Et Dieu créa l'IA en tourisme, par Jean-Michel Perron

Techno, Tourisme durable · · Commenter

Nous vivons dans une époque formidable. Il y a quatre ans, la « mode » était au tourisme durable, aujourd’hui c’est à l’Intelligence Artificielle qui va orienter et assurer le développement de notre tourisme, selon ses apôtres autoproclamés. Hors de l’IA, point de salut. Si l’intelligence artificielle est encore loin d’exister, les nouvelles technologies, dont les LLM (modèles de langage de grande taille : Large Language Models), transforment néanmoins profondément notre mode de vie.

Nous en sommes encore aux balbutiements. Lisez ici d’ailleurs un excellent article différenciant l’IA et l’IA Générative. Il faut savoir qu’en planification touristique, l’IA affiche souvent des réponses erronées ou entièrement fausses. Selon une étude récente citée par Hospitality On et menée par l’agence SEO Travel, 90% des itinéraires de voyage suggérés par ChatGPT comportent une ou plusieurs erreurs.

Mais l’accessibilité croissante de l’IA, en particulier de l’IA générative, promet une efficacité opérationnelle et une expérience de voyage plus personnalisée pour les entreprises qui peuvent mettre à jour leur technologie, leurs équipes et leurs stratégies pour l’exploiter.

Après l’échec du chatbot Tay de Microsoft il y a quelques années et les critiques envers Galactica, l’outil d’aide à la rédaction scientifique de Meta, ChatGPT a étonné en rencontrant un succès fulgurant dès son lancement. Vous vous rappelez de mon article du 13 décembre 2022 annonçant l’arrivée de l’IA pour tous, une première dans TourismExpress sur le sujet ? Cet engouement a sans doute été motivé par sa facilité d’utilisation, sa capacité à fournir des réponses cohérentes et un marketing efficacement axé sur le potentiel d’utilisation.

Concrètement, les applications en tourisme sont multiples. Ma consoeur Karine Miron en traitait ICI dans TourismExpress en août dernier. Aussi cet autre article de La Quotidienne.

Voyez également ICI et ICI deux papiers concrets de l’infolettre TOM en France, sur deux PMEs en tourisme qui appliquent l’IA.

Par contre, on se doit de garder l’œil ouvert selon Jim Covello, responsable de la recherche boursière chez Goldman Sachs à New York. Ce vétéran de Goldman a rejoint une équipe interne qui a évalué récemment les services d’IA que l’entreprise pourrait utiliser. Il a déclaré que les services qu’il a examinés étaient coûteux, lourds et pas « suffisamment intelligents pour rendre les employés plus intelligents ». « Construire à outrance des choses dont le monde n’a pas besoin ou n’est pas prêt à faire, finit généralement mal », a-t-il déclaré.

La planète peut-elle supporter la demande en énergie de l’IA ?

Google a admis cet été que sa technologie IA menaçait ses objectifs environnementaux après avoir révélé que les centres de données, un élément clé de l'infrastructure de l'IA, avaient contribué à augmenter ses émissions de gaz à effet de serre de 48 % depuis 2019. Cela fait suite à Microsoft, le plus grand bailleur de fonds du développeur de ChatGPT OpenAI, qui a admis que son engagement de cible net zéro d'ici 2030 pourrait ne pas réussir en raison de sa stratégie d'IA. La consommation d'eau est également importante, une étude estimant que l'IA pourrait représenter jusqu'à 6,6 milliards de mètres cubes d'eau d'ici 2027, soit près des deux tiers de la consommation annuelle de l'Angleterre.

D’ici à trois ans, la part de l’IA va passer de 8 % à 45 % dans la consommation électrique des centres de données. L’IA, on s’entend, révolutionne pour le meilleur et pour le pire le tourisme. Pour moi le pire c’est cette consommation électrique de l'ensemble des serveurs dans le monde qui va doubler d’ici 3 ans, ce qui aura un impact majeur sur les émissions carbone car l’électricité ailleurs sur la planète est souvent générée par les énergies fossiles. En 2025, on parle de 3,5% des GES générés par l’IA. Et selon une analyse du quotidien The Guardian, entre 2020 et 2022, les émissions réelles des centres de données « internes » ou appartenant aux entreprises de Google, Microsoft, Meta et Apple sont probablement d'environ 662 % – soit 7,62 fois – plus élevées que celles officiellement déclarées.

