Surprenante baisse du marché français au Québec en 2024, par Jean-Michel Perron

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Tous les indicateurs sont à la baisse sur notre principal marché d’outre-mer. Que se passe-t-il?

Les volumes de ventes pour les voyageurs français vers le Canada, du réseau de distribution, baissent du quart par rapport à 2023, avec une partie de leurs clients qui migrent en réservant en direct, mais en dehors de l’hôtellerie classique; les voyages en groupes au Québec plongent et on note une faible baisse pour les ventes globales en direct (C2B). Raison? Visiter le Québec coûte trop cher pour nos clientèles habituelles et nous ne sommes pas prêts encore à répondre aux clientèles de luxe qui compenseraient pour ces transformations majeures de notre tourisme.

Si la même tendance se faisait sentir sur d’autres destinations, ce ne serait pas si préoccupant, mais la destination Canada et surtout le Québec, qui attire le gros de ce marché, essuient l’une des rares baisses du tourisme international des voyageurs français en 2024 et de loin la plus marquée dans le réseau de distribution classique des agences de voyages.

« Le Québec n’est plus le « Cuba » des voyages long-courriers pour les Français. On est maintenant considérés, disons, comme la Jamaïque. Fini le Québec perçu comme cheap », me confie un observateur chevronné du tourisme international.

Le premier indice d’anormalité sur le volume des touristes français au Québec est venu la semaine dernière lors de la publication du sondage des TO français (SETO) qui parle pour cette année d'une hausse de la demande de 12,8% aux États-Unis et d'une baisse de 22,4% pour le Canada, baisse la plus marquée des destinations des Français pour 2024.

Ensuite, la Corporation des guides-accompagnateurs du Québec qui réagissait à mon article sur les nouvelles taxes vertes: « Cette année, nous avons de nombreuses annulations de voyages de groupe venant de l’étranger, au point d’affecter la profession ». En accusant les prix de plus en plus élevés au Québec pour expliquer la baisse du travail de ses membres.

« Coup de poing dans la gueule! »

C’est ainsi que réagissait, à ma demande de commentaires, une importante agence réceptive québécoise qui préfère conserver l’anonymat. « Louer un autocar, c’est rendu à 1800$/jr, le double d’il y a quelques années seulement; on payait un vol Paris/Montréal 500$, maintenant, c’est 1500$ ». Mais comment expliquer la hausse des Français aux États-Unis de 12,8% contrairement au Canada, alors? « L’aérien et les hôtels ont moins augmenté en proportion chez nos voisins américains, suggère-t-il. »

Mais pourtant, la croissance économique américaine, qui se distance très positivement de l’Europe depuis 20 ans, amène des hausses appréciables chez nos voisins du sud: pour prendre le taxi à partir de l’aéroport John F. Kennedy, le prix de base, qui était de 52 dollars en 2017, est désormais de 75 dollars. Auquel il faut ajouter toutes sortes de péages: l’addition est de 95 dollars. Ensuite, la visite des musées fait s’envoler le prix des séjours. Le Metropolitan Museum a mis fin à la gratuité possible pour les touristes, auxquels était conseillé un prix d’entrée de 25 dollars jusqu’en 2018. C’est désormais 30 dollars, obligatoires, pour des institutions qui vivent du mécénat et n’ont pas d’aides publiques. La hausse du volume des touristes français aux États-Unis en 2024, par rapport à la baisse au Québec, doit s’expliquer autrement, que par des prix moindres, surtout avec leur taux de change moins favorable qu’au Canada

Les Français au Canada, c’était 603 000 visiteurs en 2023, selon Destination Canada. « Quand on sait qu’au moins 80% rentrent par le Québec, cela fait plus de 480 000 en 2023! Et en plus, je ne suis pas sûr qu’on compte ceux qui rentrent par Toronto, au moins 70 000 de plus… », précise l’un des vétérans du marché français, ancien conseiller touristique de la délégation du Québec à Paris et spécialiste du réseau de distribution, Bernard Personnaz. Il confirme la baisse marquée des agences françaises:

  • « au niveau du Fit, le Cercle des Voyages, gros joueur sur le Canada depuis toujours, me dit qu’en effet leur baisse de clientèle individuelle est autour de 20%. Même son de cloche chez d’autres TO.
  • au niveau des groupes, qu’un seul exemple: le groupiste Syltours me dit qu’en 2024, ils ne feront que 10 groupes, alors qu’en général, il faisait une cinquantaine de groupes chaque année sur le Québec. Syltours est catégorique: le Québec a un niveau de prix trop élevé pour sa clientèle de comités d’entreprises. Le TO me dit qu’un groupe au Canada est à peine moins cher qu’un groupe au Japon en 2024! »

(Photo: Syltours)

Sondage d’intention et la réalité

L’Alliance de l’industrie touristique du Québec, que nous avons interpellée sur le sujet, mentionne que selon la Veille touristique mondiale (Destination Canada, décembre 2023), en demandant quelles destinations les Français considèrent pour les deux prochaines années, le Canada arrive pratiquement ex aequo avec les États-Unis:

« Les indicateurs internes que nous avons pour le début de l'année démontrent une stabilité au niveau des recherches internet de vols, d’hébergements et d’activités quand on compare 2023 et 2024. Selon Statistique Canada, les entrées aux frontières ont également encore une bonne vitalité », ajoute l’Alliance.

