Forêt québécoise : peut-on encore compter sur elle pour compenser nos GES en transports touristiques? – Entrevues exclusives avec 2 scientifiques d’ici, par Jean-Michel Perron

Transports, Économie, Tourisme durable · · Commenter

«Les arbres ne nous seront d’aucun secours pour freiner les changements climatiques», retrouvait-on dans un article récent du Devoir citant Catherine Potvin, biologiste forestière, réputée internationalement. Si avéré, ça veut dire que de compenser nos transports aériens et terrestres — les 3/4 des GES en tourisme — dans un programme de compensation par la plantation d’arbres est inutile.

Les forêts au Québec, situées majoritairement sur des terres publiques, représentent 54% de notre territoire, largement plus grandes que la superficie de la France. Pour notre tourisme, avec ses centaines de milliers de lacs et de rivières, c’est là que se joue l’avenir du tourisme de plein air et autochtone.

Évidemment, nous avons voulu fouiller la question afin de savoir s’il est trop tard pour pouvoir compter sur notre forêt, car elle est essentielle dans toute stratégie durable en tourisme (utiliser la compensation pour devenir carbone neutre) et par ricochet, comprendre vers quoi notre forêt québécoise se dirige.

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Catherine Potvin

Cette biologiste forestière, professeure à l’Université McGill depuis plus de 30 ans et ex-négociatrice du Panama dans les grandes conférences climatiques, siège sur le comité consultatif sur les changements climatiques du gouvernement du Québec.

«Les conséquences de nos actions sont trop grandes pour me taire.» Catherine Potvin veut que les choses changent, et vite. Une telle position publique chez des scientifiques de haut calibre est un nouveau phénomène qui nous indique l’urgence de la situation.

«La séquestration du carbone, peu importe comment, doit venir compléter et non remplacer la réduction de nos émissions carbone. L’urgence actuelle est de maintenir nos forêts actuelles saines et fonctionnelles.» 

Elle suggère au secteur touristique. — «si vous voulez vraiment minimiser votre impact» — d’investir prioritairement dans le transport en commun urbain et interurbain, idéalement fonctionnant aux énergies renouvelables, plutôt que de planter des arbres. Et rendu à destination, favoriser les déplacements à pied et en vélo sur de petites distance (e.g. 1 à 5 km) ce qui implique que nos villes et villages offrent des trottoirs et des pistes sécuritaires à l’année…

Couper au maximum ses déplacements aériens est une évidence pour elle. «Mais dire qu’on arrête tout n’est pas réaliste». Il faut user du gros bon sens, affirme-t-elle: «Qui suis-je, avec nos hivers, pour juger un couple de Baie-Comeau qui va aller passer 2 semaines à Cuba en hiver?».  Il faut choisir lequel des voyages en avion est réellement important et éviter les autres.

«Les forêts sont en train de devenir émettrices. Il y a vraiment des données sérieuses qui démontrent que c’est une tendance lourde de la plupart des écosystèmes forestiers du monde. Nous, on avait été relativement épargnés au Québec, mais là c’est assez clair qu’on ne l’est plus», croit-elle

Ainsi, une des questions fondamentales est de savoir si la forêt boréale au Québec peut jouer encore son rôle de puits de carbone positif, ou est-elle devenue émettrice de CO2Certaines autres données affirment que c’est le cas depuis 2001.

Pour nos forêts qui se transforment par les feux, les hausses de température et l’exploitation forestière, l’urgence est de protéger nos forêts primaires et de donner ailleurs un coup de pouce par la plantation de nouvelles essences d’arbres plus résilientes, selon l’experte scientifique. Et s’inspirer des approches traditionnelles autochtones pour le contrôle des feux.

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Claude Villeneuve

Claude Villeneuve est biologiste. Il a partagé sa carrière entre l’enseignement supérieur, la recherche et les travaux de terrain en sciences de l’environnement à la Chaire en écoconseil à l’UQAC et dirige l’infrastructure de recherche «Carbone boréal». Il est un spécialiste internationalement connu pour ses travaux sur le développement durable et l’analyse systémique de durabilité.

«Y a pas le feu au lac», réagit ironiquement Claude Villeneuve à l’évaluation récente de l’agence Copernicus de l’Union européenne sur les feux de 2023 au Québec, qui auraient libéré 246 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère en date du 1er août, ce qui représente trois fois plus que les émissions totales annuelles de l’inventaire national… pour 1,5 million d’hectares de territoire identifié sur les cartes de la SOPFEU. «Il faut prendre ce genre de mesure avec précaution. D’abord, les incendies de forêt qui ne sont pas allumés par des humains, comme c’est le cas pour la plupart de ceux qui nous ont affectés cette année, font partie du cycle naturel du carbone. Chaque année, il y en a, et normalement, les forêts recolonisent le territoire par leurs graines et recommencent un nouveau cycle. C’est comme cela depuis la déglaciation avec des fluctuations périodiques de plus ou moins grande fréquence selon les paramètres climatiques, comme le Petit âge glaciaire. Pour savoir si la forêt émet plus de CO2 qu’elle n’en capte, il faut regarder des séries temporelles longues. Ce n’est pas pareil lorsque les incendies sont allumés par les activités humaines comme en Amazonie, par exemple, et que l’usage des terres est changé. Ce n’est pas le cas au Québec.

