront les réels rendements obtenus sur la productivité de chacun des projets financés devrait être l’indicateur, pas le nombre de projets visant l’augmentation de la productivité.

Objectif 2.2:

Soutenir l’émergence et l’intégration des pratiques durables et responsables dans l’offre touristique

L’innovation et le durable sont les mots-clés vedettes dans ce plan, mais ça ne se traduit pas dans les indicateurs et les cibles à mettre en place.

La protection des ressources naturelles riches et variées du Québec fait partie des priorités du Ministère. Mais comment? Quelles exigences crédibles seront requises? J’espère qu’au minimum le bilan carbone avec la portée III complète ainsi qu’un vrai Tableau de bord avec des cibles précises annualisées seront exigés rapidement pour chacune des demandes. Bien hâte de voir alors comment le Grand Prix de Montréal pourra continuer d’empocher ses 17 à 26 millions $ annuels en subventions sans faire d’écoblanchiment….

Le ministère du Tourisme nourrit l’ambition de positionner le Québec comme une destination touristique durable et à l’avant-garde alors comment sans indicateur et sans stratégies innovantes pourra-t-on le faire?

Objectif 2.3:

Promouvoir et soutenir l’utilisation de données stratégiques en tourisme

Pourquoi pas 1,5 % ou 2,5 % (une blague)? Au lieu que le MTO se donne un indicateur de consultation de ses données stratégiques qui ne veut rien dire, ne serait-il pas mieux de se questionner sur les données stratégiques à acquérir comme les processus de certifications des entreprises, les outils minimum requis pour accompagner les entreprises dans leur transition durable et le poids carbone du tourisme au Québec afin de voir notre évolution positive?

Objectif 3.1:

Agir à titre d’instigateur d’une dynamique collaborative avec les partenaires touristiques

Deux commentaires à cet effet: 

  1. La réelle pertinence, la priorisation et les cibles de performance des centaines de millions dévolus annuellement en tourisme de la part de Québec et d’Ottawa ou via leurs mandataires restent à être bonifiés. Pourquoi, n’est-ce pas le cas encore aujourd’hui? Parce que notre vision de notre futur en tourisme manque de…. vision et d’alignement entre les actions/projets financés et leur réel potentiel à performer en fonction de cibles précises et crédibles qui restent à définir alors que nos objectifs communs ne sont ni complets, ni ambitieux, ni vraiment innovants.
  2. Pour cet indicateur #14, qui osera se dire insatisfait alors que la majorité des partenaires dépendent des mamelles de l’État?

 

Dans le contexte de transformation rapide à tous les niveaux de notre secteur, je crois qu’il faut voir ce plan du MTO comme étant une première étape à fignoler dans les prochains mois/années avec l’apport de chacune des parties prenantes du tourisme québécois. Osons prétendre de pouvoir faire mieux si on veut que le Québec se démarque réellement.  Visons un petit peu plus mais surtout beaucoup mieux pour nos entreprises, nos visiteurs, nos communautés et pour la planète.

Jean-Michel Perron


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