Bilan et perspectives – Entrevue exclusive avec la ministre Caroline Proulx, par Pierre Bellerose
Bilan des (plus) de cinq ans à la tête du ministère du Tourisme du Québec et perspectives d’avenir.
Caroline Proulx a été élue députée de la circonscription de Berthier, dans Lanaudière, lors des élections provinciales du 1er octobre 2018. Peu après, elle est entrée au Conseil des ministres en tant que ministre du Tourisme et ministre responsable de la région de Lanaudière. Son mandat s'est concentré sur le développement et la promotion du tourisme, ainsi que sur la gestion des impacts de la pandémie de COVID-19 sur l'industrie touristique. Avant d'entamer sa carrière politique, Caroline Proulx a eu une carrière notable dans les médias et la communication, entre autres comme animatrice de télévision et de radio.
Je l’ai rencontrée à ses bureaux de Québec en avril 2024.
Q1 Pierre Bellerose – Après plus de 5 ans en poste, quelles sont vos impressions sur l’évolution du tourisme québécois et la situation actuelle (d’octobre 2018 au printemps 2024)?
La ministre Caroline Proulx : Le premier ministre Legault a eu la belle vision de renommer plusieurs ministres au même ministère lors du début du 2e mandat. Cette stabilité a permis, de mon côté, de réaliser certains dossiers au long cours, tel que celui du Parc olympique (par exemple, pour la loi permettant le passage de la Régie à une Société de développement commercial, ainsi que la toiture), qui n’aurait été possible de faire avec un court mandat.
De plus, je connais maintenant très bien l’écosystème complexe qui comprend les associations touristiques régionales, les associations sectorielles, les PME, le MT Lab et, bien-sûr, l’Alliance de l’industrie touristique du Québec (AITQ). J’en connais les subtilités, les problématiques, les leaders, ce qui me permet de mieux intervenir comme ministre.
Q2 Pierre Bellerose – Madame la Ministre, quelles sont vos trois ou quatre réalisations à titre de ministre du Tourisme pour lesquelles vous êtes la plus fière?
La ministre Caroline Proulx : Plusieurs dossiers me rendent particulièrement fière :
- La conclusion du dossier de la toiture du Stade olympique après 25 ans d’attente et de projets; nous avons enfin finalisé ce dossier complexe avec l’équipe du Parc olympique;
- J’ai réussi à faire reconnaître le tourisme comme secteur prioritaire par le Conseil des ministres pendant la crise de la COVID, avec des résultats impressionnants : entre 2020 et 2023, le gouvernement du Québec a investi 1 milliard 800 millions $ dans l’industrie touristique (différents programmes d’aide, paiement de l’hydro-électricité pour les stations de ski, subvention pour plusieurs festivals, Passeport attraits, etc.); Il est à noter que le Québec est de loin la province canadienne qui a fait le plus d’investissements en tourisme au cours et au sortir de la crise sanitaire.
- Hébergement touristique (Airbnb). Très fière aussi des différentes pièces législatives adoptées par mon gouvernement, dont la Loi 25, adoptée en juin 2023, pour renforcer la régulation de l'hébergement touristique, notamment pour adresser les défis posés par les plateformes de location à court terme comme Airbnb. Nous avons aujourd’hui tous les leviers législatifs pour intervenir; nous devons maintenant faire les adaptations réglementaires en fonction des réalités sur le terrain.
- J’ai personnellement été très active pour le changement de l’image de marque du Québec en proposant la marque « Bonjour » en lieu et place du « Québec Original ». La marque « Bonjour » fait maintenant consensus et représente mieux l’unicité et la personnalité du Québec.
Q3 Pierre Bellerose – À contrario, quel est le dossier ou la situation où vous considérez qu’il faut encore mettre des efforts collectifs en tourisme, une situation où nous n’y sommes pas encore arrivés?
