Transport & tourisme durable: plus de 75% de notre empreinte carbone: quoi et comment s’attaquer à ce défi prioritaire, par Jean-Michel Perron

Transports, Tourisme durable · · Commenter

Photo : Phil Carpenter (Montreal Gazette)

Dans une série de 4 articles sur le climat en lien avec le transport dans le secteur touristique québécois, jetons un œil sur la vache sacrée que représente l’automobile individuelle au Québec.

(à venir)

Partie II : transport en commun interurbain : avion, train, traversier et autocar

Partie III : mobilité durable à destination

Partie IV : transport &  marketing durable

Partie I : L’automobile peut-elle être durable?

À moins d’y être forcés par des taxes plus élevées sur l’essence ou un prix du kilowattheure (kWh) 10 fois plus cher, l’auto solo à essence ou électrique demeurera pour les touristes le transport privilégié encore très longtemps, car  le Québec offre peu de transport en commun efficient et notre mode de vie a élevé au rang de valeur absolue l’automobile, à qui l’on déroule le tapis noir d’asphalte, mais qui ponctionne une grande proportion de notre budget individuel  et collectif : on estime à environ 40 milliards par année les dépenses des ménages québécois reliées au transport automobile en plus d’un 30,7 milliards selon le Plan québécois des infrastructures de 2022. Autant d’argent qui ne va pas au transport en commun ou au transport actif.

Pourtant l’urgence du climat, comme on le sait, commande d’émettre moins de GES. Or, en tourisme, au minimum[1] 75% de notre empreinte carbone provient spécifiquement du transport incluant celui de nos visiteurs arrivant par avion.

La responsabilité partagée d’agir revient à chacune de nos organisations touristiques, aux visiteurs et à nos différents gouvernements.

Quand j’étais bébé à l’époque de Maurice Duplessis (!!), ma famille demeurait au centre-ville de Québec. Comme bien d’autres dans les années ’60, on aménagea dans une nouvelle banlieue... l’automobile devenue accessible est aussi devenue nécessaire pour aller travailler en ville et nous avons dû construire les autoroutes pour supporter la nouvelle façon d’aménager à l’américaine le territoire. Ce modèle perdure et s’est même accéléré avec COVID. Heureusement que le télétravail vient diminuer un peu les déplacements malgré que la croissance démographique fait qu’en chiffre absolu, les transports individuels périurbains vers la ville progressent et que des projets archaïques et non durables comme le prolongement de l’autoroute #25 dans Lanaudière sont encore d’actualité…

Comme pour les avions, l’automobile a profité au cours des dernières décennies d’un gain d’efficacité des moteurs. La croissance élevée des vols malheureusement vient annuler ces gains et pour l’automobile, le fait que le nombre de passagers est passé de 2,3 personnes dans les années ’60 à 1,6 aujourd’hui, qu’il  y a plus de véhicules solos, que les distances parcourues sont plus élevées et que les véhicules soient plus lourds et gros; ces éléments sont venus annuler les gains d’efficacité énergétique par véhicule. Alors même que le parc automobile mondial devrait doubler d’ici à 2050, nous promet-on (2 à 3 milliards de véhicules attendus, selon les sources).

Même électrique, l’auto solo n’est pas « propre », mais sera indispensable !

Hyundai Ioniq 5 électrique

Circuler seul dans son auto électrique n’est pas guère mieux qu’être seul dans son auto à essence !

Dans une analyse de cycle de vie (production, usage, fin de vie) l’auto électrique est meilleure qu’une à essence pour l’environnement. Évidemment la source électrique des recharges vient influencer grandement ce bilan. Ici au Québec, l’électricité est verte ce qui n’est pas le cas partout ailleurs… Les grosses Tesla avec leur 280 kilos de cuivre chacune sont des « mines urbaines ambulantes » avec toutes les conséquences négatives provoquées par l’extraction minière. Ne manquez pas ICI  une vidéo incontournable sur le secteur  minier très polluant.

