Ma relation douce-amère avec les pourboires, par Sylvain Drouin
Depuis des années, la question des pourboires revient de manière cyclique dans l’actualité. Une chose est claire, ces derniers n’ont pas bonne réputation. Certains les jugent trop élevés alors que d’autres dénoncent le manque de flexibilité dans la distribution.
Tout d’abord, je dois avouer que j’ai bénéficié pendant plusieurs années de généreux pourboires. Grâce à cet argent, j’ai pu compléter des études universitaires de premier et de deuxième cycles sans trop avoir de soucis financiers. J’ai continué à effectuer des quarts de travail comme serveur, même en ayant un emploi stable et relativement payant. Un peu pour le plaisir de servir, mais aussi pour la belle somme d’argent que je pouvais aller chercher en quelques heures.
Oui, j’ai aimé être serveur, mais je dois être honnête avec moi-même : je ne le serais pas resté aussi longtemps si le salaire avait été beaucoup moindre. Chaque samedi soir sacrifié, chaque quart de travail sans savoir à quel moment on va terminer, chaque repas mangé froid et en vitesse, chaque heure de préparation ou de ménage, chaque gestion des allergies et chaque client difficile me rappelait que les sacrifices en valaient tout de même la peine.
En parallèle, je ne pouvais m’empêcher de trouver étrange de voir des écarts aussi importants entre les employés d’un même établissement. Sortir avec quatre, cinq ou parfois dix fois plus d’argent que ceux et celles qui préparent la nourriture ne faisait aucun sens. Il faut dire que j’ai commencé en restauration comme plongeur et que je me rappelle très bien sortir du restaurant l’hiver à moitié trempé par l’eau de vaisselle, les mains asséchées par les gants. Tout cela au salaire minimum.
On finit par se dire que le système est ainsi fait et que le service est accessible à tous, mais en réalité, il y a une partie de nous qui se dit que la vie est mal faite.
Il y a cela d’étrange du métier de serveur qu’il est payé à la commission sans prendre de risque ou investir de sa poche. Il est facile d’offrir des verres ou des desserts de la part de la maison et de récolter les généreux pourboires qui viennent avec. D’un autre côté, on peut se tromper dans notre commande, casser des assiettes par manque d’attention ou jeter les ustensiles consciemment dans la poubelle à la plonge sans jamais avoir à débourser un sou. Même les tables qui partent sans payer deviennent généralement le seul problème de l’entreprise dont les marges sont déjà excessivement minces.
D’un point de vue client, je dois avouer avoir délaissé les restaurants dans les derniers mois. D’une part, je n’éprouve plus autant de plaisir à y aller, surtout que le service est de moins en moins attentionné. Je constate souvent une forme de nonchalance, un manque d’anticipation des besoins et une perte des techniques élémentaires au niveau du service. Comme si ce n’était pas assez, on nous propose maintenant des options de pourboires débutant à 18, 20 ou 22% comme si la hausse du prix n’entraînait pas déjà une hausse du revenu du serveur et que le 15% n’était plus jugé suffisant.
À mon avis bien personnel, le pourboire est un des éléments qui est en train de tuer tranquillement la restauration et il faut une prise de conscience du personnel de service avant qu’il ne soit trop tard. Pas difficile à comprendre pourquoi certains restaurants ont éliminé ce poste et laisse le soin aux cuisiniers d’apporter les assiettes à table.
Malheureusement, cette importante discussion ne semble pas pouvoir se dérouler puisqu’il y a trop à perdre d’un côté. Être serveur est un métier exigeant, payant et gratifiant lorsque bien effectué et j’ai beaucoup de respect pour ceux qui continuent à offrir un service attentionné à leurs invités. Il faut cependant penser à long terme pour s’assurer que le pourboire ne devienne un clou dans le cercueil d’une industrie déjà amplement fragilisée.
Sylvain Drouin
Consultant indépendant en hôtellerie
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