Une taxe sur l'hébergement à 4 %?

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Éric FournierPlusieurs rumeurs et discussions de corridors ces jours-ci nous laissent entendre que la révision actuelle du modèle d'affaires de l'industrie touristique du Québec pourrait, entre autres, mener à une majoration de la taxe sur l'hébergement (TSH) uniforme sur tout le Québec qui passerait à 4 % la nuitée.

Il s'agirait d'une mesure financière majeure qui permettrait à Tourisme Québec et aux ATR d'avoir accès à des ressources financières supplémentaires importantes.

QUELQUES CHIFFRES
L'industrie hôtelière du Québec génère annuellement environ 14.5 M de nuitées. Une performance qui, nous le disons le plus souvent possible, stagne depuis plus d'une dizaine d'années.

Ceci étant, les hôteliers du Québec prélèvent annuellement auprès de leur clientèle environ 48 M $ en revenus de TSH. Ces sommes, perçues par Revenu Québec sont remise à Tourisme Québec qui les retourne par la suite aux ATR en fonction de leur perception en région.

La TSH est actuellement appliquée volontairement par chacune des ATR du Québec après l'obtention d'un consensus acceptable auprès de leur parc hôtelier régional. Le taux de perception peut varier d'une région à l'autre de 2 $ la nuitée à 3.5 % du coût de location d'une chambre à Montréal. Les rumeurs véhiculent que Tourisme Québec retirerait le mécanisme d'application de la TSH aux ATR pour lui même l'imposer sur tout le territoire Québécois.

25 MILLIONS EN ARGENT NEUF
En analysant cette hypothèse plus en profondeur, il devient possible d'estimer que cette mesure pourrait permettre la perception de près de 75 M $ en TSH. Voici mon estimation: environ 14.5 M de nuitées à un tarif moyen de 128 $ assujetti à une TSH de 4 % donneraient très réalistement environ 75 M $. Ce scénario nous permet donc d'envisager 25 M $ d'argent neuf prélever via la TSH par Tourisme Québec.

DES IMPACTS VARIABLES SELON LES RÉGIONS
La hausse de la TSH à 4 % aurait des impacts variables dans les régions du Québec. Ainsi, l'impact serait moins significatif à Montréal ou le taux de TSH est déjà de 3.5 %. De plus, Montréal compte 20 000 chambres soit près du 1/3 des chambres du parc hôtelier québécois (entre 66 500 et 74 000 chambres). Les impacts seraient par contre beaucoup plus significatifs dans des régions comme les Laurentides (5 500 chambres) ou la Montérégie (4 200 chambres) ou la TSH est à 2 $ la nuitée.

Prenons par exemple la Montérégie, qui génère annuellement environ 750 000 nuitées (4e au Québec) et perçoit annuellement environ 1.4 M $ en TSH. La TSH à 4 % dans cette région, avec un tarif moyen de location annuel de 98 $, permettrait ainsi de prélever près de 3 M de $ auprès de la clientèle des hôteliers de la Montérégie ce qui est plus du double des sommes perçues actuellement. Pour un hôtelier 4 étoiles, dont l'établissement compte 100 chambres à un tarif moyen annuel de 135 $ la majoration ferait passer la TSH dans son établissement de 2 $ à 5.80 $ la nuitée ce qui représente une hausse de 260 %. Dans les faits, la perception annuelle de TSH de cet hôtelier passerait de 45 000 $ à plus de 130 000 $.

UNE HAUSSE IMPORTANTE
Si nous nous attardons à l'historique de la mise en place de la TSH, force est de constater que sa hausse a toujours été continue. Ainsi, lors de sa mise en place en 1996 la TSH était de 2 $ la nuitée. Par la suite les ATR ont pu la majorer à 3 $ la nuitée ou 3 % du tarif de location selon les ententes convenues avec les hôteliers de leur région. Montréal a fait passer sa TSH à 3.5 % afin d'assurer la relance du GPF 1. La révision actuelle du modèle d'affaire de l'industrie et le budget provincial 2015 — 2016 pourrait être un moment opportun pour Tourisme Québec pour revoir les mécanismes de gestion et faire passer la TSH à 4 % dans toutes les régions du Québec.

BRAVO AUX HÔTELIERS QUÉBÉCOIS
Nous ne pouvons, dans le cadre de notre réflexion, passer sous silence l'effort et la contribution des hôteliers québécois à la mise en place de la TSH et aux supports financiers aux activités de leur ATR. De fait, ces derniers prélèvent un peu moins de 50 M$ par année (près d'un demi-milliard de dollars au cours des dix dernières années) auprès de leurs clientèles au profit de l'ensemble de l'industrie touristique de leur région et conséquemment du Québec.

Un contexte difficile
Le contexte de l'industrie hôtelière du Québec est difficile. Disparitions de 6 500 chambres et nombres de nuitées qui stagnent depuis près d'une dizaine d'années. De plus, la marge bénéficiaire d'un hôtelier québécois s'est considérablement réduite au cours des dernières années.

L'arrivée des OTA (Expédia, Hotel.com, Booking.com et bien d'autres) est venue, entre autres, changer complètement le monde de la réservation en mettant dans le marché un intermédiaire, presque incontournable, entre le consommateur et l'hôtelier dont la commission se situe souvent entre 10 et 25 $ la nuitée.

DEUX ÉLÉMENTS À SURVEILLER
En conclusion, les entreprises touristiques, les ATR en tête, devront faire preuve de vigilance face à des modifications éventuelles des mécanismes de gestion de la TSH. Le « rapatriement » de la gestion de la TSH à Québec mettrait fin à l'imputabilité des ATR face à leurs hôteliers en région et ramènerait à Tourisme Québec les cadres de gestion de la TSH.

Cette avenue serait périlleuse si l'on prend en compte les résultats des opérations marketing de Tourisme Québec sur les marchés hors Québec qui, de l'avis de plusieurs, ont rarement des impacts sur la performance et les résultats de la destination.

Faire passer la TSH à 4 % équivaut a aller percevoir 25 M $ supplémentaires dans les poches de nos clients qui sont, ne l'oublions jamais, majoritairement des Québécois (81.4 M sur 90.4 M). Dans l'environnement économique actuelle et à venir cette mesure ne serait pas un incitatif à la consommation touristique.

Les problèmes de notre industrie touristique sont davantage systémiques que financiers. Il ne serait pas souhaitable de financer davantage des mécanismes et des pratiques mal adaptés avant que les correctifs souhaités ne soient effectués. Les réponses à mes préoccupations seront connues au cours des prochains mois.

Collaboration spéciale, Éric Fournier