Josée Lelièvre, du Ruby Foo’s, prêtresse de la coopétition pour la durabilité!, par Jean-Michel Perron

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Entrevue avec une gestionnaire touristique de Montréal pour qui la transition durable est 100% naturelle.

1. Bref historique de sa carrière

Éducation en tourisme au collège Lasalle, suivie d’un stage en Europe – hôtellerie indépendante près d’EuroDisney – qui a duré finalement 10 ans, dont sur un campus corporatif  à Fontainebleau en 2005, alors qu’à titre de dg,  elle y  a éliminé les bouteilles de produits de bain à usage unique, puis en 2010 à Montréal, avec le groupe Luger.

En 2018, elle termina un MBA exécutif HEC-McGill avec son papier final portant sur la coopétition, son dada professionnel avec la durabilité.

2. Quel est ton travail aujourd’hui? Qu’est l’hôtel Ruby Foo’s? Les affaires vont bien?

Je suis v.-p. hôtellerie et transformation développement durable, Groupe Luger.

Notre hôtel de 198 chambres aujourd’hui possède un taux d’occupation et un prix moyen plus élevés qu’en 2019. On se trouve cette année, là où on devait être. Notre domaine d’hôtellerie ne reviendra pas exactement comme avant, mais il se présente actuellement d’autres opportunités.

L’enjeu de la main-d’œuvre n’est pas si important chez nous, car ce n’est pas nouveau que nous portons attention à nos employés, ainsi durant la pandémie, aucune mise à pied ne fut effectuée! Les hôteliers ont une responsabilité face à la rareté de main-d'œuvre. Pour les Milléniaux, le travail n’est pas la priorité, ni le salaire, mais le bien-être, si.

L’hôtel Ruby Foo’s fut racheté par le groupe en 1985. À l’époque, le restaurant était une icône à Montréal, avec ses entrées secrètes et ses clients prestigieux.

3. Ruby Foo’s a innové depuis quelques années dans sa transition durable. Comment?

Je suis là depuis 2019 et nous avons à ce chapitre, entre autres :

  • Intégré à toutes nos réunions hebdomadaires de comité de direction le volet développement durable
  • Investi dans la formation du personnel dans les pratiques durables et la gestion durable
  • Éclairage partout au DEL des espaces communs intérieurs et extérieurs
  • Nouveaux équipements en plomberie à débit réduit
  • 4 bornes de recharge de la compagnie québécoise « Flo »
  • Un toit vert à notre hôtel, avec l’organisation montréalaise « Micro-Habitat ». Les légumes produits iront 1 semaine sur 2 à un organisme communautaire et 1 semaine sur deux à nos 62 employés sous forme de marché gratuit.
  • On continue notre réflexion pour nos chambres, concernant l’éclairage, avec une minuterie, tout comme pour les douches, afin de sensibiliser nos clients sur l’importance de contribuer à la préservation des ressources, pas juste pour le portefeuille des hôteliers...
  • Dans la Tour Belvédère, que je gère également, grâce à une transformation de notre chaufferie et un logiciel de gestion automatique de la température des appartements, nous avons en 5 ans épargné 1 M$ pour 150 unités.

Source : page LinkedIn Ruby Foo’s, juin 2023

4. Sens-tu un réel intérêt du secteur hôtelier à se transformer durablement?

Oui, beaucoup de la part de certaines personnes, mais la plupart ne sont pas outillées pour le faire et il n’est surtout pas facile de trouver les bons fournisseurs de services eux-mêmes écoresponsables, par types de services (literie, matelas, etc.). Ça prend un temps fou de recherche, mais également un réel engagement à vouloir la traçabilité du produit.

Josée n’y va pas avec des gants blancs; elle qui préside le comité DD de l’association hôtelière du Grand Montréal: « Les hôtels n’ont pas compris qu’il faut qu’on s’unisse pour appliquer des pratiques durables à Montréal. Le développement durable, ce n’est pas qu’une valeur ajoutée en marketing et le seul indicateur du prix moyen par chambre ne répond plus à la réalité touristique! ».