Le bilan des véhicules électriques va s’améliorer alors que par exemple, seulement de 1% à 5% des batteries sont actuellement recyclées et le potentiel réel se situe entre 50% et 95%... Mais la sobriété sera nécessaire en transport, car dans 30 ans, 90% des réserves de cuivre vont s’épuiser, 60% du nickel… Vous vous rappelez, nous ne vivons pas sur une planète sans limites, sans fin !!!

Bref, l’auto électrique solo ne règle pas le problème même si elle produit de 2 à 5 fois moins de GES, car il faut 2 fois plus de métaux précieux pour les construire (sans compter les impacts négatifs sur la biodiversité par la multiplication des mines requises), la production génère plus de GES et il faut maintenir un réseau routier  qui en soi aussi produit des GES dans sa construction et l’entretien avec des véhicules 2 fois plus lourds… Au moins, l’électricité de recharge au Québec est verte !

Si le gain de l’électrique paraît substantiel, l’essor de ces véhicules et le renouvellement du parc sont trop lents à court terme. Et même si tout le parc devenait électrique en 2050, on serait encore loin d’une mobilité suffisamment décarbonée, en tenant compte de toutes les émissions sur l’ensemble du cycle de vie. Des solutions plus sobres et moins technologiques sont autant nécessaires :

Selon un collectif d’experts, on pense aux vélos à assistance électrique, speedelecs et vélos spéciaux (pliants, cargos, tandems, tricycles, handicycles, couchés, vélomobiles, vélos-voitures…), des deux-roues, tricycles ou quadricycles motorisés avec habitacle, des véhicules ultralégers (moins de 100 kg), des voiturettes et des minivoitures. On en reparlera dans la partie III de ce « dossier transport & tourisme ».

Évaporation du lithium au nord du Chili. (source NY Times)

Comment agir en tourisme afin de contribuer à la décarbonation de l’automobile solo ?

A. Dans un premier, faire le bilan GES[2] dans chacune de vos organisations, de l’usage de l’automobile/véhicule motorisé solo avec pour objectif des objectifs de diminution intégré dans votre plan d’action durable[3]:

  • Transport de nos employés.ées lorsqu’ils/elles travaillent
  • Transport de nos employés.es domicile/travail
  • Transport de nos visiteurs
  • Transport de nos fournisseurs de services

B. Sobriété dans vos transports en véhicule solo (annuler/réduire)

La première question à se poser : ces déplacements sont-ils vraiment nécessaires ?  Annuler des déplacements physiques professionnels, les regrouper, combiner travail/loisir…. Les visioconférences peuvent souvent très bien faire le travail. Au lieu de de se faire livrer par un fournisseur de services tous les jours (Amazon, aliments, buanderie….), possibilité de regrouper les livraisons ?  Possibilité de sélectionner un fournisseur avec véhicule fonctionnant au biogaz, électrique ou à hydrogène ?

Également, considérer – lorsque possible – de rendre permanent le télétravail qui permet aux organisations de libérer un bureau pour chaque trois employés travaillant à distance; ce qui génère en moyenne des économies de 2000$ par télétravailleur. Les Canadiens mettent en moyenne 63 minutes par jour pour se rendre au travail et revenir à la maison.

La troisième action : passer à l’auto solo électrique surtout moins lourde que les grosses Tesla et F150 Ligthning de ce monde. Tant que l’automobile définit encore le statut social des individus, les plus riches voudront du plus gros…Le concept «  d’autoshame » des grosses électriques jouera un rôle nécessaire tout comme pour voler inutilement en jet privé ou trop souvent en vols commerciaux…

La quatrième action, pour les visiteurs (si vous êtes une destination) : suggérer aux visiteurs potentiels le « slow tourisme » afin de faire moins de kilomètres durant leur séjour….

C. Remplacer l’auto solo (essence ou électrique)

Actuellement, ce sont 7,5 % des travailleurs québécois qui rallient leur lieu de travail et leur domicile en moins de 1 km et 36 % en moins de 5 km, des distances aisément parcourables à pied ou à vélo. Dans les petites et moyennes villes du Québec, ces proportions augmentent. À Sept-Îles par exemple, c’est 52 % de la population qui pourrait se rendre à son travail à pied.

