Tourisme régénératif – Entrevue avec 2 jeunes émigrantes qui redonnent au Québec!, par Jean-Michel Perron

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Daniela Espinosa Gómez vient de Colombie et Naomi Thibonnet de France. Récemment émigrées au Québec (2021), elles ont fondé On Trippe Nature, une approche dédiée au tourisme régénératif qui en gros se définit comme un tourisme qui laisse en meilleur état le site ou la communauté visités, que lors de l’arrivée du visiteur. C’est un concept qui va au-delà de la durabilité «de base» et pousse encore plus loin les limites d’un nouveau tourisme. Une nouvelle mode? Du simple marketing? Voyons leur point de vue.

Parlez-nous du cheminement de On Trippe Nature, votre mission et vous en êtes rendues où?

Il faut savoir que nous sommes toutes les deux issues de l’industrie touristique. Suite à la COVID, nous avons toutes deux vécu une grande remise en question et avons pris la décision de venir étudier au Canada, à HEC Montréal. C’est là que nous nous sommes connues, lors d’un cours à HEC Montréal sur l’entrepreneuriat (Naomi, développement durable; Daniela, innovation entrepreneuriat).

On s’est alors intéressée au tourisme régénératif grâce au mémoire de Naomi. Nous avons également pu bénéficier de 2 mandats étudiants pour nous aider à compléter nos recherches à HEC et à McGill. Rapidement, on s’est rendues compte que le terme «régénératif», ça ne parlait pas aux gens; il fallait le démystifier. Mais comment faire? Sans forme juridique et avec quelques dollars gagnés grâce à des concours de «pitch» et des bourses étudiantes, on a créé notre site Web et créé toute une série de balados, dont la saison 1 portait sur une introduction générale du tourisme. Nous avons à ce jour enregistré 16 épisodes, pas tous en ligne, incluant des microséries. Chaque microsérie porte sur une partie prenante de l’industrie touristique. Une microsérie comporte 3 exemples pour montrer des bonnes pratiques au Québec.

Nous avons aussi donné plusieurs conférences sur le sujet dans des cégeps, des cours universitaires…

Quels sont vos projets?

Nous développons un blogue et une présence sur les médias sociaux en mettant de l’avant les moments iconiques des podcasts.

Nous visons à aider la transformation du tourisme. La transition peut se faire plus rapidement avec les PMEs, car ce sont elles qui peuvent influencer les clientèles et avoir des indicateurs de performance précis. Sensibiliser, transférer les savoirs, accompagner et référencer les organisations avec des circuits, des réseaux; faire des tables de concertation régionalisées, implantées dans les communautés avec les parties prenantes…

Le tourisme régénératif est à la mode, mais on parle de régénérer quoi, précisément? Donnez-nous des exemples.

On parle ici de régénérer les biens communs: la culture, le patrimoine, la nature, la langue d’un site, d’une communauté visitée.

Dans notre dernier balado, justement, notre invité Dominic Lapointe mentionne l’importance de bien définir le périmètre d’intervention et de reconnaître les limites du concept afin que le tourisme régénératif ne soit pas qu’un mot à la mode.

Il y a, après la notion d’entreprises durables, celle d’entreprises régénératives. Un regroupement d’organisations européennes dénonçait récemment, dans le journal Le Monde, l’écoblanchiment par un grand nombre d’entreprises qui se disaient «régénératives». Comment faire pour éviter cela?

Oui, difficile à éviter. Nous ne pouvons pas dire, comme PME, qu’on est régénérative, car nous sommes toujours en apprentissage. Nous ne pouvons pas parler que dans une logique marchande, il n’y a pas qu’un ou deux indicateurs à considérer. À Montréal, ce ne sont pas les mêmes qu’au Saguenay…

Et affirmer simplement que le régénératif, c’est laisser le lieu visité en meilleur état que lorsqu’on est arrivé n’est pas aussi simple, car il importe au départ de s’assurer que la communauté adhère à ce que nous faisons. Il faut faire un travail réel de consultations, pas juste convaincre les élus ou les représentants d’une communauté. Et ne pas oublier que la nature est une partie prenante incontournable.

Pour ce faire, retournons à la prémisse de base du tourisme régénératif: revenir à l’origine de ce que nous sommes comme humains, avec de la curiosité envers les autres et son environnement.

Photo : enregistrement, en compagnie de M. Mario Galletta, propriétaire de Jardin Émergent, portant sur la permaculture d'un fruit oublié, endémique et québécois, l'Aronias – épisode disponible prochainement dans la microsérie sur l’agriculture

La meilleure façon de régénérer la planète en tourisme n’est-elle pas de voyager moins et même d’interdire l’accès aux visiteurs dans certaines zones sensibles?

Ça ne suffit pas… il faut aller au-delà. Si le tourisme est le seul secteur économique, c’est problématique, car en cessant le tourisme, la survie de communautés devient alors en jeu. Il faut d’autres activités et/ou s’assurer au départ de ce que veulent vraiment les populations locales. Un exemple dans les Himalayas: jardin autonome chez l’habitant où l’on mange directement du jardin à l’assiette, le modèle européen avec de l’eau tous les jours est à revoir (pour les douches, etc.), la rotation des hôtes à privilégier pour bien répartir la richesse entre tous les membres d’un même village et il faut organiser à quels endroits on voyage (nouveaux itinéraires?). Si le tourisme est trop concentré, l’impact sera négatif, ainsi il faut diffuser les visiteurs sur un territoire donné.

Au Québec, on voit des initiatives «régénératives» comme le 1% pour la planète d’AEQ ou le nouveau fonds durable d’hôteliers à Montréal. Pourrait-on aussi penser à créer un fonds québécois national du tourisme régénératif qui permettrait de faire des actions concrètes et régionalisées en environnement et en décarbonation des transports, par exemple?

Oui, mais à qui iront ces Fonds? Quelles parties prenantes vont en bénéficier? Qui va décider? Les indicateurs de performance qu’on peut se donner ne sont pas suffisants, il faut aller plus loin, avoir des conversations profondes, pas juste analyser les effets, mais aussi fouiller dans les racines du problème pour bien comprendre les besoins et les enjeux du milieu visité.

Et la suite pour On Trippe Nature?

On veut aller chercher du financement pour poursuivre notre mission. Et on veut garder notre liberté d’agir et de penser librement. On songe à la plateforme de sociofinancement La Ruche, éventuellement. Actuellement, on est avec «Buy me un café». Vous pouvez nous soutenir pour continuer à donner de la visibilité aux initiatives peu connues ici.

Photo : atelier de sensibilisation et éducation au camping Domaine de Rouville, situé au pied du mont Saint-Hilaire, en Montérégie, dans leur stratégie de sensibilisation au changement.

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CONCLUSION

Naomie et Daniela sont de parfaits exemples de la détermination de personnes qui quittent leur pays pour venir au Québec et immédiatement y contribuent positivement. Notre tourisme a besoin de sang neuf qui vient bonifier notre vision du monde et notre secteur. Le tourisme régénératif en est à ses balbutiements. C’est une invitation à repenser nos façons de faire et nous avons ici deux femmes déterminées qui nous y convient. Elles méritent tout notre respect.

  

Jean-Michel Perron
PAR Conseils
Blogueur et bifurqueur


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