Tourisme au Québec : priorité au transport durable!, par Jean-Michel Perron
Le transport représente les 3/4 des émissions carbone du tourisme québécois incluant les vols aériens de nos visiteurs internationaux. Pour se décarboner, il faut repenser nos façons de faire dans une approche commune avec les villes et les gouvernements en tenant compte des besoins spécifiques des touristes et des résidents. Penser devenir durable que par l’auto électrique est un mirage : il nous faut un réseau intégré de transport interurbain par autocar à hydrogène et rendu à destination, prioriser systématiquement la mobilité douce (la marche à pied -1km ou le vélo -5km) et les transports en commun en aménageant nos villes et nos attraits touristiques en conséquence, été comme hiver.
L’auto électrique n’est pas LA solution ultime
Soyons réaliste, l’auto solo en tourisme est là pour demeurer encore longtemps, mais nous pouvons faire beaucoup mieux en accélérant son électrification, la sobriété pour tous et en considérant les alternatives à l’auto solo autant à destination que dans le transport interurbain.
À moins d’y être forcés par des taxes plus élevées sur l’essence ou un prix du kilowattheure (kWh) 10 fois plus cher, l’auto solo à essence ou électrique demeurera pour les touristes le transport privilégié à court terme car le Québec offre peu de transport en commun efficient et notre mode de vie a élevé au rang de valeur absolue l’automobile, à qui l’on déroule le tapis noir d’asphalte, mais qui ponctionne une grande proportion de notre budget individuel et collectif.
Comme pour les avions, l’automobile a profité au cours des dernières décennies d’un gain d’efficacité des moteurs. La croissance élevée des vols et du parc automobile, malheureusement, vient annuler ces gains sans compter que pour l’automobile, le nombre de passagers par véhicule est passé de 2,3 personnes dans les années 1960 à 1,6 aujourd’hui et que les distances parcourues sont plus élevées et que les véhicules soient plus lourds et gros. Et alors que le parc automobile mondial devrait doubler d’ici à 2050, nous promet-on (2 à 3 milliards de véhicules attendus, selon les sources).
Les alternatives à l’auto solo pour les touristes au Québec peuvent s’accélérer : le covoiturage, l’autopartage (selon des chiffres fournis par la Ville de Montréal, un véhicule en libre-service permet de retirer jusqu’à 11 véhicules sur les routes), la marche, le vélo/trottinette et évidemment les transports en commun : train, autobus/métro, traversier, autocar interurbain.
Un transport régional structuré : le point faible de notre offre touristique
L’empreinte carbone en tourisme diminue généralement en voyageant en commun, en autocar, en train, et parfois même en avion. Or, au Québec, voyager en train limite grandement les destinations, l’autocar ne couvre pas l’ensemble des régions avec un service trop minimal en baisse dramatique, sinon absent, et l’avion est hors de prix pour le commun des mortels, sans compter le temps perdu aux aéroports et les coûts prohibitifs de stationnement. Le Québec, en 2023, pour les voyageurs qui n’ont pas ou ne veulent pas utiliser leur véhicule privé, n’est vraiment pas accessible sous ces 3 variables : coût, fréquence et capacité.
Source : IRIS, novembre 2023
Les solutions ?
L’AUTOCAR INTERURBAIN à hydrogène
Que ce soit pour les voyages nolisés ou les « lignes » interurbaines régulières », les tours de ville ou les minibus, un réseau intégré de transport par autocar répondrait parfaitement à nos besoins touristiques sauf évidemment pour le Nunavik et la Basse-Côte-Nord, sans accès routier. Et c’est déjà le mode de transport collectif parmi les moins dommageables pour notre planète.
