Tourisme accessible : des actions qui changent le visage du Québec – Entrevue avec Bruno Ronfard, dg de Kéroul, par Jean-Michel Perron

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Le parcours pionnier d’André Leclerc se poursuit chez Kéroul – fondée en 1979 - avec l’éveil de plus en plus affirmé face à l’enjeu de ce qu’on nomme maintenant le tourisme accessible (TA).

L’inaccessibilité est liée à différentes incapacités : vision, audition, mobilité, flexibilité, dextérité, douleur, apprentissage, développement, santé mentale, mémoire. Les personnes sont « identifiées non seulement par la présence d’une difficulté causée par une condition ou un problème de santé à long terme, mais aussi parce qu’elles sont limitées dans leurs activités » (OPHQ). Les personnes âgées, les femmes enceintes et les personnes ayant des blessures passagères, par exemple, ne sont donc pas comprises dans les statistiques de l’Enquête canadienne sur l’incapacité.

Le TA en tourisme va devenir un enjeu encore plus important. 16,1% (un million de personnes) de la population québécoise[1] vit avec une incapacité et ce chiffre augmente tous les ans, avec le vieillissement de la population. On devrait atteindre 20-25% en 2030. Disons que 50% sont des excursionnistes ou des touristes; ce marché est colossal pour les organisations touristiques qui sauront s’y adapter.

Entrevue avec le directeur général de Kéroul, M. Bruno Ronfard

1. Est-ce que le Québec, comme destination touristique, devient réellement plus accessible?

Il y a plusieurs façons de constater l'évolution de l'accessibilité: il y a maintenant des obligations à se rendre accessible, comme le code de la construction, qui exige que 10% des chambres dans un hébergement soient accessibles. Plus marquant encore pour Kéroul, alors qu'auparavant, nous avions de la difficulté à rejoindre les entreprises touristiques pour leur parler accessibilité, nous avons maintenant des entreprises qui nous approchent avant même de construire, pour être certaines de bien faire les choses, et d'autres qui veulent se rendre accessibles pour accueillir une plus grande variété de clientèles. Plus de 4000 établissements ou attractions touristiques dans la base de données de Kéroul ont été évalués et ont reçu leur cote d’accessibilité. Il y a donc encore beaucoup à faire.

Kéroul travaille à établir un portrait le plus complet possible et à créer un tableau de bord de l’accessibilité touristique au Québec. Le Programme d’accessibilité des établissements touristiques (PAET) du ministère du Tourisme du Québec est géré par Kéroul. Ce programme de 5 millions $ pour 2022-2024 rencontre un vif succès (plus de 200 demandes en un peu plus d’un an). C’est unique au Canada!

En passant, on dit « personne » et après « en situation de handicap » : « personne handicapée » est le terme légal.

2. L'accessibilité comporte quatre dimensions : spatiale, temporelle, économique et socioculturelle. On parle de « tourisme accessible et d’accessibilité universelle »; pouvez-vous nous démêler tout ça?

L’accessibilité universelle est une utopie… On parle davantage aujourd’hui d’inclusion ou d’accès inclusif pour signifier que tout le monde a sa place, même si les services ne sont pas tous identiques. Kéroul emploie depuis longtemps le terme « tourisme accessible » en soulignant que c’est une composante essentielle du tourisme durable.

Par ailleurs, il faut prendre conscience que se déplacer, pour une personne en situation de handicap, demande de l’organisation et prend plus de temps. Le déplacement peut être plus complexe quand il s’agit de trouver un transport accessible. Cependant, ce sont des voyageurs qui restent souvent plus longtemps sur place. À noter aussi que les hôtels pas chers et accessibles sont moins nombreux en proportion que dans la catégorie des hôtels haut de gamme, alors que, globalement, les personnes handicapées sont moins fortunées que la moyenne.

3. Le tourisme accessible, ce sont aussi les femmes enceintes, les personnes ayant une déficience intellectuelle, les personnes autistes et les personnes âgées, non? Ne croyez vous pas qu’avec le TA et la définition élargie de ce qu’est l’accessibilité en tourisme, ça nuise à la priorisation des personnes qui se déplacent en « fauteuil roulant », alors que nos PMEs peinent à se rendre déjà accessibles?

Généralement, les adaptations qui sont bonnes pour une clientèle peuvent servir à d'autres : les parcours tactiles et sensoriels attirent les jeunes visiteurs et nous aimons tous avoir la permission de toucher au musée! Les salles de bains plus grandes avec des douches sans seuil font le bonheur des familles. Les textes en gros caractères facilitent aussi la visite des personnes plus âgées. Le sous-titrage des vidéos et des films est également apprécié des personnes qui sont plus visuelles qu’auditives. Une rampe sert à bien du monde, du livreur au parent avec une poussette et au voyageur avec une valise à roulettes…

4. Entendu cet automne à Victoriaville[2] lors du colloque organisé par Kéroul et l’UQAM : « Kéroul offre depuis plusieurs années des formations destinées à des employés de l’industrie touristique, mais force est de constater que cette offre est peu connue et qu’un effort de communication doit être déployé à ce niveau. » De quelle formation parle-t-on ici?

