Les «chiens touristes» – À vos bols! Ils arrivent: exemple parfait des enjeux de la durabilité en tourisme, par Jean-Michel Perron
(Source: Hôtel 10)
Je ne me ferai pas que des amis avec ce sujet mordant. Ne me montrez pas trop vos crocs. Mais loin d’être accessoire, il est trop important pour l’éviter. Alors, allons-y avec le canitourisme, ces animaux à 4 pattes qui font voyager leurs maîtres, souvent aisés financièrement, à tout le moins attachés émotionnellement à leur enfant/toutou.
Normalement, la question de savoir si ce marché touristique représente un bon potentiel ne se poserait même pas, C’est évident que oui! Mais nous ne sommes pas dans des temps normaux. Notre grille d’analyse en développement touristique change. Peser les «pour» et les «contre» en tenant compte de ressources limitées, de l’obligation de décarboner rapidement et de tenir compte d’un minimum de justice sociale. Dit autrement: alors que près de la moitié des Québécois n’ont même pas les moyens financiers de voyager, n’est-il pas éthiquement et environnementalement discutable de consacrer autant de ressources sur les 4 pattes?
La dynamique et sympathique PDG de l’AHQ, Véronyque Tremblay, a annoncé la réalisation d’une étude avec l’ITHQ portant sur l’accueil des chiens en hôtellerie.
Déjà l’AHQ dispose de données récentes: un sondage Léger de l’automne 2023 auprès des Québécois en voyage indique que 29% des clients sont à l’aise de rencontrer un chien; 36% indifférents et 35% défavorables (bruit et allergies). Lors du congrès de l’association, l’automne dernier, les hôteliers présents affirmaient à 74% accepter les animaux de compagnie avec une surcharge moyenne de 40$ pour le nettoyage.
«Selon une étude réalisée en 2021 par l’Association des Médecins vétérinaires du Québec, le nombre de propriétaires de chats et de chiens vivant dans les foyers québécois a bondi de plus de deux cent mille depuis le début de la pandémie. Aux États-Unis, l’American Pet Products Association estime que 78% des propriétaires de chiens considèrent leur animal comme un membre de la famille et plusieurs ne veulent plus partir en vacances sans lui. Il faut donc adapter l’offre touristique québécoise à ces habitudes de voyage, bien que cela suppose des questionnements autant pour les clients que pour les hôteliers.» – AHQ
Selon l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec, la population canine est de 1 118 000 au Québec avec 2 fois plus de chats (et beaucoup moins d’oiseaux).
Parlant de santé animale, tout comme pour les chirurgies esthétiques, les dépenses faites par les propriétaires de chiens sont phénoménales (et là aussi discutables dans un contexte de pénurie de médecins pour nous, les humains).
«Aux urgences, la prise en charge d’un golden retriever sera bientôt meilleure que celle d’une personne âgée», titrait Le Monde dans un article de juin dernier. Une opération à cœur ouvert peut représenter une facture de 30 000 euros.
Les animaux de compagnie sont de plus en plus humanisés, argue la chaîne vétérinaire IVC Evidensia (dont Nestlé est actionnaire) dans une note confidentielle destinée à de potentiels investisseurs: «La majorité des propriétaires d’animaux les considèrent comme des membres de la famille et seraient prêts à dépenser tout montant nécessaire pour garder leurs animaux en bonne santé.»
Nous ne sommes pas en reste, au Québec. Selon l’Association des médecins vétérinaires du Québec en pratique de petits animaux, il faut s’attendre à débourser de 1503$ à 2307$ par année pour répondre aux besoins d’un chien adulte et de 1099$ à 1384$ par année pour répondre à ceux d’un chat adulte. Cela comprend le coût de la nourriture, les soins vétérinaires et les assurances.
Dans un récent article du Devoir, on décrit la volonté d’un couple, aux revenus limités, à tout faire pour leur chien: «Ils ont également lancé une campagne de sociofinancement sur le site GoFundMe, qui a permis de recueillir 8110$ (sur un objectif de 15 000$) grâce à 156 contributeurs. La plateforme regorge d’ailleurs de campagnes visant à payer des soins vétérinaires.»
Dans un Québec champion de la vie en solo au Canada (19% pour la population générale, mais plus de 40% pour les 85 ans et plus), le chat et le chien occupent une place primordiale. Et ce n’est pas qu’en santé que l’on considère de plus en plus le chien comme une personne: La crèmerie La Léchée, dans La Petite-Patrie, propose depuis peu des gâteries glacées sans sucre élaborées sur mesure pour les chiens avec ingrédients et recettes importées d’Italie. Sur la rive sud de Québec, on peut aller faire masser son toutou. Avouez que c’est surréaliste, quand on pense à nos itinérants.
Mais revenons au tourisme. Toutourisme Québec est un concept français qui a comme objectif de faciliter le voyage des ménages avec pitou en dressant une liste des établissements où ils y sont les bienvenus. La porte-parole constate qu’on ne fait pas assez d’accueil aux 4 pattes touristiques au Québec. Elle trouve que «la différence de mentalité entre le Québec et le reste du monde est difficile à accepter». (!!!)