Pour valider au final, s’il y a baisse ou pas; comme les touristes viennent par avion au Québec et non pas comme Jacques-Cartier, par bateau; nous avons demandé à Air Transat qu’elle était la situation pour 2024 par rapport à 2023: « Nous pouvons en effet vous confirmer avoir observé des fluctuations dans le volume de passagers entre la France et le Québec cette année. À noter que malgré ce petit ralentissement, nous ne sommes pas très loin des chiffres de l’an dernier... Bien que la croissance globale du nombre de passagers aériens continue d'augmenter. »

Alors comment expliquer ces écarts entre les intentions et la baisse marquée du réseau de distribution et une baisse légère des volumes aériens? Mon hypothèse qui serait à valider:

  1. La baisse marquée des ventes du réseau de distribution en 2024 est réelle;
  2. Comme la majorité des touristes français contourne le réseau de distribution classique pour venir au Québec, tout en ayant un intérêt élevé;
  3. Comme le prix du billet d’avion, dans leurs recherches sur la destination Québec, est élevé par rapport à d’autres destinations long-courriers[1], certains choisissent d’aller ailleurs malgré leurs intentions, mais une majorité compense le prix de l’aérien en réservant en direct un Airbnb ou un chalet (moins cher et pas de restaurants à payer) au lieu de l’hôtellerie traditionnelle et même la location directe avec des particuliers pour son véhicule, au lieu des locateurs automobiles officiels.
  4. Nous ne bénéficions pas de la hausse du tourisme français à l’international en 2024, car nos types de clientèles habituelles (dont les groupes « comité d’entreprise » qui ont amorcé leur déclin il y a déjà 20 ans) ne peuvent se payer le Québec de 2024 et nous n’offrons pas des séjours de luxe en quantité suffisante pour compenser cette baisse de nos clients traditionnels.

Bref, nous sommes en train de perdre notre compétitivité sur ce marché qui se transforme. Une fois de plus, les sondages d’intention ne sont que des indicateurs qui peuvent s’infirmer rapidement dès la rencontre d’un irritant par le consommateur, comme ici, le prix élevé du billet d’avion France/Québec par rapport à d’autres destinations.

Réflexions et pistes de solutions

  • Pour saisir ce qui se passe vraiment, sonder cet été-automne, à leur retour vers la France, à YUL, les touristes français sur leur satisfaction (sensibilité aux prix/qualité des prestations), mais surtout leur comportement d’achat avant et durant leur séjour au Québec afin de confirmer les parcours de recherches et d’achats. On ne peut anticiper un redressement éventuel sans cette connaissance, tout comme une étude des comparatifs des prix de l’aérien vers le Québec, comparé à d’autres destinations des touristes français.
  • Perdre l’étiquette de destination « cheap » n’est pas mauvais, pourvu qu’on sollicite alors de nouveaux segments de clientèles et que l’offre/la qualité soient en conséquence, car est-ce que notre offre se développe dans la bonne direction?
  • Le réseau de distribution est-il rendu un intermédiaire trop coûteux? Je ne crois pas, sauf pour la chaine trop complexe de l’agence française qui achète d’un TO français, qui lui achète d’un réceptif québécois, et sauf si nos réceptifs ne sont pas en mesure d’aligner leurs offres sur les attentes des touristes potentiels, tenant compte des coûts des fournisseurs de service québécois et de la disponibilité d’une offre plus haute de gamme;
  • Accélérer le développement d’expériences touristiques destinées aux marchés de luxe, les plus résistants aux polycrises que nous traversons et traverserons.

On saura bien, d’ici 8 mois, le résultat final de notre performance sur le marché français. Mais agissons dès maintenant afin que ces baisses soient conjoncturelles et non pas le début d’un réel déclin. On ne peut se passer de la France.


[1] Une étude comparative serait nécessaire afin de valider les témoignages de plusieurs opérateurs touristiques à cet effet.

 

  

Jean-Michel Perron
PAR Conseils
Blogueur et bifurqueur


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