Un réseau fiable, abordable et avec une fréquence minimale, couvrant l’ensemble des municipalités du Québec, peut devenir la colonne vertébrale de notre mobilité durable en tourisme. Et il n’y a pas que des autocars « standards » sur les lignes régulières. L’offre peut être variée dans la qualité des services offerts, allant des autocars actuels aux autocars luxueux avec services à bord ou de nuit avec couchette. Un autocar de nuit Montréal/Gaspé ou un Montréal/Sept-Îles pourrait très bien s’opérer…
Québec Solidaire, et notre gouvernement, faisaient référence à des autocars électriques comme solution de notre mobilité en région. Permettez-moi de douter pour des distances supérieures à 300 km — surtout en hiver — de la pertinence de véhicules électriques lourds. L’avenir est à l’hydrogène vert, que le Québec peut très bien produire. Certes, les coûts de production sont élevés et les volumes d’approvisionnement restreints en raison des procédés encore peu efficaces, mais ça évolue rapidement et le Québec, avec son hydroélectricité pour le produire, pourrait se positionner dans le transport long-courrier (autocars, camions et avions)… Une compagnie de l’Alberta (Diversified) a modifié 7 de ses autocars en juillet dernier au coût de 50 000$ chacun, pour un mélange hydrogène-diesel 80/20, diminuant ainsi jusqu’à 80% son empreinte carbone. Et au Québec, avec de l’hydrogène vert, on pourrait voyager en autocar carrément à 0 émission.
LE TRAIN
Source : Train Innu Thsiuetin
Heureusement, la classe politique du Québec s’affirme, depuis quelques mois, pour exiger d’Ottawa un TGV tout électrique entre Québec et Toronto, et non pas un TGF pour une raison fondamentale évidente en transport : une réduction pour le TGF de seulement de 25 à 30 minutes sur le trajet Québec-Montréal qui se fait actuellement en 3h24 minutes et uniquement de 40 à 60 minutes sur le 5 h 30 actuel entre Montréal et Toronto. Qui voudra prendre cette limace ? En TGV, le trajet Montréal/Québec se ferait en 1h26 minutes et un Montréal/Toronto en 2 h 47 ! Et alors qui voudrait prendre l’avion, avec ses contraintes aéroportuaires, ou encore son automobile privée devenue trop lente, même électrique ? Montréal et Québec sont de loin les deux pôles touristiques de notre principal marché touristique étranger : les Américains. Avec un TGV, des dizaines de milliers de touristes québécois, ontariens et américains qui voyagent actuellement sur l’autoroute 20 ou 40 vont laisser leur auto chez eux ou à leur hôtel de Montréal, en route vers Québec…
La mise à niveau des voies de trains Via Rail vers l’Abitibi et le Saguenay, dans une perspective de « ralentourisme » (slow tourisme), devrait être considérée.
Intégrer le futur retour du train en Gaspésie avec une connexion par « autocar vert » de Québec à Matapédia, pour ensuite prendre ce futur train vers Gaspé.
Faire connaître l’actuel train innu Tshiuetin — signifiant « Vent du Nord » en langue Innue — de Sept-Îles à Shefferville et développer un hub nordique aérien et par motoneige de Matimekosh/Lac John.
L’AVION
L’aérien est le secteur émettant le plus de GES en tourisme (de 2,5 % à 3,5 % des GES mondiaux, si on inclut ou pas les trainées de condensation en haute altitude). Le nombre d’avions, selon Airbus, va doubler d’ici vingt ans, alors qu’aucune énergie durable ne sera disponible en volume avant 2035 au plus tôt (l’hydrogène) pour répondre à la demande, sauf en petite partie les SAF (Sustainable Aviation Fuel).
Il faut cesser les improvisations actuelles pour rendre accessibles nos régions (subvention du 500 $ par siège au Québec ou les subventions récurrentes aux transporteurs régionaux actuels). Ça ne fonctionne pas. Ce qu’il faut, c’est une véritable stratégie durable de transport aérien régional, un Québecair 2.0. L’avion demeurera un besoin pour tous les déplacements de 500 km et plus au Québec ou pour les zones sans route. À nous d’être des pionniers en transport durable par la production à court terme de SAF et par la suite d’hydrogène vert. Nous possédons tous les atouts.
Avoir un TGV entre Québec et Montréal, un réseau intégré d’autocars verts et des avions au SAF ou à hydrogène vont transformer socialement, économiquement et environnementalement parlant, en profondeur, le Québec. Pour ses citoyens et ses visiteurs. Mais un défi de taille demeure : la connectivité entre les types de transports collectifs et entre les modèles alternatifs d’autos solos [covoiturage/autopartage], incluant nos traversiers.
