Ce curieux Personnaz! Entrevue d’un vétéran du tourisme, le plus québécois des Français, par Jean-Michel Perron

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J’ai rencontré la première fois Bernard Personnaz à la Délégation du Québec à Paris à la fin des années 80. Déjà sa passion du Québec et son professionnalisme contribuaient au bonheur de faire connaître et aimer le Québec auprès de ses compatriotes. Il est un cas à part, en 2024, toujours aussi hyperactif et volubile après 52 ans de carrière en tourisme.

1. Parle-nous de ta carrière en tourisme

Une fois mon diplôme de l’École supérieure de commerce en poche et mon service militaire terminé, j’ai choisi de travailler dans le secteur du tourisme en 1971, et j’ai passé 15 ans dans la commercialisation de 3 opérateurs de villages de vacances, ce qui m’a permis de visiter 3000 agences à l’époque. J’ai aussi été directeur des ventes des 2 plus gros autocaristes français avant 2 ans de chômage à 40 ans!

C’est la Délégation du Québec qui m’a donné ma chance de me relancer en 1987 en me confiant la promotion de la destination en France auprès de tous les professionnels! Je change ainsi du secteur privé au secteur public (une expérience!) avec 10 ans de rencontres exceptionnelles, l’organisation de 40 famtours (éductours), des contacts constants avec les prestataires de l’industrie, qui viennent rechercher des contacts en France…

Depuis, je ne les ai plus jamais lâchés, car quand la Délégation générale du Québec à Paris (DGQP) a fermé son « office du tourisme », le directeur marketing du MTO m’a suggéré de rentrer dans la société privée de représentation du Québec, la toute nouvelle entreprise « Destination Québec », pour la même mission finalement. Au total, 20 ans passés à promouvoir la destination Québec…

 2. Il me semble que la délégation du Québec à Paris jouait auparavant un plus grand rôle en tourisme? Qu’est-ce qui a changé?

La DGQP n’a fait que suivre ce que son gouvernement lui demandait : continuer à représenter le Québec en France sur les plans politique, économique, culturel, immigration, coopération, etc. Et quand les budgets ont été resserrés dans les années 95, elle a dû accepter, sans doute à regret, de se séparer de ce service dynamique.

Mais quand Destination Québec a remplacé l’OTQ, nous avons continué à avoir des budgets très conséquents qui nous ont permis de faire de belles opérations comme le Québec Express (un train qui parcourait la France aux couleurs du Québec), des campagnes d’affichage métro, une campagne de pub remarquée dans les cinémas des bourses et salons en France et en Belgique, dans la lignée des 9 bourses « Atelier Canada » démarrées avec l’OTQ et l’OT du Canada. Nous avons plus que jamais poussé les journalistes à écrire sur le Québec.

Finalement, le Québec a toujours été très présent en France malgré les coupes budgétaires. Un chiffre : juste avant la COVID, les touristes français étaient à plus de 450 000 au Québec et cela sans compter les milliers qui rentraient par l’aéroport de Toronto et qui je crois n’étaient pas comptabilisés dans ce chiffre.

3. Que fais-tu précisément aujourd’hui?

Quand j’ai quitté la direction commerciale de Destination Québec, pas très loin de la retraite, j’ai eu envie de m’occuper non pas de « la destination Québec » mais de quelques prestataires du tourisme québécois qui me plaisaient et que je pourrais aider à travailler de plus près encore avec le réseau de distribution d’Europe francophone. J’en ai eu jusqu’à 5 et je n’en ai conservé que 3 que j’appelle « mes coups de cœur ». (ndlr : voir photos ci-après)

Désormais, comme à mes débuts, je revisite des agences ciblées sur toute l’Europe. Finalement, rien de mieux que le contact direct avec les vendeurs et les TO. Je vais aussi régulièrement au Québec pour rencontrer les réceptifs et m’assurer que mes 3 prestataires sont bien référencés. En somme, je fais l’interface entre DMC et voyagistes.

La base de données que j’ai démarrée pendant ma période de chômage et que je continue plus que jamais m’est très utile pour toutes mes opérations. Elle atteint 25 000 contacts aujourd’hui, dans le monde entier!