A ce risque s'ajoute celui d'un accaparement des ressources limitées en énergies renouvelables : Amazon, Meta, Google et Microsoft ont, à eux seuls, acheté 29 % des nouveaux contrats d’éolien et de solaire dans le monde. La demande en métaux nécessaires pour le fonctionnement de l'IA pourrait également créer une concurrence des usages entre le numérique et l’énergie, étant donné qu'une partie de ces métaux est nécessaire pour construire les éoliennes.

Selon la firme financière Bloomberg : « … les implications des récentes avancées en intelligence artificielle sur le réchauffement climatique se résument à ceci : l’IA offre de grands avantages dans de nombreux domaines, de la surveillance de la fonte des glaces et de la déforestation à l’optimisation des réseaux électriques, mais elle est extrêmement gourmande en énergie, ce qui peut se traduire par davantage d’émissions de carbone et de destruction climatique. L’un des impacts qui reçoit moins d’attention est de savoir si le battage médiatique autour de l’IA détourne l’attention et l’argent de la lutte contre le changement climatique. James Socas, qui dirige l’activité de solutions climatiques chez Investcorp, le plus grand gestionnaire d’actifs alternatifs du Moyen-Orient, affirme que c’est déjà le cas.»

On comprend mieux maintenant pourquoi Microsoft redémarrage la tristement célèbre centrale nucléaire de ThreeMiles Island de Pennsylvanie, en 2028.

L’IA doit servir la transition durable

Avec cette énorme empreinte carbone, le cartel (oups, plutôt l’oligopole) de l’IA doit au minimum servir à compenser par des applications concrètes de l’IA sur la décarbonation, le dépollution et la protection/régénérescence de la biodiversité.

Pour pouvoir fonctionner correctement et donner des pistes d’actions pertinentes, l’intelligence artificielle doit être alimentée par des données qualifiées mentionnait récemment Misa Labarile, responsable politique tourisme à la Commission Européenne, les données ont un rôle crucial à jouer dans la transition écologique du tourisme. Mais beaucoup d’entreprises et de destinations ne savent pas comment les utiliser. La Commission Européenne travaille sur une infrastructure de données qui permettrait aux acteurs du secteur d’échanger leurs informations. Au Québec, on n’en est même pas à posséder les bonnes données de base sur nos impacts environnementaux en tourisme (ex : empreinte carbone des PMEs en tourisme, économie circulaire,GMR, etc…), alors pour accélérer avec l’IA ,notre intelligence collective en tourisme, comme je le répète depuis des années, peut-on se doter d’outils collectifs partagés d’indicateurs durables ? Et en structurant une offre durable, grâce à ce partage des données, les voyageurs seront plus enclins à réserver avec discernement des séjours plus respectueux de l’environnement.

Contrôle, accès à l’information et éthique

Imaginez ceci : comme chaque jour de la semaine, vous vous rendez sur le site de TourismExpress. Plein d’enthousiasme, on vous annonce un matin : « Je vais vous simplifier les choses, j’ai lu tous les articles de TourismExpress, d’ailleurs j’ai lu toute la presse dans la nuit touchant au tourisme, j’ai même avalé toute l’actualité touristique internationale ! Je vais vous faire un résumé de ce que j’ai retenu en quelques minutes. » Et TourismExpress vous égrène une somme d’actualités dont il imagine qu’elles peuvent vous intéresser. Comment a-t-il choisi ces informations parmi tout ce qu’il a lu ? Sait-il reconnaître des fausses informations ? Quels sont ses biais idéologiques ? Et, finalement, quelle confiance pouvez-vous accorder à ce résumé ? Cette situation n’est pas de la science-fiction : c’est justement ce que font les intelligences artificielles (IA) génératives en se positionnant entre nous et l’ensemble des contenus qu’elles ont « digérés ». - Laure de La Raudière, présidente de l’Autorité de régulation des communications en France. (note : évidemment j’ai remplacé « Le Monde » par « TourismExpress »)