Voici quelques types de formation :

  • L’accessibilité : qu’est-ce que c’est? Comment planifier l’accessibilité dans son entreprise? Comment bâtir et mettre en œuvre son plan d’accessibilité? Formation sur mesure (durée sur mesure)
  • L’accueil de personnes en situation de handicap et les aménagements des installations et des services : différents formats et contenus pour étudiants, gestionnaires, service à la clientèle, préposés à l’accueil, événements et festivals, entreprises culturelles, attractions, hébergements, etc. (durée : de 2 heures à 15 heures)
  • L’accessibilité des installations, des activités et des services pour le tourisme et la culture: différents formats et contenus pour gestionnaires, organisateurs d’événements, designers d’expositions, etc. (durée : de 2 heures à 15 heures)
  • Formation pour les conseillers en voyage
  • Conférence pour les voyageurs en situation de handicap (comment préparer son voyage)
  • Formation réglementaire pour les entreprises sous juridiction fédérale

5. Kéroul, c’est aussi une « certification » ou un « label »; de quoi parle-t-on?

Il s’agit d’une certification en accessibilité pour les établissements et les attractions visités, avec plusieurs centaines de critères à remplir. Celle-ci donne une crédibilité certaine aux entreprises qui l’obtiennent et garantit aux personnes en situation de handicap que l’entreprise est sérieuse dans son approche d’accessibilité.

6. Bientôt 20% de la population sera en situation de handicap. Ce sera l’un des plus grands défis social et économique de notre société. N’avez-vous pas l’impression qu’on ne prend pas la mesure de cette question en tourisme?

S’il faut reconnaitre qu’il y a eu des pas importants pour rendre accessibles les sites touristiques aux personnes à mobilité réduite, il ne faut pas oublier, du même souffle, le retard accusé pour s’adapter aux besoins des personnes ayant des handicaps invisibles, à l’instar des personnes autistes ou des personnes ayant une déficience intellectuelle.

En tourisme, les gens ne sont pas toujours préparés pour l’avenir, mais ils sont très flexibles à changer, surtout avec l’influence des grandes chaînes hôtelières. Le handicap n’enlève pas l’envie de voyager, mais cela peut impliquer d’explorer des destinations d’une manière différente. Le tourisme accessible, ce sont aussi des équipements et des activités plus accessibles pour la population : attractions, restaurants, hôtels, transports, etc. Ça améliore la vie de tous.

Pour sortir des sentiers battus, je vous suggère de visiter le parc de la Rivière Gentilly, le Centre récréotouristique des Hautes-Terres, un Économusée accessible, de découvrir la coopérative BivouaQ Aventures Inclusives ou de vous rendre sur le site de Kéroul, d’explorer notre base de données et de lire les récits de voyageurs.

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Le ministère du Tourisme du Québec a fait preuve de vision, depuis des décennies, pour rendre accessible notre destination, en incluant l’accessibilité dans ses plans d’action et en reconnaissant Kéroul comme le partenaire privilégié en matière d’accessibilité.

Enfin, en conclusion, si vous doutez de l’impact d’une approche inclusive en accessibilité, voyez ici le témoignage d’une influenceuse du Queensland australien :

Le ministre du Tourisme de cet État en Australie, Stirling Hinchliffe, souhaite faire du Queensland une « destination de choix à tous les niveaux » avant les Jeux olympiques et paralympiques de Brisbane 2032.

Agnew est une voyageuse non-voyante du Queensland (podcast). Lors d'un récent voyage à Cairns, dans le cadre d'un podcast sur les voyages accessibles, Agnew a emprunté le Kuranda Scenic Railway. Même si elle ne pouvait pas admirer le paysage visuellement, elle l'appréciait parce qu'elle était capable d'en faire l'expérience à travers ses autres sens.

« En descendant la montagne, vous pouvez ressentir le changement de température de l'air et le sentiment de savoir quand vous êtes dans une forêt tropicale ou dans des tunnels, a déclaré Agnew. Ensuite, lorsque le train passait devant la cascade, j'entendais la cascade très fort. Je savais donc qu'elle était là, et j'ai donc pu vivre pleinement cela, ce qui était vraiment génial. » Elle a déclaré que les détails de la lecture audio pour tous les voyageurs étaient particulièrement utiles. «Ils avaient un message audio qui disait quelque chose comme: "Par la fenêtre à votre gauche, vous pouvez voir la mer au loin et en dessous se trouve un pont et voici l'arrière-plan derrière le pont." C'était donc une sorte de description de ce qui se passait par la fenêtre, qui était vraiment accessible pour moi, a déclaré Agnew. Ce que cela a fait, c'est que cela m'a incluse, tout en parlant aussi de l'histoire, qui s'adresse à tout le monde. En fin de compte, cela a été conçu de manière universelle. Que ce soit délibérément ou non, cela m’a en fait incluse sans avoir la vue. »


[1] Accessibility is of growing concern with approximately 15% of the global population living with a disability, of whom 190 million experience challenges in daily functioning (The World Bank, 2019). This is a figure that is expected to increase over the coming decades partly due to an ageing society and the prevalence of age-related disabilities (Lee & King, 2019; Vila, Darcy & Rodriguez, 2015). Combined, people with disabilities and seniors comprise over 20% of the global population, representing one of the biggest economic and social challenges of the present time (Hansen & Fyall, 2021; Vila et al., 2015).

[2] À noter que Victoriaville est la seule destination certifiée par Kéroul comme Destination pour tous.

 

  

Jean-Michel Perron
PAR Conseils


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