Un sujet tabou : la compétence des gestionnaires est-elle au rendez-vous? (Suite)
- Innover constamment
- Demander des conseils à l’externe
- Avoir un plan d’affaires solide pour mesurer ses progrès
- Embaucher les meilleurs et savoir les mobiliser
- Développer un lien solide avec les fournisseurs
Pour pouvoir établir de façon scientifique si ces caractéristiques se retrouvent dans la majorité des entreprises du secteur, il faudrait réaliser une enquête avec un échantillon valide, ce qui n’a pas été fait. Je partage ici mes perceptions. Je vous invite à participer à la conversation; vos perceptions valent bien les miennes. Ainsi cette discussion sera plus représentative de l’industrie.
Mon travail de directrice générale du CQRHT (1996-2011) m’a permis de rencontrer plusieurs gestionnaires d’entreprises, de tous les types (grande, moyenne, petite, très petite, très très petite), de tous les secteurs et de toutes les régions. Des points communs : « vous êtes tous attachés à votre entreprise, vous travaillez fort, vous êtes fiers de ce que vous réalisez, vous vous sentez souvent bien seuls face à la complexité des défis auxquels vous êtes confrontés ». Personne ne peut mettre en doute votre bonne volonté. Mais aujourd’hui, la bonne volonté, l’amour de son produit, travailler 14 heures par jour, ce ne sont pas des compétences qui assurent la réussite. À mes débuts dans l’industrie, en 1976 on disait « location/ location/ location »; en résumé, si tu étais bien situé, tu faisais de l’argent! Mais la localisation ne suffit pas non plus.
Oui, pour développer une offre à succès, il faut, comme le disait ma collègue France Lessard dans son article du 2 février, Empathie, Imagination-créativité, et audace, mais il faut aussi retrouver au sein de votre organisation les 5 caractéristiques citées plus haut. Qu’en est-il dans notre industrie?
1. Innover constamment
La définition d’innover : introduire du nouveau dans un domaine.
L’industrie est très consciente de l’importance d’innover; cependant le terme innover est souvent utilisé de façon réductrice. On associe souvent ce terme uniquement à un nouveau produit. Or, on peut innover dans tous les domaines de la gestion. Des innovations importantes ont vu le jour dans le domaine du ski : ski à l’heure, la passe de saison par plage horaire, etc.; ici, l’innovation est dans le mode de paiement. On a aussi constaté de l’innovation dans les modalités de réservation, dans des types de promotion pour augmenter la durée des séjours. Innovation observée également en gestion des ressources humaines (GRH) : des entreprises saisonnières paient à l’année (salaire horaire plus bas) les personnes clés de l’organisation pour assurer la stabilité de l’entreprise. Cette liste pourrait s’allonger. Bref, l’innovation est présente, mais pas suffisamment. Si on analyse le tout par son contraire, l’antonyme d’innover, c’est maintenir, stagner, copier, imiter. Force est de constater que la suroffre prévalant dans le produit spa, en restauration et en hébergement traditionnel ressemble plus à « stagner, copier et imiter ». En matière d’innovation, je nous donnerais collectivement une note de 60 %.
2. Demander des conseils à l’externe
Notre industrie est composée majoritairement de petites entreprises. La rentabilité est rarement au rendez-vous. Embaucher un consultant apparaît souvent comme une dépense hors de portée. Les consultants n’ont pas bonne réputation, « ils nous empruntent notre montre pour nous donner l’heure »; pourtant, si on choisit la bonne personne, le regard externe permet de pousser avantageusement la réflexion. L’entrepreneur-investisseur n’a pas toujours ce réflexe, soit par manque d’argent ou par peur de se faire voler l’idée du siècle. Et si le conseil externe faisait économiser de l’argent, permettait de gagner du temps, donnait accès à de l’information privilégiée? Les grandes entreprises y recourent de façon plus régulière, les petites n’ont pas les moyens de ce réflexe. Je nous donnerais collectivement une note de 30 %.
