Isabelle Duchesneau : Inspiration avec une femme engagée, par Jean-Michel Perron

Tourisme durable, Bien-être · · Commenter

Série d’entrevues avec des femmes d’exception qui transforment notre tourisme. Le mois dernier, Julie Roussel de l’ÉAQ. Aujourd'hui, Isabelle Duchesneau, spécialiste de la santé globale.

«En 2012, je parlais de santé globale et on me considérait en quelque sorte comme une ésotérique… on a fait tellement de chemin depuis!». Isabelle fait référence alors à sa nouvelle fonction de directrice générale du projet le «Monastère des Augustines» dans le Vieux-Québec. Envoyées par le Roi Louis XIII, les Augustines, soignantes et apothicairesses, sont arrivées en 1639 en  Amérique pour y fonder le premier hôpital au nord du Mexique (l’Hôtel-Dieu de Québec). Elles étaient trois à l’époque et elles appliquaient déjà une approche globale de la santé dans leurs soins.

Après plusieurs années de réflexion, les Augustines ont décidé de léguer, il y a un peu plus de 10 ans, leur précieux patrimoine à la population du Québec (les ailes anciennes de l’Hôtel-Dieu de Québec, 50 000 artéfacts et 1 km d’archives), puisque la communauté diminuait drastiquement en nombre (il n’en reste que 5 actuellement rattachée à l’hôpital Hôtel-Dieu de Québec). Elles ont alors créé une fiducie d’utilité sociale et un OBNL

Isabelle a été choisie pour concevoir le modèle d’affaires de ce nouvel OBNL. Inspirée par l’histoire, elle a alors suggéré l’angle du tourisme de bien-être pour poursuivre de façon contemporaine la mission du lieu (l’offre actuelle du Monastère traite de la santé préventive physique, mentale, émotionnelle et spirituelle (avec une table bio exceptionnelle). «De première employée en 2012 de cet OBNL, il y a aujourd’hui 130 employés…». Déjà intéressée par la santé, Isabelle a commencé ses études universitaires en activité physique, mais s’est réorientée en administration. Après un Bacc. à l’UQAM, elle débute sa carrière à la direction du service à la clientèle du Château Frontenac (alors Hôtel CP) et poursuit sa carrière dans l’industrie touristique en ventes et marketing, en gestion d’événements et enseigne aussi pendant 10 ans en techniques de gestion hôtelière au Collège Mérici.

Aujourd’hui, elle a quitté ses fonctions de DG du Monastère, mais continue de s’occuper de son développement stratégique, en plus d’être à son compte sous «ID Expérience», qui offre de l’accompagnement stratégique en tourisme avec sa philosophie de gestion qui considère l’Humain comme priorité, la concertation et la durabilité.

1. (JMP) En quelques mots, au Monastère, de quoi es-tu le plus fière d’avoir accompli?

«Les Augustines… de les voir si fières du projet réalisé». Elle a raison. «Je n’aurais pas souhaité plus belle retraite, car on sait que notre legs va nous survivre», lui avoua il y a quelque temps (voir photo) Sœur Lise, la supérieure générale.

«Les visiteurs nous disent qu’on est en cohérence avec l’Histoire, jusque dans les plus menus détails. De plus, on fait une réelle différence dans la vie des visiteurs. On a osé imaginer un modèle d’affaires audacieux en tourisme qui fonctionne bien.»

2. (JMP) Réussir à transférer la mission historique des Augustines dans un contexte contemporain c’est extraordinaire, n’est-ce pas? Comment vous vous y être pris?

«J’ai eu le privilège de côtoyer les Augustines tous les jours, cette communauté considérée également comme une des premières communautés de femmes entrepreneures au pays. Afin de créer une offre et une culture d’entreprise qui allaient assurer la pérennité de leur œuvre, j’allais explorer, échanger et valider des choses avec elles… En plus de leur patrimoine matériel, il fallait aussi s’assurer de garder vivant leur patrimoine immatériel. Nous nous sommes ainsi inspirés du savoir-faire des Sœurs pour le modèle d’affaires : elles géraient des hôpitaux en faisant de l’économie circulaire et aussi sociale, facturant les plus riches pour soigner gratuitement les plus pauvres… On a étudié en détail leur savoir-faire et leur savoir-être. De leur mission qui était «le soin des corps et des âmes» incluant une approche holistique de la santé aussi basée sur les principes d’Hippocrate (alimentation, sommeil, etc.), nous avons développé une vision contemporaine et ancrée dans les besoins d’aujourd’hui pour la poursuite de cette mission en mettant de l’avant la santé globale dans une approche préventive

3. (JMP) Qu’est-ce que la santé globale?  