Par ailleurs, les incendies laissent d’importantes quantités de biomasses non consumées. On ne peut pas faire l’adéquation entre le carbone présent dans la biomasse et les émissions de CO2. Par exemple, les compagnies forestières récoltent actuellement une partie du bois brûlé, ce qui conserve les arbres verts qui leur avaient été attribués. C’est d’autant plus de carbone stocké par les arbres par rapport au scénario de référence. Enfin, il y a forêt et forêt. Les arbres avaient quel âge? Avaient-ils un stock suffisant de graines pour refaire des forêts denses? Le feu a-t-il brûlé les sols en profondeur? Il faut des mesures sur le terrain pour mieux comprendre.

C’est ce que nous allons mesurer dans nos plantations Carbone Boréal qui ont été affectées par les feux de 2023. Heureusement, cela n’a pas affecté la valeur des compensations souscrites par les gens qui utilisent notre infrastructure de recherche puisque nous disposons de larges réserves d’arbres non attribués comme tampons pour pallier à ce genre d’événements.

Il ne faut pas confondre le micro et le macro, et surtout éviter de diagnostiquer une tendance à partir d’un événement ponctuel. Je suis inquiet, bien sûr, de l’évolution de nos forêts dans un contexte de changements climatiques, mais je demeure convaincu qu’avec des interventions ciblées pour augmenter leur résilience, les forêts du Québec font partie de la solution bien plus que du problème.»

Le scientifique précurseur et «sur le terrain», estime que le mélèze et le peuplier faux-tremble sont, entre autres, des essences pertinentes pour rendre notre forêt boréale plus résiliente à l’avenir, dans le contexte des changements climatiques rapides.

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Le forestier en chef du Québec, Louis Pelletier

Dans une sortie publique inhabituelle, notre forestier en chef se dit inquiet. Il estime que les pratiques forestières doivent s’adapter aux changements climatiques, dans un contexte où 15 000 kilomètres carrés de forêt ont brûlé dans au Québec cette année. Notre régime forestier (prélèvement du bois commercial) est dépassé. Il faut avoir une vision holistique de notre forêt.

Enfin, je lui dirais! Mais il faut aussi penser, dans cette réflexion, à la future cohabitation des usages autres que le prélèvement, dont le tourisme…

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Mes conclusions  (Catherine P. et Claude V. sont d’accord avec celles-ci) :

  1. Compenser ses émissions de carbone en tourisme par un programme de compensation (Planetair, Carbone Boréal, etc.) est la dernière étape devant mener à la neutralité carbone. Avant, il faut réduire nos activités émettrices et surtout remplacer/refuser/diminuer toute activité/produit nécessitant l’usage d’énergies fossiles et cesser toute déforestation;
  2. Il faut savoir qu’un arbre prend 80 ans pour pousser au Québec; alors compenser aujourd’hui en plantant des arbres ne nous aidera pas à court terme à diminuer le CO2, de surcroit dans un contexte avec les risques d’accélération des feux de forêt. Mais ça nous aidera fort probablement à moyen et à long terme, surtout avec des entités responsables telle que Carbone Boréal, car souvent, ailleurs, la compensation carbone relève de l’écoblanchiment (lire ici l’article de Libération sur des crédits carbone);
  3. Il faut impérativement protéger ce qu’il nous reste de nos forêts primaires et régénérer des terres dégradées par l’agroforesterie et la régénérescence des zones de «non-forêt». Le gouvernement du Québec s’est engagé à protéger au minimum 30% de notre territoire d’ici 2030;
  4. La forêt québécoise, inévitablement, se transforme physiquement avec, entre autres, des zones qui vont ressembler au sud de la Saskatchewan, avec ses aires ouvertes et de nouvelles essences d’arbres à privilégier;
  5. Régénérer et mettre en valeur notre forêt est une opportunité de coopération de «nation à nation» et de respect fondamental avec les communautés autochtones du Québec;
  6. Il y aura, à court terme, une réflexion au Québec sur le partage du territoire forestier. Le secteur touristique devrait, d’une seule voix, s’affirmer, réclamer des droits d’usage solides et présenter le tourisme comme une alternative durable dans certaines zones, en complémentarité aux mines et à l’exploitation forestière.

 

Jean-Michel Perron


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