Elle poursuit : « Les IA génératives menacent notre liberté de choix dans l’accès aux contenus en ligne ainsi que notre liberté d’expression. Il s’agit d’une remise en cause fondamentale du principe d’ouverture d’Internet : tous les fournisseurs d’accès à Internet ont l’interdiction de discriminer l’accès aux contenus qui circulent dans leurs réseaux. Si nous voulons profiter du formidable potentiel de l’IA pour la santé, la compréhension du climat, l’éducation, l’économie et la société en général, assurons-nous qu’Internet demeure un espace ouvert d’innovations et de libertés. Réclamons un « droit au paramétrage » pour que chacun puisse contrôler les services d’IA qu’il utilise »

Et ce point de vue d’Atout France : « L’IA est à la fois une source d’opportunités et de menaces. C’est un peu la nouvelle grande déferlante qui s’abat sur le Tourisme, après l’intermédiation apportée par Internet et la montée en puissance des OTA, entraînant la perte de contrôle des acteurs touristiques sur leur clientèle. En ce sens, l’IA peut être une menace », reconnaît Hugo Alvarez, Sous-Directeur Observation, Prospective et Stratégie chez Atout France.

« Il ne faut pas se fier aux grandes entreprises technologiques américaines pour assurer la réglementation de l’intelligence artificielle. Les décideurs politiques collaborent avec les grandes entreprises technologiques telles que Meta (Facebook), Alphabet (Google), Amazon, Apple et Microsoft, même si leurs dirigeants ont fait preuve d’une volonté effrontée de créer des outils dangereux et de nuire aux utilisateurs au nom de la maximisation des profits ». - Le professeur d’éthique Peter Kirchschläger qui détaille, dans une chronique dans le quotidien Le Monde, toutes les menaces de l’IA.

La solution passe par la mise en place de cadres formels et le développement d’outils permettant de détecter et de corriger les dérives des modèles d’IA

Autre élément éthique, c’est la tromperie pour des destinations ou PMEs touristiques qui ne mentionnent pas au bas de leurs photos ou vidéos promotionnelles « Photo générée par l’IA ». Évitons la désinformation touristique, ne gonflons pas les attentes des visiteurs qui risquent d’être déçus à destination et surtout faisons preuve de respect par un marketing responsable.

Ma conclusion

Ne pas sauter immédiatement sur l’IA comme PME en tourisme ne sera pas une catastrophe malgré ce qu’affirment les oracles. Costco, le 3è plus grand commerçant au détail au monde après Amazon et WalMart est le plus aimé des commerçants. Pourtant cette chaîne a toujours été hésitante face aux nouvelles technologies incluant pour son arrivée tardive en commerce électronique. Ce sera intéressant de voir comment et quand elle va embarquer avec l’IA.

Mais si vous souhaitez démarrer, et connaître le parcours pour intégrer l’IA à votre organisation touristique, voyez l’approche suggérée ICI du Français Nicolas François.

Même si l’IA sera incontournable pour notre tourisme, soyons conscients des enjeux qui nous dépassent. Récemment l’auteur/historien (Homo Sapiens et son nouveau livre : NEXUS: A Brief History of Information Networks From the Stone Age to AI) Yuval Noah Harari ,nous met en garde sur la façon dont l’IA pourrait menacer la démocratie et diviser le monde : « Ne faites jamais appel à un pouvoir que vous ne pouvez pas contrôler » .

Dans une enquête réalisée en 2023 auprès de 2 778 chercheurs en IA, plus d’un tiers d’entre eux ont estimé qu’il y avait au moins 10 % de chances que l’IA avancée conduise à des conséquences aussi graves que l’extinction de l’humanité. L’année dernière, près de 30 gouvernements – dont ceux de la Chine, des États-Unis et du Royaume-Uni – ont signé la déclaration de Bletchley sur l’IA, qui reconnaît qu’« il existe un risque de dommages graves, voire catastrophiques, délibérés ou non intentionnels, découlant des capacités les plus importantes de ces modèles d’IA ».

Le prix Nobel de physique 2024, le Britanno-Canadien Geoffrey Hinton, surnommé le « parrain de l’intelligence artificielle, résume brièvement, dans cette article de Radio-Canada, les menaces de l’IA.

Pour terminer, adoptons au Québec, svp les termes en français de l’IA (merci à TOM), voyez ici le lexique officiel en France. 

  

Jean-Michel Perron

PAR Conseils
Blogueur et bifurqueur