Alternatives à l’auto solo pour les employés et les touristes au Québec ?

1. Le covoiturage 

  • Dans votre entreprise
  • Dans  une collectivité locale via une plateforme/application (voir les principales au Québec : AmigoExpress, Poparide, Covoiturage.ca)
  • Systématiquement, prévoir des voies réservées sur les autoroutes
  • Stationnements (moins coûteux, plus accessibles)
  • Appliquer au Québec l’application flexible « Écov[4] » qui se situe entre faire du pouce et le covoiturage... avec des panneaux indicateurs et des aires de « collecte »

2. Autopartage

Une voiture au Québec demeure 96 % de son temps stationné. Après l’alimentation et le logement, c’est le transport privé qui constitue le principal poste de dépenses des ménages québécois (9 510$ en 2019).

L’autopartage permet d’emprunter une voiture, un pick-up ou un camion de façon ponctuelle pendant une courte période de temps. Selon des chiffres fournis par la Ville de Montréal, un véhicule en libre-service permet de retirer jusqu’à 11 véhicules sur les routes.

Les principaux sites Web d'autopartage : Turo, Communauto, Flex

3. Marche

4. Vélo/trottinette

5. Transport en commun :

  • Train
  • Autobus/métro
  • Traversier
  • Autocar interurbain

D. Circuits et activités touristiques électriques fiables

En attendant – pas avant 5 à 10 ans – les transports touristiques durables et en commun dans les régions du Québec (lire la partie II de ce dossier transport & tourisme), il importe au Québec de faire du développement de circuits et d’activités en transports électriques solo. Considérer le déploiement que de bornes « universelles», non exclusives à une seule marque.

Une partie des dizaines de millions$$ actuels en subventions de la transition touristique durable devraient servir à :

  • Auto électrique : caractérisation/développement de nos circuits classiques avec bornes  rapides sur les lieux d’attraits majeurs et d’hébergement;
  • Vélo électrique (de route et de montagne) : caractérisation/développement de circuits intra et interrégionaux avec aires de services complètes pour le vélo sur le modèle français (bornes, eau potable, abri…)
  • Flottes de véhicules locatifs électriques disponibles et abordables;
  • Croisières-excursions électriques, au biogaz, à l’hydrogène ou au pire au GNL
  • Réseau de bornes pour motoneiges et VTT électriques;
  • Motomarine et bateaux électriques : bornes disponibles sur nos principaux plans d’eau

CONCLUSION

Soyons réaliste, l’auto solo en tourisme est là pour demeurer encore très longtemps, mais nous pouvons faire beaucoup mieux en accélérant son électrification, la sobriété pour tous et en considérant les alternatives à l’auto solo privée surtout rendu à destination.

Accélérer le déploiement des bornes de recharge pour rassurer sur les questions d’autonomie, mettre à disposition des automobilistes des places de stationnements réservées, des gratuités de péage, encourager les efforts de R&D d’une filière québécoise de véhicules de loisirs électriques, mais aussi réguler la publicité et favoriser les alternatives à la voiture. La Norvège fait ici figure d’exemple : elle a mis en place un vaste écosystème en faveur des véhicules électriques doublé de bonus et de malus renforcés – jusqu’à 15 000$ CAD de bonus, et des malus pouvant atteindre jusqu’à 50 % du prix pour les véhicules lourds et polluants. Les résultats sont au rendez-vous : en septembre 2022, la part des véhicules électriques y atteint 78 % des ventes, contre 8% au Québec.

 


[1] Malheureusement on ne le sait pas spécifiquement, car le ministère du Tourisme du Québec n’a pas encore effectué un bilan carbone de notre tourisme contrairement à la France (77% des GES en tourisme proviennent du transport) ou à la Norvège (82% des GES en tourisme proviennent du transport).

[2] Le nouvel outil Bilan GES en tourisme présentement en test sera disponible gratuitement sous peu.

[3] Voir étape 4 du Parcours optimal du tourisme durable en 7 étapes  de Tourisme durable Québec.