Les croisières internationales au Québec s’éclatent – Quand poserons-nous les gestes responsables requis?, par Jean-Michel Perron
Depuis la publication de mes recherches sur les croisières internationales au Québec en novembre dernier, incluant mes suggestions d’actions constructives pour transformer ce secteur, c’est le silence radio dans l’industrie du tourisme. Que les navires de croisières soient le plus polluant type de tourisme au Québec semble laisser indifférents le ministère du Tourisme et les autres intervenants du milieu. Dissonance cognitive, je présume.
Il faut dire que les ports du Québec font le maximum pour devenir durables. Il existe même une certification pour eux, à laquelle plusieurs adhèrent avec conviction : l’Alliance verte. Voyez ici les actions concrètes du port de Montréal. Mais le problème n’est pas qu’à quai. Il est dans l’air, sur les navires et dans l’eau du Saint-Laurent. Et sur ces volets, la majorité des compagnies de croisières n’agissent pas comme l’urgence environnementale le commande. Ce n’est pas moi qui le dis, mais le CEO d’une compagnie de croisières crédible.
Quand une compagnie de croisière réputée dénonce l’écoblanchiment de CLIA
Dans cette vidéo d’échanges éclairants à Berlin lors d’ITB 2024 en mars dernier, voyez comment le CEO d’Hurtigruten, le leader mondial des croisières d’expédition depuis 130 ans, avec ses 14 navires, critique l’inaction et l’écoblanchiment de l’association internationale des croisières (CLIA) qui représente 95% des compagnies de croisières mondiales. La directrice-générale de CLIA Europe, Marie-Caroline Laurent, patine du mieux qu’elle peut…
Daniel Skjeldam, CEO Hurtigruten
Voici les meilleures lignes de M. Skjeldam:
- « Si j’étais Barcelone ou Dubrovnik, c’est certain que je n’accepterais pas de navires de croisière à cause des trop faibles retombées locales. Les passagers arrivant par avion sont bien plus rentables pour une destination… »
- « C’est aux gouvernements et aux ports à mettre leurs exigences envers les compagnies de croisières. »
- « Nous, les compagnies de croisières d’expédition, notre leitmotiv est « A good place to visit is a good place to live! » Alors on s’arrange pour maintenir et participer à la qualité de vie des communautés que nos passagers visitent...
- « Vous dites, Mme Laurent, vouloir devenir durable en 2050, mais que vous ne pouvez agir plus rapidement. Pourtant, demain matin, comme 50% des navires de vos membres fonctionnent encore au mazout lourd, ils pourraient au moins utiliser le Marine Gas Oil, moins polluant, mais ils ne le font pas, car cette essence est plus chère… »
- « Nous avons, comme industrie, 10 ans, pas 25 ans, pour se transformer durablement, sinon, on court à notre perte… »
- « Le problème, avec les gros navires, c’est qu’ils ne laissent pas assez de retombées locales. »
Le prochain test du secteur, en durabilité: les bornes de recharge à quai de Québec
« Dans 25 ans, l’industrie devra être carboneutre et l’un des principaux moyens sur lesquels les compagnies misent, c’est le branchement électrique à quai, nous dit René Trépanier, directeur général de l’ACSL... L’avantage que l’on a, au Québec, c’est l’hydroélectricité; le projet est donc d’installer deux bornes de branchement électriques au port de Québec. C’est un projet majeur, un élément déterminant pour le futur des croisières, mais ça représente des coûts très importants. Il faut absolument que l’État investisse là-dedans. » – La Presse, 14 avril 2024.
L’électrification à quai, comme vous l’avez entendu dans la vidéo précédente, de la bouche de l’un des patrons de la MSC Cruises, permet en priorité d’améliorer grandement la qualité de l’air viciée par les polluants des moteurs à mazout qui tournent 24 heures sur 24 à quai. Au Québec, seul le port de Montréal possède des bornes à quai, mais il faut dire qu’une majorité de navires (53%) n’ont pas le système pour se brancher, car plusieurs compagnies (un navire a une durée de vie de 30 ans) refusent de payer la transformation requise à bord du navire pour se brancher.
Photo : Radio-Canada. La première borne électrique pour navires de croisières inaugurée au port de Montréal en 2017.
De son côté, le port de Québec veut se brancher rapidement. On parle ici de 45 millions$ pour l’acquisition et l’installation sur trois quais et autour de 200 000$ par année en opération, pour autant que le gouvernement du Québec alloue, par Hydro-Québec, l’accès à l’énergie verte requise. Autant dire tout de suite que ce n’est pas demain la veille que les plus petits ports du Québec pourront offrir des bornes, surtout si la volonté de CLIA, par la bouche de l’ACSL, veut que ce soit l’argent des contribuables qui règle la facture salée.
Bref, nous sommes en totale contradiction avec le principe du pollueur-payeur. Les compagnies de croisière milliardaires, dont plusieurs sont dans les paradis fiscaux, comptent sur l’argent des contribuables québécois et canadiens pour se décarboner et dépolluer l’air à quai? Est-ce ça le modèle de développement durable qu’on se souhaite pour le Québec? Les profits aux multinationales et les dépenses pour nous? Tout ça, sans débat, ni modèle de financement alternatif?
