Aurore Courtieux-Boinot : Repenser ses pratiques commerciales, une tasse à la fois, par Jean-Michel Perron
Série d’entrevues avec des femmes d’exception qui transforment notre tourisme. Le mois dernier, Julie Roussel de l’ÉAQ, récemment Isabelle Duchesneau, spécialiste de la santé globale. Aujourd’hui, Aurore Courtieux-Boinot de La Vague et de la Coopérative Incita. |
J’avoue que simplifier l’impact sociétal et durable d’Aurore à une tasse est un peu simpliste, mais en même temps représente bien le côté pragmatique de cette femme d’action, spécialiste de la restauration durable, détentrice d’une maîtrise en environnement. «La Tasse», est consignée contre un 5$, remboursable dans un réseau de 400 restaurants et cafés à travers le Québec.
1. (JMP) Qu’est-ce qui t’a amené à t’impliquer professionnellement dans le volet durable avec les restaurateurs.trices? Tes motivations?
En 2018 à Villeray, mon quartier de l’époque, des cafés constataient les grands volumes de déchets avec leur logo dessus dans les poubelles du quartier! Nous avons alors construit ensemble un projet pilote dans lequel 12 commerces offraient des contenants consignés réutilisables : La Tasse.
Dès la 1re semaine, je recevais des appels d’ailleurs au Québec, de commerces souhaitant rejoindre le réseau.
Nous avons alors décidé de créer une structure dédiée pour pouvoir élargir le réseau. Dans le même temps, d’autres commerces réfléchissaient à une manière de financer leur transition écologique en facturant 25 cents pour leurs contenants jetables. Ensemble, nous avons créé l’OBNL La Vague au début 2019. Aujourd’hui, l’organisme gère un large réseau de contenants consignés partout au Québec, et œuvre également dans les services-conseils et le lobbying.
Parallèlement, je fais partie de la coopérative Incita, au sein de laquelle j’effectue des mandats en réduction des déchets pour des villes et diverses entreprises.
Ayant commencé par une carrière en événementiel, je suis également heureuse d’avoir contribué au mouvement ACT — Artistes Citoyens en Tournée, avec le Conseil québécois des événements écoresponsables, dont la mission est de promouvoir les pratiques écoresponsables dans le milieu des spectacles et bâtir des outils adaptés à ce milieu.
Je préfère éviter le terme de développement durable, qui n’implique pas la remise en question du développement infini, pourtant inévitable…
2. (JMP) Sens-tu un réel intérêt de tes restaurants (COMMERCES ALIMENTAIRES: 450 depuis 2019) à se transformer durablement?
Depuis 2019, on accompagne 450 commerces. Je peux affirmer que pour les restaurateurs, la durabilité c’est naturel et ça va de pair avec leur métier. Aucun ne prends plaisir à polluer, mais trouver le temps pour se transformer durablement exige 1000 fois plus que de trouver l’argent pour le faire, c’est la ressource temps qui manque… Et les petits commerces sont plus à risque que les chaînes, car ils n’ont pas de levier de négociation avec leurs fournisseurs sur le prix ou l’approvisionnement afin de les forcer à se transformer durablement. Tu subis les variations des coûts de plein fouet ou les changements réglementaires en environnement… Les grandes chaînes, elles, ont des outils et le pouvoir de négociation pour mieux absorber ces changements…
3. (JMP) Les principaux enjeux alors de ton secteur qui impacte la transition durable?
- Temps.
- Volatilité de la main-d’œuvre : une piste de solution consiste à une démarche de formations.
- Être réaliste : il ne faut pas essayer de faire des changements drastiques, choisir 1 action importante et 1 à la fois….
- Take out/à emporter : on ne peut lutter avec cette tendance à la hausse, mais on veut aussi ramener les gens en salle. Faute de solutions: des emballages réutilisables, un meilleur choix d’emballages à usage unique et du transport durable.
Comme on l’a vu, le plastique à usage unique est interdit à Montréal depuis le 28 mars dernier. C’est un début, car, par exemple, pour les ustensiles, 2 types seulement de plastiques sont interdits… Au Canada, c’est en décembre prochain.
4. (JMP) Dans les résultats d’un sondage effectué récemment par l’UQAM auprès de près de 400 PMEs touristiques au Québec, les entreprises indiquent que ce sont les coûts élevés et le manque de moyens financiers qui constituent le principal obstacle à leur transition durable. Es-tu de cet avis?
C’est une perception… ça dépend des options qui leur sont offertes. Il faut faire attention à ne pas associer écoresponsabilité à nécessairement dépenser de l’argent. Le premier réflexe doit être de contester le besoin. Paille en blé ou cocktails sans paille. Faut réduire notre dépendance à des objets de l’extérieur.
5. (JMP) Quels sont vos nouveaux projets/actions que vous entrevoyez cette année concernant le durable?
- La boîte consignée sur le même principe que la tasse
- Utiliser le marc de café pour en faire un usage industriel
6. (JMP) Donne-moi trois « coups de cœur » en durabilité chez tes clients?
Gros coup de cœur pour le Sagamité Wendake, que j’ai connu dans le cadre du programme SHIPEKU de TAQ. Ils ont une démarche naturelle de durabilité suite à l’incendie qui a détruit leur restaurant. Le futur Sagamité, qui ouvrira bientôt, a une très forte réflexion vers la durabilité en plus d’être bien enraciné culturellement. Il y a le Paquebot café à Gaspé (créé durant la COVID) avec leurs objets consignés, 1 semaine complète sans objets jetables en take-out et leur politique d’achat local. Enfin, le Café des Habitudes: zéro déchet, tout pensé en démarche écoresponsable: les meubles, ont changé les habitudes de leurs fournisseurs ou ont changé carrément de fournisseurs (ex.: chaudières réutilisables de cafés, maintenant offertes à d’autres restos/cafés).
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Aurore carbure à la passion et surtout à la conviction qu’il n’y a pas de trop petits gestes pour transformer positivement des entreprises. Elle est l’incarnation de la nécessité de réseauter, de créer de multiples partenariats qui bâtissent une communauté de personnes engagées vers la transformation durable de leurs commerces et par ricochet de notre tourisme. Bref, une autre façon de voir le monde et d’y vivre en harmonie avec ses convictions!
Jean-Michel Perron
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