«INDIVIDUELLEMENT : Une vision holistique de sa santé avec toutes les dimensions de l’être humain dont le relationnel. Tout est interconnecté, le physique, le mental, l’émotionnel et le spirituel (ou quête de sens)… Nous sommes plus qu’un corps… Penser aussi prévention et non pas uniquement à la dimension thérapeutique. C’est se responsabiliser pour sa propre santé !

COLLECTIVEMENT : Intervenir sur tous les facteurs extérieurs à l’individu, dont la pollution, l’aménagement du territoire, la mobilité… Dans ce cas, on parle plus de santé durable

4. (JMP) Quel rôle le tourisme peut jouer en santé globale?

  • «Tourisme et santé, c’est proche (découverte, décrocher, relaxer, etc.). Aujourd’hui on parle de tourisme de bien-être.
  • Le tourisme a une dimension intersectorielle et a donc la capacité d’influencer et de mobiliser plusieurs partenaires pour cocréer de meilleurs lieux et expériences pour y vivre et visiter.
  • Le tourisme peut être un acteur de changement avec les visiteurs qui retournent chez eux, inspirés positivement à penser et agir autrement.»

5. (JMP) Qu’est-ce qui t’inspire dans la vie?

«Les humains et les échanges authentiques; chaque personne peut nous apporter beaucoup. Aussi, la nature, la lecture, la musique et les arts

6. (JMP) Tu as été invitée récemment en Italie… tu peux nous en parler?

«Oui, la rencontre portait sur le tourisme régénératif et le bien-être. Un groupe de réflexion (via une initiative du Global Wellness Institute) a été mis sur pieds pour réfléchir à l’avenir du tourisme. Ce "think thank" m’a permis de réaliser qu’avec l’angle social du Monastère, nous sommes à l’avant-garde à l’international, un modèle inspirant… et qu’il y a également plusieurs modèles aussi inspirants dans le monde. L’unicité mondiale du Monastère est toutefois 400 ans d’Histoire qui nous précèdent, c’est une continuité, tout ça…»

7. (JMP) Des conseils à donner à ceux et celles qui veulent s’inspirer de cette approche?

«Basé sur mon expérience :

  • Permets-moi cette citation en anglais : "Perfectly imperfect is OK!"
  • On nous parle de tourisme durable et de tourisme de bien-être, mais tout doit être intégré… tu ne peux pas mettre de l’avant une offre bien-être sans au départ développer de façon durable…
  • Le statu quo est impossible; nous sommes tous ensemble dans cette transformation de notre tourisme… on se tient par la main et on saute dans la piscine…
  • On pense inventer le durable? Peut-être aurions-nous avantage à regarder le passé, on pourrait en apprendre beaucoup. Analysons le passé pour mieux comprendre le présent, afin de bâtir un meilleur futur collectif.»

Santé durable

C’est à Québec que se trouve la première chaire de recherche en santé durable (VITAM) dirigée par le Dr. Jean-Pierre Després. Ce concept de santé durable se définit ainsi : un esprit sain dans un corps sain, dans des milieux de vie et des environnements sains, sur une planète en santé. Lorsqu’on sait que 74% des décès sont attribuables à des maladies chroniques résultant de notre mode de vie (tabagisme, consommation élevée d’alcool, sédentarité et alimentation de mauvaise qualité), un modèle basé sur la prévention et la promotion de la santé plutôt que sur la gestion de la maladie aurait un plus grand impact sur la population et limiterait la croissance phénoménale des coûts.  Bref, inspiré de la tradition «augustinienne».

Isabelle, tu es définitivement l’incarnation de l’esprit des Augustines. Un peu comme du patrimoine vivant qui peut ainsi traverser les siècles grâce aux valeurs et à la résilience de cette communauté, qui malheureusement disparaît devant nos yeux, mais nous laisse un legs incroyable.