À son avis, les entreprises qui commencent une démarche durable peinent à la compléter. Leurs CA doivent comprendre qu’il faut transformer leur plan d’affaires, car la durabilité ne peut être que transversale. Pour les clientèles, il faut avoir le courage de toujours se poser deux questions fondamentales: « Est-ce que nos clients en ont vraiment besoin? », et « Quel est l'impact de notre action sur le bien-être de l'environnement et des communautés? », afin de travailler pour que ces impacts soient, à tout le moins neutres, idéalement positifs.  Le meilleur exemple de Josée à ce propos est le nettoyage quotidien des chambres. Comme elle sait que les changements de mentalité en durabilité vont réussir par une approche positive et non par la culpabilité; le Ruby Foo's informe ses invités que 5$ par nuit sera versé à une organisation caritative pour chaque chambre où le client renonce à l'entretien ménager journalier.

5. Vos efforts en durabilité sont-ils payants et appréciés par vos clientèles?

Payants, certainement, comme dans le cas du contrôle de la température des unités ou des LED pour l’éclairage, mais appréciés? Pas encore; il faut qu'on communique davantage et qu'on mesure le retour des invités à ce propos.

6. Qu’est-ce que tu aimes le plus de Montréal?

  • La diversité culturelle, l'ouverture quant aux différences les uns des autres.
  • L’accessibilité.  Montréal est une ville à échelle humaine.

7. Quels sont actuellement vos plus grands enjeux comme hôtel et comme destination (Montréal)?

  • La durabilité : on ne fait pas ce qu’on serait capable de faire. Il faut faire contribuer toutes les compétences actuelles en DD appliquées au tourisme (universités, ITHQ, firmes spécialisées, organismes locaux, etc.) sur des dossiers spécifiques comme les événements durables.
  • Les cônes oranges : je n’ai pas de solution, mais quelle nuisance pour nos visiteurs et pour nous tous!

8. Quels sont vos nouveaux projets/actions que vous entrevoyez cette année concernant le durable?

Nous venons tout juste de compléter la rénovation de 10 chambres « durables » en collaboration avec une entreprise locale de mobilier « De Gaspé ». Nous comptons bien poursuivre dans cette direction.  Un bon exemple de la partie économique en développement durable est que lorsque nos meubles auront "vieilli", cette entreprise reprend nos meubles et les remet à neuf pour une fraction du prix! Ces chambres offrent :

  • Meubles en merisier provenant d’une forêt québécoise écoresponsable et fabriqués ici à Montréal
  • Mélamine réutilisée
  • Comptoir en granite québécois
  • Plancher en liège, le matériau le plus durable
  • Matelas québécois le plus écoresponsable de chez BleuÉco
  • Produits de salle de bain, entreprise écoresponsable Oneka
  • Murales sans matières plastiques et préencollées avec une colle à base d’eau biodégradable

9. Qu’est-ce qui t’inspire, dans la vie?

  • Professionnellement : la coopétition, s’unir pour le bien-être de tous.
  • Personnellement : la résilience de mon petit garçon de 11 ans face à ma maladie et mon employeur, le Groupe Luger, qui croit vraiment à une approche durable et qui me suit dans mes actions.

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Frappée durement par le cancer, Josée poursuit son parcours dans l’action concrète pour rendre meilleure notre industrie touristique. Elle n’a jamais attendu après les autres pour innover et convaincre les administrateurs de compagnies touristiques que la durabilité, c’est payant pour conserver ses employés motivés et son image de marque dans la communauté avec de vraies retombées locales. Et payant  pour la valeur de l’entreprise, même si le rendement n’est pas à court terme.

Josée Lelièvre : un modèle humble et performant à suivre.

 

Jean-Michel Perron


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