Parc Oméga, Outaouais

Auberge Le Baluchon, Mauricie

Le Cap-Aux-Pierres, Charlevoix

4. Est-ce que les touristes français ont changé depuis 30 ans? Comment?

Oui. Autrefois, la clientèle allait dans les agences et repartait avec un catalogue créé par des TO aux marques connues. Même chose pour les groupistes et leurs clientèles de groupes de CE (comité d’entreprises) ou d’autocaristes.

Depuis qu’Internet existe, depuis le développement des plateformes de résas, notamment dans l’aérien, l’hôtellerie et maintenant dans les résas d’attractions, tout a changé dans tous les secteurs du tourisme. La désintermédiation est en marche. Les agences que je rencontre parlent toutes des changements de comportement de leur clientèle. Par exemple, avant, dans les brochures, les TO mettaient des voyages « à la carte ». Maintenant, on ne parle que de « voyages sur mesure » c’est-à-dire adaptés à chaque client, qui je le rappelle, regardent d’abord presque tous sur Internet. Cette tendance correspond d’ailleurs à l’individualisation de la société. Cela se ressent dans tous les domaines. Les agences ont donc dû s’organiser, les TO créer des outils de réservation entre eux et les agences, les DMC également avec des plateformes de réservation entre elles, les TO et désormais certaines agences. Ils ont également dû partir à la recherche de produits qui correspondent plus à ce que leurs clients leur demandent. Et les prestataires ont dû s’adapter à tous ces changements, monter des forfaits, offrir des expériences…

5. Que veulent faire les Français en 2024 au Québec?

Justement, les clients veulent faire des « expériences » et cela, sur toutes les catégories d’âge. Des jeunes, des couples, des familles des retraités… Je ne vous apprendrai rien en vous disant que sur place, on regarde son téléphone, on cherche son restaurant, son hôtel, que faire dans le coin. On cherche aussi ce que d’autres ont écrit dans les réseaux sociaux. Tiens, il y a une chocolaterie dans le coin? On y va. On choisit en fonction de ce que l’on voit sur place. C’est pour cela aussi que toute la profession doit s’organiser pour la période du « slow tourisme ». Les DMC s’adaptent peu à peu.

6. On dit que les Français adorent le Québec, mais dans les faits, les États-Unis ont toujours attiré plus dans leurs intentions de voyage. Comment expliquer ça?

Bien avant que le Québec ne soit sur la « map », les États-Unis étaient très populaires en France. L’image de la Route 66 et des routards, la ville de New York, la Californie, avec chanson à succès chantée par Julien Clerc en 1971. Ils continuent à l’être avec une desserte aérienne incroyable partout, même si les prix ont augmenté cette année. Comment expliquer cela? C’est peut-être « le rêve américain » qui continue…

Personnellement, je pense dans ma tête que le Canada et le Québec, cela n’a rien à voir avec les États-Unis, même si les deux sont en Amérique du Nord : différences de langues, de culture, de civilisation…

Il y a en effet plus de Français aux États-Unis (1,8 millions en 2020 contre près de 670 000 au Canada en 2019).

7. Crois-tu qu’avec les changements climatiques et les grandes chaleurs/sécheresses en Europe, le Québec, avec son climat tempéré et sa neige l’hiver, représente dans l’avenir une plus grande opportunité de voyage pour les Européens du Sud?

J’en doute beaucoup! On est en pleine période de réchauffement climatique et vous en savez quelque chose, en ce début d’année 2024! Cela a d’ailleurs durement été rappelé l’hiver dernier, dans l’émission télé renommée « Enquête exclusive », qui a fait état du réchauffement climatique, où le présentateur a dit que le Canada se réchauffait 2 fois plus vite que le reste de la planète, ce que j’ai quand même du mal à croire!

8. Tu es ministre du Tourisme au Québec. Quelles sont tes priorités?

Vous avez une ministre du Tourisme qui communique déjà beaucoup. Mais même si cela ne m’arrivera probablement pas, j’accentuerais encore plus la communication de nos instances professionnelles ici, en Europe, représentées par Bonjour Québec. Je vous donne un seul exemple.