Il y a des établissements qui sont déjà bien actifs pour cette «clientèle». C’est le cas de l’Hôtel 10 à Montréal, qui offre un forfait spécial pour animaux, incluant un peignoir, une serviette, un shampoing et de la nourriture.
Impacts environnementaux des chiens
Une étude scientifique récente du Weizmann Institute of Science en Israël indique que les animaux sauvages terrestres combinent un poids total de 22 millions de tonnes. Les humains, 390 millions de tonnes et les chiens près de 22M de tonnes. Les chiens pèsent autant que la faune sauvage! Aux États-Unis, les chiens consomment 30% de la viande représentant autant de calories que ce que mange l’ensemble de la population française. Et comme on le sait, le bétail est un des grands émetteurs de GES de la planète. Pour devenir carbone neutre en 2050, les États-Unis devront diminuer, par année, la population de chiens de 10 millions d’individus. Le nombre de chiens augmente continuellement, mais la faune sauvage, elle, diminue drastiquement. Avons-nous, comme société et individu, les bonnes priorités? Je comprends l’apport majeur (zoothérapie) de nos animaux domestiques, mais n’y a-t-il pas déséquilibre, dont en tourisme?
Selon l’ingénieur français Jancovinci, avoir un chien représente une tonne de CO2 par an. Sachant que l'empreinte carbone d'un Québécois est d’environ douze tonnes de CO2 par an, on augmenterait son empreinte carbone de 8% par chien, ce qui n'est quand même pas négligeable. « Les chiens peuvent aussi pousser à acheter une voiture un peu plus grande, parce qu'on veut avoir la place de pouvoir l'emmener quand on part en vacances… L'idéal est de réfléchir à ne pas être obligé d'augmenter la taille de la voiture, de l'espace habitable et de ne pas lui acheter du tournedos tous les quatre matins», ajoute Janco.
Il faut aussi se rappeler que pour atteindre la carboneutralité, il faut que chaque personne vivant sur Terre produise, en moyenne, un maximum de 2 tonnes de GES par année... alors 1 t par chien, c’est trop.
Tourisme de luxe et le monde canin
(Un couple américain avec leur jeune chien Albert montant à bord d’un vol de
«K9 Jets» du New Jersey vers l’Angleterre, mai 2023. Source: NY Times)
Pour assurer la création de richesse par le tourisme, le Québec se doit de développer son tourisme de luxe, car malgré l’iniquité de l’écart de richesse entre le 1% des plus riches et le reste de la population; malgré l’usage prononcé de l’avion par cette clientèle (1% de la population génère 50% des GES provenant de l’aérien), nous ne pouvons, dans une approche d’équilibre durable entre l’environnement, le social et l’économique, simplement écarter cette clientèle qui voyage beaucoup avec leurs chiens (d’ailleurs, espérons que l’étude à venir de l’AHQ va évaluer le profil socioéconomique des touristes qui voyagent avec leurs chiens). Il faudra plutôt penser à de fortes mesures d’atténuation et de réelles compensations/régénérations, plutôt que de renoncer à ces clientèles aux poches profondes.
Pourquoi la nécessité de ce marché du luxe? C’est le seul segment touristique qui traversera, au cours des prochaines années, les crises économiques, sociales et politiques sans trop d’égratignures, sauf si nous rencontrons à nouveau une pandémie...
Tourisme Québec a ainsi bien raison de cibler le tourisme de luxe, mais on a «des croûtes à manger» pour livrer les expériences attendues par les plus riches.
CONCLUSION
Dans une approche durable et dans la perspective de création de richesse en tourisme, il faut être réalistes et considérer nos priorités et notre responsabilité sociale. Les fonds publics, via diverses subventions, doivent considérer l’ensemble des impacts et donner ainsi trop la priorité aux chiens-touristes, au lieu de rendre le tourisme et les loisirs plus accessibles à nos concitoyens moins fortunés ou en situation de handicap, est irresponsable et moralement discutable.
Ceci étant, je soupçonne que le tourisme de luxe est souvent indissociable du canitourisme. Dans lequel cas, on ne peut que considérer cette dimension et proposer des services en conséquence sur ce segment de marché.
L’humain, on le sait, n’est pas le centre de l’univers, ni le roi de la biodiversité. Mais dans le contexte des ressources qui ne sont pas infinies, peut-on moralement et éthiquement donner une place importante au canitourisme face à une bonne partie de la population? La vitesse à laquelle il faut changer nos habitudes de vie pour minimiser la catastrophe climatique et les enjeux sociétaux n’est pas compatible avec le niveau de vie et la liberté individuelle égoïste qui ne tient pas compte du bien-être de la majorité. Et tout débat sur la liberté individuelle est passionnel, je le sais, incluant questionner le nombre de chiens et de chats qu’on a au Québec.
En terminant, cette photo, très à propos, sur la différence entre le chien et l’humain en hôtellerie. Et permettez-moi de citer aussi un proverbe chinois (que j’ai un peu adapté) à l’opposé de l’approche canine occidentale:
«Si ça a des pattes et que ce n’est pas une table, je le mange; si ça a des ailes et que ce n’est pas un avion, je le mange, et si ça a une queue et ce n’est pas une file à l’aéroport, je le mange».
(Source: page LinkedIn d’Ariane ABITBOL)
Jean-Michel Perron
Jean-Michel Perron
PAR Conseils
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