La pollution massive des eaux du Saint-Laurent et la maximisation des retombées locales nettement exagérées par certaines études d’impacts économiques complaisantes sont des enjeux de taille à ne pas perdre de vue, même si le singe a les deux mains devant ses yeux pour ne pas voir, devant ses oreilles pour ne pas entendre et devant sa bouche pour ne pas parler. Les citoyens du Québec, les PMEs touristiques locales et le fleuve Saint-Laurent méritent mieux comme développement touristique.
Jean-Michel Perron
PAR Conseils
Blogueur et bifurqueur
À lire aussi:
- Parmi les 20 meilleures destinations de vélo de montagne au monde: la région de Québec!
- Suggestions pour l’avenir de notre tourisme en prévision des prochaines Assises
- Airbnb, à Montréal, contribue à la crise du logement. Il faut l’interdire pour la location à court terme! – Entrevue avec Adam Mongrain de Vivre en Ville
- Shipeku : attestation en durabilité remise à 17 entreprises
- Tourisme régénératif – Entrevue avec 2 jeunes émigrantes qui redonnent au Québec!
- PMEs touristiques: les 9 priorités en développement durable. Cochez et passez à la suivante
- Cessons de se berner sur l’avenir du tourisme – Résumé de la conférence de Travel Foundation à ITB Berlin
- GreenStep s’enracine au Québec – William Hogg, 1er représentant québécois de cette certification
- Les «chiens touristes» – À vos bols! Ils arrivent: exemple parfait des enjeux de la durabilité en tourisme
- Mes 2 souhaits pour 2024 : dans le panier les cellulaires et préserver le français en tourisme au Québec
- Une approche 360 de l’accessibilité : Chalets Lanaudière innove
- Olivier Marcoux – Condamné à réussir
- Les bonnes et les mauvaises pratiques 2 + 2 + 2 en 2 minutes
- OPINION – Le tourisme durable : bar ouvert pour certains consultants
- Tourisme au Québec : priorité au transport durable!
- Quand nos terroirs distinguent le Québec!
- Tourisme accessible : des actions qui changent le visage du Québec – Entrevue avec Bruno Ronfard, dg de Kéroul
- Symposium annuel de Tourisme durable Québec : la force tranquille d’une communauté vraiment engagée!
- Croisières internationales au Québec
- Grande conférence de l’Alliance – Une invitation à se transformer en profondeur
- Forêt québécoise : peut-on encore compter sur elle pour compenser nos GES en transports touristiques? – Entrevues exclusives avec 2 scientifiques d’ici
- Le tourisme indurable
- Transport & tourisme durable au Québec – Partie IV: marketing durable & communication responsable
- La connaissance des flux touristiques: à la recherche du Saint-Graal en intelligence touristique – Entrevue avec Destination Québec cité
- Caroline Voyer – La pionnière d’un tourisme durable au Québec change de secteur
- Tourisme Québec publie son plan stratégique 2023-2027: plus d’ambition svp
- Transport & tourisme durable au Québec – Partie III : Transformer la mobilité touristique en ville
- Josée Lelièvre, du Ruby Foo’s, prêtresse de la coopétition pour la durabilité!
- Nous y sommes – Le temps de l’adaptation et de la résilience en tourisme est arrivé: pourquoi et comment agir?
- Martin Soucy – L’intrapreneur à la force tranquille
- Paule & Benoit : le couple visionnaire de Piopolis
- Olivier Donzelot : le Suisse durable de Québec
- Transport & tourisme durable: plus de 75% de notre empreinte carbone: quoi et comment s’attaquer à ce défi prioritaire
- Assises du tourisme 2023 : optimisme, mais œuvre inachevée
- SHIPEKU : le programme du tourisme autochtone durable
- Isabelle Duchesneau : Inspiration avec une femme engagée
- Bons baisers de Berlin – Prof Joachim, mon idole allemande
- Bons baisers de Berlin – Volet 1 : Inspirations au plus grand salon touristique mondial
- OPINION: L’argent en tourisme durable
- ENTREVUE: Julie Roussel, la passionnée du tourisme durable
- Colloque sur l’identité culinaire québécoise: le plus fascinant de nos événements touristiques professionnels
- ENTREVUE - ÉAQ, la mère des associations sectorielles
- Le bénévolat et le tourisme religieux : deux pans négligés de notre tourisme
- Arrivée d’OpenAI
- Chalets Lanaudière et InterContinental Montréal: les deux premières organisations certifiées Biosphère au Québec
- Afficher l’empreinte carbone des expériences touristiques
- Tourisme durable québécois: sommes-nous performants dans notre transition?
- La Grande Conférence du tourisme 2022 à Québec
- Une nouvelle taxe touristique pour les Îles dès 2023. Bon ou mauvais?
- Il n’y a pas que le tourisme durable qui est tendance
- Aussi essentielles qu’un site Web : bornes électriques et certification
- Le courage de repenser le développement touristique au Québec
- Le tourisme durable : où en sont les Français?
Les plus commentés