Démystifions la location à court terme – Échange avec Philippe Pichette, des Chalets Hygge à Orford, par Jean-Michel Perron

Hébergement · · Commenter

En dehors de l’hôtellerie classique, la location de chalets (pour le contact avec la nature) et de résidences/appartements de type VRBO et Airbnb (pour le prix, les commodités et l’exclusivité) attire de plus en plus les touristes. Entrevue avec un nouvel acteur du tourisme qui sait de quoi il parle.

Philippe, que fais-tu dans la vie?

Je suis dans le domaine du tourisme depuis 2020 seulement. Je suis fiscaliste de formation et j’ai fait carrière en tant que cadre exécutif pour des sociétés de logiciels destinés aux comptables et aux avocats. Nous sommes en deuxième carrière, ma conjointe Kerri et moi, et nous possédons six chalets locatifs à Orford (Chalets Hygge). Nous sommes également sur le point d’acquérir un hôtel. L'accueil et l’hébergement sont devenus notre passion, et nous adorons cette industrie.

La location touristique en hébergement, tu connais ça, tu as même fait une conférence à ce sujet dans l’Ouest canadien récemment. Peut-on s’entendre sur un terme désignant la location à court terme (31 jrs et moins) de résidences privées principales ou d’une partie d’une résidence? Meublés touristiques? Location court terme? Hébergement collaboratif?

En tout cas, il y a beaucoup plus qu’Airbnb, d’où l’importance de cesser d’utiliser cette marque pour désigner tout un pan du secteur touristique. De plus, Airbnb est utilisé à plusieurs fins, autres que la location à court terme. Il y a de plus en plus d’hôtels qui utilisent cette plateforme pour afficher leurs chambres. En décembre 2023, il y avait 7 746 annonces actives sur Airbnb à Montréal. De ce nombre, 4 558 étaient pour des locations de 32 jours et plus, et seulement 2 176 étaient pour des logements complets offerts en location à court terme à temps plein. C’est donc dire que seulement 28% des annonces Airbnb sont reliées à ce que le monde réfère communément à des logements « de type Airbnb ».

En anglais, c’est « Short Term Rental (STR) ». Je propose simplement, pour des fins de clarté, « location à court terme ». C’est le terme le plus communément utilisé par les professionnels de l’industrie.

Quel est ton lien avec Airbnb et/ou Inside Airbnb (lobby qui s’oppose à la location à court terme)?

Aucun. Notre entreprise utilise Airbnb comme un canal de vente et de marketing pour nos chalets, et 25% de nos locations proviennent de cette plateforme. Il est important pour nous de contrôler la destinée de notre entreprise et pour cette raison, nous investissons en marketing pour réduire notre dépendance aux plateformes transactionnelles.

Je me suis plongé dans les données, après l'incendie dans le Vieux-Montréal. J’étais convaincu que la situation était hors de contrôle, en entendant les médias parler alors de 14 000 annonces Airbnb. En fouillant dans les données d’Inside Airbnb, j’ai réalisé qu’il y avait, parmi ce nombre, 4 500 annonces inactives, historiquement parlant. Lorsqu’on considère seulement les logements complets offerts en location à court terme à temps plein, la réalité tournait autour de 5 000 (35% des 14 000).

Suite à l’incendie dans le Vieux-Montréal, face à la colère populaire et gouvernementale, Airbnb a pris l’initiative de forcer les hôtes à publier leur numéro CITQ pour chaque annonce. Du jour au lendemain, ce nombre de 5 000 est tombé à 2 200.

À ce moment, les médias avaient identifié plusieurs tricheurs parmi les 2 200 qui affichaient de faux numéros CITQ, laissant l’impression qu’il y avait encore beaucoup d’abus. En septembre 2023, le ministère du Tourisme a donc responsabilisé Airbnb en les obligeant à vérifier la conformité des certificats CITQ. De façon surprenante, cette mesure a eu peu d’impacts sur le nombre de maisons/appartements offerts en location à court terme. En réalité, peu de personnes trichaient avec de faux numéros.

