Nouveau terminal à l’aéroport Saint-Hubert : une bonne nouvelle avec quelques bémols, par Mohamed Reda Khomsi
L’annonce le 27 février d’un nouveau terminal à l’aéroport de Saint-Hubert a fait beaucoup de bruit au pays et presque tous les médias lui ont dédié un ou plusieurs articles. Les parties prenantes du projet, principalement l’aéroport de Saint-Hubert et la mairie de Longueuil, ont aussi fait le tour des stations de radio et de plateaux de télévision pour expliquer d’une part le processus ayant mené à l’annonce et d’autre part, répondre aux préoccupations soulevées par un groupe de citoyen quant à la pollution sonore que va générer l’augmentation du volume de trafic aérien. Cela dit, en analysant la couverture médiatique de l’annonce, il est décevant de constater qu’il y a eu très peu d’analyses de fond du dossier et que peu de nuances ont été apportées à certains arguments avancés par les promoteurs du projet. Dans cet ordre d’idée, j’essaierai dans le cadre de cette chronique d’apporter quelques précisions sans nécessairement tout couvrir pour ne pas être trop long.
D’un point de vue touristique, l’annonce du développement d’un nouveau terminal à l’aéroport Saint-Hubert est une très bonne nouvelle pour Montréal, et ce pour plusieurs raisons:
- L’inauguration en parallèle d’un hôtel de 130 chambres à proximité de l’aéroport aura le mérite de bonifier l’offre d’hébergement sur la Rive-Sud de Montréal. Le fait que l’aéroport, et l’hôtel par conséquent, sera relié par des navettes de et vers la station de métro de Longueuil fera en sorte que ce dernier sera sérieusement considéré par plusieurs visiteurs, aussi bien d’affaires que de loisir, de la métropole;
- Certes, la pandémie a ralenti la croissance de l’aéroport YUL de Montréal, mais ce n’est qu’une question de mois pour que ce dernier récupère son achalandage pré-COVID (20 millions de passagers en 2019) et surtout son rythme de croissance. À partir de là, l’arrivée d’une nouvelle option à l’aéroport Saint-Hubert pourra soulager le trafic à l’aéroport YUL de Montréal qui pourra se concentrer sur le développement des vols internationaux. En sus, de l’aveu même du PDG de l’aéroport de Montréal, Philippe Rainville, lors d’une conférence organisée par l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal le 9 mars dernier, le secteur des vols domestiques à l’aéroport YUL de Montréal n’offre pas la même expérience aux passagers comparativement à celle proposée aux voyageurs transfrontaliers et internationaux. Dans ce sens, l’aménagement d’un terminal moderne à l’aéroport de Saint-Hubert pourra éventuellement inciter plusieurs voyageurs à transiter par cet aéroport plutôt que par celui de Montréal.
- Dans le communiqué de l’annonce, il est indiqué que 500 postes permanents seront créés suite à ce nouveau développement. Si cette promesse se concrétise, elle aura le mérite de consolider encore plus le positionnement de la métropole comme un hub aéronautique majeur au pays et surtout d’augmenter l’attractivité de Montréal pour une main-d’œuvre qualifiée.
Il existe certainement d’autres impacts positifs à ce projet pour l’économie de Montréal en général et pour le tourisme en particulier, mais disons que ceux qui sont cités ci-dessus sont les plus évidents.
Cependant, d’autres arguments présentés lors de l’annonce méritent qu’on y apporte quelques nuances importantes à mon avis :
- L’amélioration du transport aérien régional : si vous suivez mes chroniques dans TourismExpress depuis la dernière année, vous savez que c’est un sujet que j’ai beaucoup exploré. À ce titre, l’affirmation que le développement d’un nouveau terminal à l’aéroport aura le mérite d’améliorer le transport aérien régional est à mon avis très exagérée. En fait, le problème de ce secteur n’a jamais été la disponibilité des aéroports dans le sud de la province (Montréal et Québec), mais plutôt un ensemble de facteurs – le prix des liaisons entre les centres urbains et les régions éloignées, la régularité du service et la faiblesse de la demande dans ces régions – qui ont fait en sorte que le transport aérien régional au Québec soit toujours déficient. L’annonce dernièrement de l’arrêt des liaisons entre Montréal et Mont-Joli est une démonstration de plus que le problème ne se limite pas à offrir plus de connexion entre Montréal et les différentes régions du pays.
