Abolition de la classification obligatoire : la plaie n’est pas encore guérie, par Claudine Hébert

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Quelques appels ici et là au sein de l’industrie hôtelière suffisent pour constater que l’abolition de la classification obligatoire des hébergements touristiques survenue le 1er septembre 2022 (suite à la nouvelle Loi sur l’hébergement touristique (LHT)) suscite davantage de frustration que de satisfaction de la part de plusieurs acteurs qui en bénéficiaient.

Source: Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ)

« Il fallait moderniser la grille de classification. Mais de là à abolir tout le système, c’est une autre histoire », répond brièvement Bertil Fabre, directeur général du Centre Sheraton Montréal.

Un avis que partage le président directeur général de l’Association hôtelière du Grand Montréal (AHGM), Jean-Sébastien Boudreault, qui chapeaute plus de 160 membres, totalisant plus de 20 000 chambres et suites sur le territoire montréalais. « Depuis le début, nos membres se sont opposés à cette abolition. Maintenant, devant le fait accompli, nous cherchons des pistes de solution. Notre association analyse d’ailleurs la possibilité de créer un système de classification en collaboration avec les autres associations hôtelières de la province », mentionne le PDG.

Classification volontaire, non merci!

Mais une chose est claire, insiste le dirigeant de la plus imposante association hôtelière régionale en termes de chambres. Pas question de développer une formule à caractère volontaire. « Nos membres n’en voudront pas. Ce qu’ils souhaitent, c’est le retour d’une classification obligatoire pour tous avec une grille de critères revue et corrigée. Un programme qui sera supervisé par une tierce partie autonome et indépendante. »

En attendant, Jean-Sébastien Boudreault redoute l’arrivée du 31 août 2023, jour où tous les panonceaux du défunt système devront avoir été retirés sur la devanture des établissements ainsi que sur le site web. « Chacun sera libre d’afficher le nombre d’étoiles qu’il désire. »

Son vis-à-vis à l’Association hôtelière de la région de Québec (AHRQ), Alupa Clarke, reconnaît que l’abolition a été la source de plusieurs tensions et conflits au sein de son organisation. Rappelons que l’AHRQ, qui représente 250 membres (dont une cinquantaine d’entreprises liées aux opérations et à la gestion hôtelières) et 15 000 chambres et suites, avait rompu son lien avec l’Association Hôtellerie du Québec (AHQ) en faveur de l’abolition, pour justement manifester son désaccord. Un geste qu’avait également posé l’AHGM pour les mêmes raisons.

« Je suis toutefois optimiste. La poussière commence à retomber. Bien que ce soit un dossier très complexe, l’industrie hôtelière a avantage à collaborer de nouveau ensemble pour trouver une solution à cet enjeu, et bien d’autres dont la pénurie de main-d’œuvre et l’hébergement illégal », soulève le directeur général de l’AHRQ. Ce dernier apprécie justement que la collaboration et les discussions avec les autres association (incluant l’AHQ) soient demeurées actives. « C’est fondamental afin d’assurer une défense adéquate et optimale des intérêts du secteur hôtelier. Il cite justement le témoignage commun que feront conjointement son association, l’AHQ et l’AHGM lors de la Commission parlementaire étudiant le projet de loi 25 sur l’hébergement illégal, le mardi 23 mai.   

Un programme qui manquait cruellement d’agilité

À propos de l’AHQ, sa présidente Caroline Milot, elle-même gestionnaire d’établissements hôteliers, dont l’Hôtel et Suites Le Dauphin, à Drummondville, ne cache pas qu’elle militait en faveur de l’abolition. « C’était dans un contexte où les grilles d’évaluation étaient mal adaptées à différents concepts d’hôtel « non conventionnels » ou plus « nichés. Les critères ne répondaient plus tant aux attentes de certains hôteliers ni à celles de leurs clients », affirme-t-elle.

Soulignons que Caroline Milot a déjà été présidente de la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ). Elle était même administratrice au sein de son conseil jusqu’au jour de l’abolition. « J’ai déjà participé à la refonte de la grille il y a plusieurs années. Et j’y ai cru. La CITQ a toujours fait un excellent travail d’accompagnement et d’inspection. C’est le fait qu’elle est mandataire du gouvernement avec tout ce que ça implique (approbations, révisions, consultations) qui l’a rendue moins agile et adaptable aux réalités d’aujourd’hui. »

La mise à jour des grilles de classification manquait beaucoup d’agilité, renchérit la présidente-directrice générale de l’AHQ, Véronyque Tremblay. En fait, dit-elle, la grille n’avait pas changé depuis 2012. D’ailleurs, il y a une dizaine d’années, plusieurs hôteliers qui venaient d’investir des millions de dollars dans leurs établissements déploraient déjà l’injustice d’obtenir une classification identique à d'autres hôtels de même catégorie qui n'avaient rien investi depuis plusieurs années.

En poste depuis novembre 2021, la PDG de l’AHQ se réjouit d’ailleurs que son regroupement puisse collaborer de nouveau avec ses pairs des autres associations hôtelières. 

Place aux commentaires subjectifs ?

« Pour l’instant, il n’y a pas urgence d’agir, vaut mieux prendre le temps de trouver la meilleure des solutions », estime Caroline Milot. D’autant plus, avance l’hôtelière, la multiplication des plateformes web qui nous informent de l’expérience des clients peuvent déjà guider les consommateurs dans leur choix de l’établissement pour leur séjour.

Selon le propriétaire du Bonne Entente, à Québec et du complexe de villégiature Entourage-sur-le-lac, à Lac-Beauport, Alain April, il est insensé de vouloir standardiser l’offre d’hébergement touristique sur la base de commentaires subjectifs provenant des différentes plateformes de réservation. « Au lieu de conserver et d’ajuster un solide outil déjà bien ancré, nous sommes en train d’instaurer un écosystème qui va niveler par le bas. »

Fervent défenseur de la classification obligatoire depuis ses débuts en 2001, l’hôtelier de Québec ne dérougit pas. « J’en conviens, le système avait ses défauts. Mais ce n’était pas une raison pour l’abolir », maintient-il.

Un outil qui avait ses avantages

Bien qu’il doute d’une prochaine alliance, Alain April souhaite tout de même que les hôteliers et hôtelières de la province parviennent à s’entendre sur le retour d’une classification indépendante, autonome avec une grille de critères mieux adaptée. « Quoi qu’on en dise, la classification obligatoire a motivé plusieurs établissements d’un bout à l’autre du Québec à améliorer leurs infrastructures. Grâce à cet outil, une bonne partie du parc hôtelier québécois a été rénové au cours des 20 dernières années », persiste et signe Alain April.

Une source ayant participé à la mise en œuvre de la classification obligatoire, mais qui souhaite demeurer anonyme, se demande comment l’industrie a pu se débarrasser aussi facilement d’un fleuron au sein de l’industrie, envié par plusieurs destinations de partout dans le monde et notamment « jalousé » par la France.  

Camping-Québec crée sa propre classification

Elle salue néanmoins la réaction de Camping-Québec. Au lendemain de l’abolition de la classification, cette association, qui regroupe plus de 825 exploitants de terrains de camping au Québec a créé la sienne. « Il fallait réagir rapidement avant que d’autres plateformes s’improvisent à titre de classificateur », indique son dirigeant, Simon Tessier. 

S’inspirant du modèle d’attribution d’étoiles dont a bénéficié son industrie, Camping-Québec a développé sa propre formule. « Il s’agit exactement du même programme que nous avions sous la loi et l’autorité du ministère du Tourisme. Mais cette fois-ci le programme sera volontaire », explique le président-directeur général de l’association des terrains de camping du Québec.

En 2024, Camping-Québec compte toutefois apporter des modifications à sa grille. Elle introduira notamment des ratios différents pour les toilettes. L’intégration des demi-étoiles afin de standardiser est également prévue. « La grande différence avec notre système, c’est que nous n’aurons plus à approuver les changements par le MTO. Nous sommes désormais maitres d’œuvres de A à Z de notre classification. »

Un système volontaire qui fonctionne

En plus d’adhérer volontairement à cette classification, les exploitants ne sont plus obligés d’afficher leur nombre d’étoiles. C’est à leur discrétion.

Résultat : En moins d’un an, déjà plus de 350 terrains de camping ont adhéré à la classification volontaire signée « Camping-Québec », dit-il. À l’instar de l’ancien système obligatoire, les exploitants doivent débourser un peu moins de 1000$ pour obtenir l’attribution d’étoiles. Ce montant, qui permet d’autofinancer le programme, inclut la visite d’un membre de l’équipe d’inspection de Camping-Québec tous les trois ans, la production d’un rapport précis sur toutes les infrastructures de l’établissement ainsi que des pistes de solution afin d’améliorer le score final. S’ajoutent également des avantages marketing, notamment une visibilité plus rapide sur les moteurs de recherche, et des réductions de primes pour les assurances.

« Bref, Camping-Québec a trouvé une solution qui va continuer de servir ses membres, et surtout bien guider les campeurs dans leur choix d’établissement », assure Simon Tessier.

Mentionnons que la Fédération des pourvoiries du Québec (FPQ) maintient, elle aussi, la classification de ses établissements sous sa forme actuelle. Cette évaluation demeure d’ailleurs une condition sine qua non pour être membre de l’organisation. Son conseil d’administration, ainsi que la majorité des membres sondés, se sont dits en faveur de son maintien afin de conserver une référence qualité et une information adéquate à l’endroit de sa clientèle.

À lire - analyse (en anglais): Hotel Star Ratings : What Do They Mean?

 

Claudine Hébert
Journaliste et collaboratrice


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