Il existe encore certains, attirés par l’appât du gain, qui sont prêts à toutes sortes de manigances (ex.: fausse déclaration de résidence principale) pour mettre en location des logements illégalement. Cependant, je suis convaincu qu’il s’agit d’une minorité. Sans une analyse exhaustive des données, nous avons toujours l’impression que l’industrie de la location à court terme est un Far West. Il est important de viser un objectif de 0% de tricheurs. Ceux-ci alimentent les histoires dans les médias et nuisent à la pérennité de l’industrie.

Le système d’encadrement du Québec est, selon moi, un des meilleurs au monde. Il existe un cadre formel provincial avec les certificats de la CITQ. Ce système permet aux municipalités de contrôler où et combien de logements en location à court terme peuvent être offerts sur leur territoire. Le système de vérification à la source par Airbnb évite de se fier à un système d’inspecteurs coûteux et inefficace. En ce moment, Airbnb n’a pas accès à la base de données de la CITQ et n’est pas en mesure de confirmer à 100% la validité des certificats. Cela sera réglé d’ici peu, lorsque le MTO fournira une connexion directe à Airbnb à la base de données de la CITQ. Il existe aussi des abus au niveau des fausses désignations de résidences principales.

Le système n’est pas encore parfait, mais j’ai bien l’impression que ces brèches seront colmatées d’ici peu. Seules les plateformes transactionnelles (Airbnb, VRBO, WeChalet…) doivent vérifier les certificats CITQ. Certains ont peut-être migré vers Facebook pour faire la promotion de leur logement, mais réalistiquement parlant, il doit être difficile pour eux de rentabiliser leur logement sans accès aux plateformes qui génèrent la majorité des réservations.

En ce qui concerne le site Inside Airbnb, il est relativement fiable. Les données proviennent de « screen scraping » des annonces publiées sur Airbnb. Pour avoir analysé en détail les données, je n’ai pas trouvé de faussetés. Le problème, avec Inside Airbnb, réside plutôt dans l’interprétation des données. Il y a beaucoup de nuances et de segmentations nécessaires pour les comprendre. Comme Inside Airbnb est un organisme de lobbying contre la location à court terme, ils ne prennent pas le temps d’expliquer ces nuances, et les journalistes n’ont pas nécessairement les moyens ou le temps de les comprendre.

L’un des six (6) Chalets Hygge dans les Cantons-de-l’Est

L’impact des « meublés touristiques » en hébergement touristique est aujourd’hui majeur, et ce, partout au Québec. Existe-t-il des chiffres fiables à ce niveau?

Actuellement, les chiffres du MTO ne correspondent pas à ceux d’Inside Airbnb. Inside Airbnb indique 99,9% de conformité, alors que le MTO indique 88% de conformité primaire à Montréal. D’où vient cette différence de 12%? S’agit-il de faux certificats? Est-ce des multilogements partageant un seul numéro de la CITQ? J’ai bien l’impression que ce problème de non-conformité sera réglé dès qu’Airbnb sera connecté à la base de données de la CITQ. Nous pourrons confirmer cela dans quelques mois sur le site d’Inside Airbnb.

Contrairement à tous les autres secteurs (les « ATS ») du tourisme québécois, il ne semble y avoir aucun regroupement ou organisation représentant l’ensemble de ce secteur?

Effectivement. Sous l’AHQ, il y a une branche dédiée à notre secteur de location à court terme, mais elle représente une part marginale des activités de cette association. L’hébergement en hôtel et la location à court terme sont en compétition directe. Il n’est pas sérieux que l’industrie hôtelière essaie de représenter son principal concurrent. C’est comme si l’association des taxis tentait de représenter les personnes utilisant Uber pour le transport.

Selon AIRDNA, le site de référence statistique pour la location à court terme, l’industrie génère 5,1 milliards $ en retombées directes au Canada. Il ne doit pas y avoir beaucoup d’industries de cette taille dans le monde sans aucune représentation. Les conséquences de ce manque de représentation laissent le champ libre aux lobbies antilocation à court terme. Lorsqu’un journaliste doit rédiger un article sur le sujet, il n’obtient qu’une seule version de la situation. Airbnb, étant une entreprise publique, ne peut être un porte-parole crédible de l’industrie. Il faudra tôt ou tard que notre secteur soit mieux représenté, même s’il est grandement fractionné par des milliers de locateurs indépendants.