3. Avoir un plan d’affaires solide pour mesurer ses progrès
Les plans existent dans la grande entreprise et dans les petites performantes. Mais là, j’ai entendu de tout:
« Un plan dans une industrie aussi imprévisible, c’est inutile. Comme on ne contrôle pas les variables, à quoi ça sert? »
« Je fais un budget pour le banquier afin d’obtenir du financement, et j’en ai un autre à côté plus réaliste »
« Un plan alors que je ne sais pas si j’ouvrirai la prochaine saison, quelle perte de temps! »
Et ainsi de suite… Un plan d’affaires en 2015 est encore un outil dont on questionne l’importance. Je nous donnerais 50 %, et là, merci au travail effectué par les CLD pour expliquer et exiger les plans d’affaires aux entreprises en démarrage! Sans leur travail soutenu, nous serions peut-être à 30 %.
4. Embaucher les meilleurs et savoir les mobiliser
Disons que pour cet aspect de la conversation, on pourrait m’accuser d’avoir un parti pris.
Embaucher les meilleurs
L’industrie est encore composée d’entreprises familiales, mais être membre d’une même famille n’est pas une garantie de compétence. Si le premier critère est cette appartenance, l’embauche du meilleur est compromise? Il est douteux qu’on puisse s’assurer du meilleur.
L’industrie touristique attire, mais ne retient pas. J’ai rencontré des étudiants dynamiques, brillants, passionnés par notre industrie, mais sans emploi. J’ai aussi rencontré des employeurs incapables de recruter. Deux solitudes.
Des employeurs cherchent des compétences, mais ils n’ont pas les moyens de garantir un salaire annuel correspondant au niveau de formation requis pour occuper le poste. On cherche encore des diplômés universitaires avec 2 ans d’expérience pour un salaire inférieur à 15 $ l’heure ou annuellement inférieur à 30 000 $ : comment veut-on être pris au sérieux comme secteur d’embauche avec ce type de propositions? Si c’est le salaire que vous avez les moyens de payer, embauchez un titulaire de diplôme de secondaire V et montrez-lui ce que vous faites, ce qui n'assure pas l’apprentissage du métier. Acceptez le fait que cette façon de faire est là pour rester, avec le risque de maintenir la stagnation de l’organisation. Cette situation a des répercussions sur la performance du secteur. Je nous donnerais 30 %.
Savoir les mobiliser
Comme pour l’ensemble des secteurs, il y a de tout comme mobilisateur, mais compte tenu de l’attractivité du secteur touristique et malgré nos défauts en matière de GRH, notre industrie peut compter sur plusieurs entrepreneurs très mobilisateurs, ceux qui savent partager leur passion du produit. Lorsque les employés ont choisi de rester dans notre industrie, c’est qu’ils ont croisé l’un de ces entrepreneurs passionnés. Je nous donnerais 60 %.
5. Développer un lien solide avec les fournisseurs
Pour ce volet de la discussion, je marche davantage sur des œufs, car je dois me référer à mon expérience comme gestionnaire d’entreprise saisonnière, un OBNL en plus, d’il y a près de 20 ans, donc pas représentative.
Si entretenir une bonne relation avec les fournisseurs veut dire payer aux 30 jours, disons que le défi est de taille, voire impossible à rencontrer. J’ai le souvenir d’avoir payé en juillet le lait bu en mai.
Si entretenir une bonne relation avec les fournisseurs veut dire :
- donner l’heure juste sur notre capacité de payer,
- négocier de façon honnête et transparente,
- se rappeler quand ça va bien qui nous a aidés quand ça allait mal,
- créer des alliances créatives avec des sous-traitants,
cette compétence est à la portée de l’industrie et peut permettre de nous différencier. Je vais nous donner 70 %, la note de passage dans une entreprise qui veut se démarquer.
Compilation globale
Je sais: il s’agit de mon opinion personnelle. Ceci a la valeur que l’on veut bien lui donner, mais j’aimerais que quelqu’un réussisse à me convaincre du contraire; je serais alors la personne la plus heureuse. Le plus grand défi des prochaines années passe par des changements en profondeur au sein des entreprises touristiques, et la compétence des gestionnaires devra s’améliorer. Nous ne devons pas viser le 60 %, mais bien le 80 % : rien de moins que l’excellence, et ce, sans toujours invoquer la petite taille des entreprises pour justifier notre sous-compétence.
Merci de compléter le tableau, nous pourrons constater la différence de perception entre (MOI), votre réalité (AUTO-ÉVALUATION) et votre perception de l’industrie (DANS L’INDUSTRIE).
Collaboration spéciale, Adèle Girard
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