Du temps de « Québec Original », le bureau de représentation juste avant Bonjour Québec, les possibilités de participation de certains prestataires québécois étaient acceptées et même voulues, aux côtés des ATR, compagnies aériennes, ATS ou autres et tout le monde (ou du moins les partenaires choisis par l’AITQ participaient à la promotion de toute la destination). Ainsi, les agences et les TO invités pouvaient rencontrer des hôtels comme les miens, des attractions et des prestataires locaux qui avaient les moyens de venir en France. Les TO et les agences étaient intéressés de les rencontrer, surtout que la donne a changée, comme je le disais plus haut. C’était vraiment des opérations win-win… Maintenant, ce n’est plus possible. Certes, les ATR nous représentent, mais c’est à mon avis dommage de limiter l’offre.

9. Quelles sont les forces du Québec en tourisme?

Évidemment la nature, les lacs, les forêts, les grands espaces, les animaux aussi, comme les baleines, les loups ou les ours. Les villes aussi, bien sûr. Mais aussi la rencontre avec les gens, les Québécois et leurs expressions si amusantes qui marquent les touristes pour longtemps. Et puis faire un si long déplacement en Amérique du Nord, dans un pays où l’on parle le français et où l’on découvre une autre culture, cela est une force incontestable

10. Quels sont ses points à améliorer?

C’est compliqué de répondre à cette question. Ce que j’entends de la part des 150 contacts que je rencontre, c’est la maitrise des prix et du service. Je sais que tout augmente partout, mais les prix de la nourriture au Canada sont extrêmes, au point de faire considérablement baisser la demande. Un voyage au Québec, c’est désormais 20% de plus qu’en 2022… Un exemple : on lit dans un journal professionnel que la baisse prévisible pour le Canada en décembre 2023 serait de 38%. Ce sont des chiffres du Seto (Syndicat des Entreprises du Tour Operating) qui réunit une cinquantaine de TO. Plus raisonnablement, un gros TO que je visitais la semaine dernière faisant état de 20% en 2024. Et un groupiste, lui, me disait qu’il était passé de 50 groupes/an en 2023 à 10 en 2024. Le prix et le service sont sûrement responsables de cette baisse, bien qu’il existe aussi une clientèle à hauts revenus.

11. En France, il est tendance de souhaiter que les Français voyagent moins loin à cause de l’empreinte carbone des avions longues distances. C’est inquiétant pour le tourisme québécois?

J’ai du mal à répondre à cette question. On lit cela, en effet, et les extrêmes disent qu’il ne faut prendre l’avion que 4 fois dans une vie! 4 fois dans une vie, au moment où les vols en Europe des cies régulières sont dominés à 50% par des compagnies low-cost et au moment où Ryanair, qui a transporté 183,5 millions de passagers en 2024 avec 534 avions, vient d’annoncer qu’elle vise 300 millions de passagers en 2034, avec 800 appareils. J’ai du mal à croire que les Français vont moins voyager en avion! En revanche, ils peuvent comprendre de rester plus longtemps sur place, au moins la clientèle FIT, puisque celle des groupes continue à faire des voyages de 2 semaines et parfois moins.

12. Quelle a été ta plus belle expérience touristique à vie au Québec?

C’est celle que je vis actuellement, complètement passionné par la mise en marché de mes 3 prestataires, le Parc Oméga, le Baluchon et l’hôtel Cap aux Pierres sur la ravissante Isle-aux-Coudres! C’est le résultat de 17 ans de mise en marché auprès des professionnels d’Europe. Et en plus, on me confie maintenant l’animation de l‘équipe commerciale du Parc Oméga.

13. Pourquoi aimes-tu si intensément le Québec?

Parce qu’il m’a fait confiance! Certes, mes différents postes dans le tourisme avant avaient été intéressants. Mais les boites ont disparu, se sont transformées, etc. Là, si je calcule, cela fait 37 ans que je travaille pour la destination et ses prestataires, finalement, et on me le rend bien : souvent avec humour et sympathie! La confiance, c’est cela l’essentiel, le moteur de la vie!

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Merci Bernard de donner de la couleur à notre industrie. Pour ceux et celles qui avez la chance de le connaître et d’apprécier son sens de l’humour subtil ou lorsque vous le rencontrerez dans un salon international, ne manquez pas de lui demander de faire son imitation très réaliste du décollage d’un hydravion. Une pièce d’anthologie sonore hilarante qui montre qu’au-delà des tractations commerciales en tourisme, se dissimule une personne très attachante.

 

  

Jean-Michel Perron
PAR Conseils
Blogueur et bifurqueur


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