Dans une de mes chroniques récentes avec Adam Mongrain, de Vivre en Ville, il indique que les locations à court terme contribuent à la crise du logement à Montréal et partout à travers le Québec. D’accord?

Je ne suis pas vraiment un spécialiste de la question. Cependant, certaines études indiquent que les impacts sont minimes, variant énormément selon les municipalités.

Airbnb est utilisé à plusieurs fins :

  • Louer un logement à court-terme à temps plein (environ 28% à Montréal).
  • Louer un logement pour un mois ou plus à temps plein (plus de 50% à Montréal).
  • Louer sa résidence principale lors d’une absence prolongée.
  • Louer sa résidence principale occasionnellement lorsque l’on est en voyage.
  • Louer une chambre dans sa résidence principale pendant qu’on y habite.
  • Louer une chambre dans un hôtel

Seuls les logements à court-terme à temps plein pourraient potentiellement revenir sur le marché locatif en bannissant Airbnb. Il y a certainement un certain nombre de ces logements de type studio qui ne sont pas appropriés pour l’hébergement à long terme.

À Montréal, avec 2 176 appartements complets en location à court terme à temps plein, cela représente 0,2% des logements dans la métropole. Sachant que le MTO a identifié 12% de non-conformité directe, le nombre de logements qui pourraient potentiellement revenir dans le parc locatif à long terme en bannissant Airbnb est très petit. Est-ce que cela a vraiment un impact sur la crise du logement? J’en doute fortement.

Dans cette même chronique, M. Mongrain suggère de faire comme New York et de bannir les locations de courte durée. D’accord?

Dans un article du Harvard Business Review, ils indiquent que bannir la location à court terme est inutile, car Airbnb n’a influé que pour 1% sur les coûts des logements. Mais le problème, ce n’est pas seulement la hausse des coûts des loyers, mais aussi leur disponibilité. Peut-être que la situation à New York est différente?

Un autre article du Business Insider indique que depuis que NYC a banni 80% des logements en location à court terme, le prix des logements a continué à augmenter, le taux d’inoccupation est au plus bas depuis 50 ans (1,4%), et le prix des hôtels a augmenté de 8,5%. Donc, jusqu’à maintenant, le bannissement ne semble avoir eu qu’un impact sur le prix des hôtels.

Que penses-tu de la nouvelle législation, en Colombie-Britannique, limitant les locations à court terme?  

Depuis mai 2024, cette loi restrictive bannit à toutes fins utiles la location à court terme à travers la province pour les villes de plus de 10 000 habitants, avec des exceptions pour des endroits comme Whistler, Tofino et d'autres villages touristiques. Pour Kelowna, c’est la catastrophe. Plusieurs propriétaires de petits studios achetés à prix élevé dans des complexes dédiés à la location à court terme se retrouvent avec des logements impossibles à revendre, car ils ne sont pas adaptés pour le marché locatif de longue durée.

La crise du logement est un problème complexe à résoudre et le bannissement des logements en location à court terme semble être une solution simple qui n’a que très peu d’impact. Une sorte de fausse solution magique. Sous pression de la population, les divers gouvernements veulent démontrer qu’ils agissent, et le coût politique du bannissement est minime. Cependant, on jette le bébé avec l’eau du bain...

En France, la tendance est à l’enregistrement obligatoire et à la mise en place de quotas de locations court terme. Ton avis?

Oui, tout à fait d’accord. Les municipalités peuvent faire la différence en légiférant par zones et sur la distance entre les sites locatifs. La grande majorité des municipalités québécoises ont déjà un zonage très restrictif pour la location à court terme.

L’important, c’est d’éliminer les fraudeurs, même s’ils représentent la minorité. Ils discréditent et nuisent à l’ensemble de notre industrie qui répond à des besoins spécifiques en matière d’hébergement.

------------------------

Merci Philippe de nous partager ton point de vue appuyé et atypique sur la location à court terme. Se baser sur les faits représente la meilleure façon de croître durablement. Tu es appelé à jouer un rôle important en tourisme, je le prédis.

 

  

Jean-Michel Perron
PAR Conseils
Blogueur et bifurqueur


À lire aussi: