Tourisme de luxe au Québec : quel potentiel?, par Frédéric Gonzalo (avril 2023)

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Alors que tourisme devrait cette année renouer avec les performances prépandémiques de 2019, il fait face à un certain paradoxe. La soif de voyager – ou le revenge travel – demeure bien réelle, mais l’inflation et les risques de récession amputent le budget discrétionnaire de plusieurs consommateurs. Ce paradoxe est par contre moins vrai pour un créneau de voyageurs résilient, qui aura toujours (ou presque) les moyens de ses ambitions : les touristes de luxe.

Qu’est-ce que le tourisme de luxe?

Déjà, il faudrait s’entendre sur la définition du concept. Jusqu’à tout récemment, et pour plusieurs encore aujourd’hui, le luxe en tourisme est synonyme d’hôtellerie 5 ou 6 étoiles, ou d’un type d’hébergement hors norme, de qualité supérieure. Bien que l’hébergement soit encore un facteur important, on remarque depuis quelques années une évolution marquée vers des expériences distinctives et personnalisées.

Voyez d’ailleurs cette définition, glanée sur le site web de l’agence Tribe Global :

« Le tourisme de luxe est associé à des expériences uniques et exclusives, de même qu’à des services plus personnalisés. Lors d’un achat, le voyageur fortuné choisira d’abord la destination puis des services sur place, préférablement des hôtels boutique exclusifs suivis d’hôtels internationaux. »

Bref, pensez aux safaris exotiques en Afrique, aux cabanes sur pilotis de Bora Bora ou des Maldives. Mais, de plus en plus, pensez plutôt à une place réservée dans un restaurant étoilé Michelin, ou un événement privé et/ou exclusif avec des artistes, un chef réputé ou une célébrité!

Une définition que partage Éric Sturchler, directeur régional, ventes loisirs pour l’Est du Canada, pour les Hôtels Fairmont. « Le tourisme de luxe est avant tout plus niché, plus rare. Il évoque des lieux exceptionnels dont l’accès est limité. Une hôtellerie dont la qualité du produit et des prestations est soignée et irréprochable, des activités hors des sentiers battus. Amoureux de la gastronomie, le touriste de luxe recherche également des restaurants ou un marché alimentaire utilisant des produits locaux, des expériences authentiques où la notion de prendre son temps prend de l’importance », nous explique-t-il.

Le temps, c’est de l’argent!

Pour Yoann Ronsin, président de Sentiers Privés, un tour opérateur qui se spécialise dans cette niche, la notion de temps est effectivement ce qu’il y a de plus précieux. « J’ai récemment complété un énorme dossier, dans les six chiffres, pour l’Ouest canadien. Le client n’avait aucune limite de budget. Sa seule contrainte : ne pas vouloir passer plus de trois heures pour les déplacements! »

Les transferts en hélicoptères ou jets privés ne sont donc pas rares pour cette clientèle, ce qui fait évidemment gonfler la facture finale. Ainsi que l’empreinte carbone de ce type de voyages, mais ça c’est une autre histoire…

Le temps est précieux également pour des expériences en famille, ou en couple, pour des clients qui ont parfois des rythmes de vie effrénés. « On crée presque tout sur mesure pour cette clientèle, avec des événements hors des sentiers battus, hors des horaires réguliers », nous explique David Boigné, fondateur de l’agence 5 Continents.

Des exemples? Yoann Ronsin nous parle d’expériences exclusives, en fin de journée l’été, où des clients qui reviennent d’une excursion aux baleines à Tadoussac opteront pour l’hélicoptère vers une île au large de Saint-Siméon, où l’attendent un repas et une animation avant de revenir vers Québec en fin de journée.

David Boigné nous évoque une demande spéciale pour une prestation en motoneige dans une pourvoirie, au cœur de l’hiver, avec un repas spécial et pêche blanche pour un petit groupe, à l’extérieur des heures habituelles ou des forfaits classiques.

Si la notion de temps est devenue si importante, c’est en grande partie en raison de la récente pandémie qui a accentué le désir de faire des voyages sur notre « bucket list ». Et durant les deux dernières années qui ont forcé l’absence de voyages, plusieurs consommateurs avec les moyens ont pu accumuler pour se permettre des expériences d’une vie. Go big, spend big comme disent les anglos!

Villes vs régions, même combat?

Les touristes de luxe cherchant une expérience urbaine seront souvent plus intéressés par la proximité des boutiques haut de gamme, des restaurants gastronomiques et des événements culturels, tandis que ceux cherchant une expérience régionale peuvent être plus intéressés par les activités en plein air, la nature, les visites de vignobles ou les expériences culinaires locales.

Une chose semble néanmoins émerger, au fil des discussions avec différents intervenants pour cet article : au Québec, l’offre de luxe n’est pas au rendez-vous. Ou du moins, hors des grands centres (Montréal), point de salut. Le Ritz Carlton et le Four Seasons reviennent souvent dans les conversations, de même que des valeurs sûres comme les hôtels Fairmont ou les hôtels-boutiques du Vieux-Montréal, ou les labels comme Autograph et son nouvel hôtel Humaniti à Montréal. Mais rien de comparable à ce qu’on peut trouver dans l’Ouest canadien avec les wilderness lodge en Alberta ou sur l’île de Vancouver, par exemple.

Comme le mentionne M. Sturchler, qui représente le marché loisirs pour les 5 hôtels Fairmont du Québec, « ces propriétés sont localisées dans cinq régions distinctes (Montréal, Québec, Charlevoix, Laurentides et Outaouais, ce qui me permet de vendre des expériences de luxe différentes au Québec. L’offre actuelle dans les deux grandes villes est tout de même intéressante, cependant il en manque dans les régions. »

Il évoque le fait que plusieurs produits et services ferment durant l’hiver, rendant difficile de vendre notre destination 12 mois par année avec un offre intéressante et de luxe. Des propos qui résonnent pour Yoann Ronsin, qui avait des clients ayant des activités prévues lors du dernier congé des Fêtes. Or, comme Dame Nature n’a pas collaboré, ce fut le festival des annulations et réorganisations.

« Un détail banal, peut-être, mais les journées d’ensoleillement jusqu’à 20h ou 21h en été nous permettent une plus grande latitude qu’en hiver, alors qu’il fait noir vers 16h, sans parler des aléas de la météo hivernale », poursuit M. Ronsin.

Ceci étant dit, le Québec, tout comme le Canada en général, n’apparait pas sur le radar des destinations internationales considérées de luxe. 

Le top 10 en 2023, selon Virtuoso:

  1. Paris
  2. Londres
  3. New York
  4. Las Vegas
  5. Nassau
  6. Rome
  7. Santa Monica
  8. Washington D.C.
  9. Santa Monica
  10. Venise

(On s’entend, ces classements sont hautement subjectifs, ça vaut ce que ça vaut)

La culture de l’accueil

Un dernier point soulevé par les trois intervenants avec qui nous avons discuté est le manque de personnel qui pose également un défi. Dans le secteur d’activité qu’est le luxe, le service se doit d’être impeccable, attentionné. Surtout, on doit pouvoir sortir du cadre, des heures habituelles d’opération, pour offrir ce petit « je-ne-sais-quoi » qui fait souvent la différence. Or, dans le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre au Québec, cet aspect pèse également de manière négative dans la balance.

Est-ce à dire que le tourisme de luxe est incompatible avec la destination québécoise? Bien sûr que non. Mais on aura avantage à miser sur nos forces, notamment la saison estivale, afin de tirer notre épingle du jeu dans cette niche très particulière. Et continuer de former une relève pour assurer une culture de l’accueil digne de nos aspirations!

Bon à savoir :

Selon un récent rapport d’ARC, le tourisme de luxe représentera un marché de 8,46 milliards US$ en 2024, comparativement à 5,2 milliards en 2019, soit une augmentation de 63%!

Et selon la firme Resonance, les 5% de consommateurs les plus riches aux États-Unis prennent en moyenne 14,3 voyages par année, la moitié pour affaire, la moitié pour agrément.

Lire aussi : Le renouveau du tourisme de luxe

Par Frédéric Gonzalo, collaboration spéciale

Nominations

NOMINATIONS SEMAINE DU 19 AOÛT 2024

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  • Groupe Germain – Montréal et Toronto – Paul de La Durantaye, Nicolas Lazarou et Jean-Philip Dupré
  • Palais des congrès de Montréal – Nicolas Joël
  • AQS – Catherine Rocheleau & Audrey Bouquot

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