Femmes & tourisme – Entrevue avec Patricia Auclair, par Jean-Michel Perron

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J’ai perçu longtemps le Québec comme une société où l’égalité hommes/femmes était bien établie par rapport à une majorité d’autres pays, incluant plusieurs en Europe. Je le pense encore. En tourisme, qu’en est-il? Sur une majorité de CA et dans plusieurs postes de direction, la testostérone demeure majoritaire, me semble-t-il. Avec les changements sociétaux, individuels et environnementaux actuels, je crois fermement qu’il nous faut une majorité de femmes en position décisionnelle, pas juste l’égalité. Dans le nouveau secteur du tourisme durable québécois, une grande proportion des intervenants.es sont des femmes et voyez la vitesse à laquelle ça bouge… J’explique ça par deux facteurs : le lien entre le féminisme et la nature qui ont été/sont abusés et qui forcent le changement drastique, devenu incontournable,ainsi que par le degré intrinsèque de sensibilité et de valeur protectrice des femmes envers tout ce qui nous entoure. Plus d’efficacité et de respect, moins de performance!

Rencontre aujourd’hui avec une de ces femmes qui transforment notre tourisme, hyperefficacement, mais tout en finesse, Patricia Auclair, directrice générale adjointe chez Tourisme Autochtone Québec (TAQ).

Kwe. Bref historique de ta carrière?

J’ai étudié en communications et en rédaction française à l’université de Sherbrooke. Quelques années aux Services parajudiciaires autochtones du Québec m’ont permis de faire des tournées des communautés... Dès lors, je m’interrogeais sur comment sortir les jeunes des divers problèmes sociaux. Je fus ensuite six (6) ans au Regroupement des centres d’amitié autochtone du Québec à titre de responsable des communications. Cette connaissance de terrain et de l’univers politique autochtone m’est encore aujourd’hui très précieuse. Je suis arrivée chez TAQ il y a 11 ans, tout juste après la structuration de cette organisation.

Quel est ton emploi aujourd’hui?

J’ai débuté chez TAQ à titre d’agente aux communications, durant 5 ans... Dès le départ, l’arrimage avec la vision de Dave Laveau, notre dynamique DG, fut naturel et performant. Je dirais même plus, nous fîmes et sommes de véritables complices professionnels complémentaires ! Notre force stratégique et organisationnelle m’a menée à occuper le poste de gestionnaire des opérations à mes 40 ans, un poste créé pour assurer le développement de TAQ. Après un diagnostic organisationnel en 2021, le poste de DGA fut créé en septembre 2022 et m’a été proposé.

De quoi es-tu le plus fière d’avoir accompli?

Après 5 ans chez TAQ, j’avais une vision stratégique et je pouvais me mettre au défi. J’ai accepté le poste de gestionnaire à condition d’être formée en gestion avec un coach et je suis venue appuyer les stratégies de Dave. Il n’y avait pas de livre de recettes pour mon cheminement professionnel: j’ai évolué en même temps que TAQ a évolué comme association et je continue de me former et d’être coachée pour toujours m’améliorer et grandir.

Autre grande fierté: j’ai toujours travaillé pour les Autochtones, avec la volonté de toujours redonner aux miens… et pas juste à Wendake, ma communauté. J’ai le cœur et l’esprit des 11 Nations qui m’habitent.

Le Québec, par rapport à de nombreux autres pays, présente en général un bel équilibre et respect homme/femme. Est-ce le cas également en tourisme, à ton avis?

Oui, l’industrie me semble équilibrée, malgré qu’il y a plus d’étudiantes en tourisme et plus de femmes aux postes terrain. Dans les grandes organisations et postes stratégiques, j’ai l’impression que c’est plutôt masculin, mais continuellement en mouvance et surtout, dans le respect de la femme. Évidemment, certains boys club demeurent, mais en même temps, on a des femmes qui nous rendent plus que fières en tourisme!

Être une femme autochtone, ça apporte une autre dimension?

Oui, d’autant plus que je travaille pour les Autochtones, pour mes pairs. Dans nos prises de décision, la pensée holistique prévaut et doit inclure les 4 dimensions (physique, spirituelle, mentale, émotionnelle). Pour ma part, je viens d’un mode de vie matriarcal qui me rend fière. Le fait de porter le collectif autochtone (en tourisme, on ne fait pas qu’attirer les visiteurs) dans mon travail de tous les jours me permet aussi de mettre en lumière nos cultures autochtones et nos histoires.

Avec tous les bouleversements rapides dans nos sociétés (changements climatiques, technologies, médias sociaux, identités, mondialisation, perte de biodiversité, etc.), penses-tu que les femmes ont un rôle particulier à jouer?   

Oui, assurément. La sensibilité des femmes n’est pas reliée uniquement aux résultats, mais tout ce qui a autour. Par exemple, l’équité et l’égalité sont des valeurs féminines, avec la protection de la famille. L’égalité, c’est le bien-être collectif au-delà des sexes et des genres.

En tant que femme, j’ose croire que je donne une place importante à l’ouverture, aux opinions diverses dans une approche holistique; c’est ça le mot clé. Tu me connais, je suis une personne positive; je veux que tous soient heureux, fiers et performants, mais je dois être confortable dans mes décisions et ma vision pour pouvoir les partager.

Le tourisme autochtone a le vent dans les voiles actuellement, pourquoi à ton avis?

Dans notre ère contemporaine qui va vite et qui est bruyante, on recherche l’authenticité et l’humain. Depuis quelques années, les gens sont mieux conscientisés à l’histoire des peuples autochtones et ouverts au rapprochement. Et ça passe certainement par le tourisme autochtone. Les pow-wow et les festivals culturels en sont les meilleurs exemples...

Nous observons, depuis quelques années au Québec, un intérêt des allochtones envers nos cultures et de plus, une volonté de la part des Autochtones de partager leurs cultures comme ils/elles veulent les partager et les présenter… bref, on assiste à une réappropriation légitime et authentique et les touristes aiment ça.

On a dépassé l’étape des erreurs du passé, on a appris à vivre avec, mais on veut maintenant bien vivre le présent et surtout, rêver le futur… le tourisme culturel autochtone est donc positif et tout indiqué.

Qu’est-ce qui t’inspire dans la vie?

La volonté d’œuvrer pour le bien-être collectif aux niveaux personnel, familial et professionnel. La vie est faite de petits bonheurs, de grands défis et parfois de temps plus nuageux. Ce qui m’inspire et ce à quoi j’aspire: vivre l’équilibre dans tout ça.

En tourisme, autochtone surtout, je souhaite faire partie de ce collectif de l’innovation, de la créativité, du partage de nos expertises et de nos talents: le mieux-être collectif et du vivre ensemble. Bref, être une agente de changement autochtone. Je ne recherche pas les « spotlights ». Je recherche plutôt à faire ma part pour l’essor et le développement de mes pairs, pour et par les Autochtones, tout en assurant l’ouverture et la reconnaissance de l’industrie touristique du Québec et inévitablement, des Québécois et visiteurs de partout.

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Tiawenhk (merci) Patricia d’incarner au quotidien les valeurs que tu mentionnes. Oui, ce que tu fais pour les autres est une contribution unique à notre tourisme, qui influence positivement des centaines d’acteurs touristiques à travers le Québec. Tout ça dans la plus grande discrétion.

 

Jean-Michel Perron


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