- Acceptabilité sociale du projet : Dans les entrevues accordées aussi bien par la mairesse de Longueuil que par le DG de l’aéroport de Saint-Hubert on a beaucoup souligné que la majorité des citoyens, 58 % pour être précis, était d’accord avec le projet. Ce chiffre provient en fait d’une consultation menée par l’Office de participation publique de Longueuil qui a mené des consultations auprès de la population longueuilloise entre août et octobre 2022 et qui s’est déclinée en trois étapes : 1) un sondage auprès d’un échantillon représentatif de la population 2) un questionnaire en ligne, basé sur le sondage, mais ouvert à toute la population de la ville de Longueuil et 3) un panel citoyen. S’il n’y a rien à dire sur la rigueur de l’exercice, l’analyse du rapport de consultation nous permet cependant de faire quelques constats intéressants :
- Dans le sondage représentatif de la population de la ville, il est indiqué qu’on retrouve une portion significativement plus élevée qui se dit défavorable au projet au sein de l’arrondissement Saint-Hubert (38 %) par rapport aux personnes vivant dans les autres arrondissements ;
- Le pourcentage des personnes défavorables au projet et qui habitent dans l’arrondissement Saint-Hubert, qui est à proximité de l’aéroport, grimpe à 53 % dans le questionnaire en ligne ouvert à la population;
- Les 15 membres du panel citoyen ont conclu au terme d’activités d’information et de délibération animées par l’office qu’il existe des conditions rendant acceptable le projet, mais que cet avis n’est pas absolu et est indissociable d’une série de conditions dont plusieurs sont à mettre en place avant le lancement du projet.
En résumé, ce qu’il faut retenir de la consultation auprès de la population longueuilloise c’est que les gens qui seront directement affectés par le développement du projet sont les moins favorables au projet, contrairement à ceux qui habitent loin de l’aéroport et qui voient d’un bon œil le nouveau développement. Cette situation me rappelle, même si la comparaison peut paraitre boiteuse, le projet de construction de l’aéroport Nantes-Notre-Dame des Landes en France. Ce dernier a été abandonné par le gouvernement français malgré un référendum populaire en faveur du projet (56% pour vs 44% contre) faute, entre autres, d’acceptabilité sociale du projet. Autrement dit, bien qu’il y ait une majorité de personnes qui soit favorable au projet, il ne faut pas non plus négliger les préoccupations des personnes qui sont contre.
Finalement, j’ai aussi un petit doute concernant la volonté de Porter Airlines de se contenter, à moyen et long terme, aux vols domestiques à partir de l’aéroport Saint-Hubert. Pour rappel, la compagnie aérienne avait annoncé en 2021 l’acquisition de 80 avions à réaction Embraer pour desservir plus de destinations aux États-Unis, au Mexique et aux Caraïbes, même si elle n’était pas autorisée à utiliser ce type d’appareil à partir de l’aéroport Billy Bishop où se concentre l’essentiel de son trafic. Faut-il voir dans le nouveau développement de l’aéroport Saint-Hubert un lien avec la stratégie de croissance régionale annoncée par la compagnie? Pour le moment, les promoteurs du projet ont répété à plusieurs reprises que l’objectif était de se concentrer sur le marché des vols domestiques, mais qui peut garantir que la perspective ne changera pas d’ici quelques années? Restons donc attentifs à l’évolution du dossier.
Mohamed Reda Khomsi Ph.D
Professeur I Directeur des cycles supérieurs en tourisme
Département d’études urbaines et touristiques
École des sciences de la gestion
Université du Québec à Montréal
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