La ministre Caroline Proulx : On peut se positionner encore davantage sur le créneau nature/aventure. Il faut bien-sûr continuer de vendre nos grandes villes, notre culture et nos festivals, mais je crois beaucoup au territoire au nord du 49e parallèle (entre autres autochtones) où il y a beaucoup de potentiel pour nos amis européens francophones qui reviennent plusieurs fois au Québec.
Il faut continuer de travailler sur l’innovation et le virage numérique. Le tourisme québécois est caractérisé par un plus grand nombre de petites et de moyennes entreprises; nous avons donc intérêt à fédérer nos efforts d’innovation pour mieux aider ces petites entreprises. La réussite de l’incubateur MT Lab est un bel exemple; on doit donc continuer de travailler fort en ce sens. Je suis d’ailleurs très contente de ton initiative d’avoir créé le Groupe de travail sur l’intelligence artificielle et le tourisme; même si la rapidité de cette révolution technologique m’inquiète. Il faut suivre ce mouvement de près, mais on sait bien que notre industrie doit prendre le virage.
À ce chapitre, au ministère du Tourisme, mon grand dossier des prochains mois sera le virage numérique et technologique de l’accueil.
Q4 Pierre Bellerose – L’avenir – On constate qu’on a récupéré une grande partie de nos clientèles post-COVID (surtout en milieu urbain), mais on voit apparaître quelques nuages économiques et les contributions gouvernementales en culture et en tourisme ne pourraient pas être à la même hauteur que ce qu’on a connu. Alors optimiste pour l’avenir?
La ministre Caroline Proulx : Nous avons bien récupéré les volumes touristiques en 2023 vs 2019, même si c’est un peu inégal au Québec; meilleure performance dans les grandes villes et quelques régions qui ont certains retards. Aussi, après avoir investi dans leurs propriétés/chalets durant la COVID et visité presqu’exclusivement le Québec entre 2020 et le printemps 2023, c’est un peu normal que les Québécois retournent vers d’autres destinations hors-Québec (le « revenge travel »).
Pour les prochaines années, je crois que la croissance sera au rendez-vous au Québec, mais il faudra se battre contre la perception que le produit touristique du Québec est trop cher. Au sud du Québec et dans les grandes villes, nous avons une variété d’offres pour toutes les bourses, alors que pour le Grand Nord, il faut mieux vendre l’unicité de ce produit et sa valeur intrinsèque.
Q5 Pierre Bellerose – Quelles sont vos orientations touristiques pour les prochaines années pour le Québec?
La ministre Caroline Proulx : On va en parler aux prochaines Assises du 8 mai, alors je vais garder la primeur pour nos participants! Mais, grosso modo, on travaille à jeter les bases d’une nouvelle vision, de nouvelles orientations en partenariat avec tout l’écosystème touristique pour atteindre les cibles ambitieuses qu’on s’est fixées. On convie tout le milieu à une réflexion approfondie à la lumière du chemin parcouru, du détour emprunté à cause de la pandémie et de la trajectoire à suivre pour élaborer une stratégie de croissance en cohérence avec les actions ministérielles au sens large.
On a déjà identifié les piliers de cette stratégie : le tourisme quatre saisons, le tourisme nature, le tourisme d’affaires, le tourisme autochtone, le tourisme gourmand et l’agrotourisme, ainsi que le tourisme haut de gamme. Par ailleurs, nous entendons poursuivre nos efforts en nous attardant sur l'enjeu crucial de l'adaptation aux changements climatiques. Bref, autant de sujets qui alimenteront la réflexion pour faire croître notre industrie d’un point de vue économique et de manière durable et responsable.
En terminant, je veux indiquer à tout le milieu touristique québécois que je me considère privilégiée de servir notre industrie depuis plus de cinq ans. Ce ne fut pas un fleuve tranquille, avec deux ans de pandémie, mais je considère qu’on fait collectivement une belle équipe et que le travail devant nous demeure exigeant, mais aussi exaltant. Au plaisir de vous saluer aux Assises!
Par Pierre Bellerose, consultant en développement et en stratégies touristiques, administrateur de sociétés, ainsi qu'un des cofondateurs du MT Lab
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