La mobilité touristique durable dans nos villes
Photo : àVélo (électrique) devant la Gare du Palais à Québec. Radio-Canada, Jean-François Blanchet, 2021
Rêvons que dans 15 ans une majorité de nos touristes arriveront en ville ou dans votre municipalité en TGV, en avion propulsé au SAF, par autocar à hydrogène ou en petite auto électrique : quels services devrions-nous anticiper afin de conserver cette ligne de transport vertueuse qui décarbonisera les déplacements locaux ?
Pour un touriste, les déplacements rendus à destination, c’est aussi une manière de découvrir un territoire et d’y vivre une expérience. « Cette mobilité touristique implique les défis d’organiser la multimodalité pour fluidifier et optimiser les déplacements ; adapter à un usage touristique les transports en commun ; promouvoir la marche, le vélo ou les microvéhicules [trottinettes, par exemple]… Un travail de fond doit souvent être engagé, qui passe par l’adaptation du réseau de mobilité existant et le développement de modes de déplacement expérientiels. Pour réussir leur mutation, les destinations touristiques doivent s’appuyer sur une organisation multimodale simple, lisible, flexible, réactive et réversible. La voiture individuelle a une place dans cette organisation, mais ne doit pas prendre toute la place[1] »
Les besoins en transport des touristes, qu’il s’agisse des lieux visités, de la fréquence ou des horaires ne sont pas les mêmes que ceux des résidents. L’adaptation du réseau de transports en commun existant ou le développement de nouveaux modes de transport touristique nolisé électrique, doivent être envisagé pour les attraits « classiques » de la destination et pour mieux répartir les flux touristiques. Ainsi offrir un cocktail de modes de transport en commun et individuels en fonction des distances et de la saison est impératif à la décabonation en tenant compte de l’enjeu du « dernier kilomètre », expression qui décrit le début ou la fin d’un voyage individuel effectué principalement par les transports collectifs. Dans de nombreux cas, aux deux extrémités, l’origine ou la destination peut être difficile, voire impossible d’accès par un simple déplacement à pied.
Mieux communiquer les alternatives durables aux touristes
Les destinations touristiques du Québec ont la responsabilité de sensibiliser leurs visiteurs à de meilleures pratiques en privilégiant et en communiquant les modes de transport bas carbone. Cela implique, entre autres, de bien sélectionner et limiter les marchés touristiques arrivant par avion au Québec et remettre en question les croisières internationales, les deux secteurs avec la plus forte incidence négative sur notre climat.
Pour la qualité des expériences touristiques et la qualité de vie des résidents des villes visitées, les associations touristiques et les offices de tourisme peuvent agir sur l’offre/la demande et les flux touristiques (dans l’espace et dans le temps). Concrètement :
- Privilégier pour nos touristes américains et ontariens l’automobile et le train. Lorsque l’aérien est incontournable sur nos marchés internationaux, il faut diffuser les meilleures pratiques en transport aérien (vols directs, longs séjours, etc.) tout en mettant de l’avant les offres de transport alternatives pour se rendre à destination (autopartage, train, vélo…) et la facilité de se déplacer une fois sur place (mobilité douce et transport en commun). Réussir à convaincre, sans être moralisateur, des touristes par avion de voyager plus longtemps sur place et moins souvent fait partie d’une communication responsable, surtout dans le contexte d’une compensation carbone qui a ses limites et n’empêche aucunement l’accélération de l’épuisement des ressources naturelles sur une planète qui a ses limites, comme on le sait maintenant.
- Faire la promotion de circuits électriques optimaux et de routes d’accès avec bornes rapides pour nos marchés touristiques prioritaires en s’intégrant aux applications de renseignements sur les bornes.
- Créer des promotions rendant positif le transport bas carbone, comme Destination Québec cité l’a réalisé avec le transport en commun gratuit pour les visiteurs à Québec avec nuitées ou le billet de train à 1 euro en Occitanie. On peut penser aussi à l’initiative française de musées nationaux offrant des tarifs réduits pour leurs visiteurs prouvant leur déplacement par train. Mais surtout, établir une « passe touristique » combinant l’entrée dans des sites touristiques et les déplacements illimités en transports en commun pendant une période fixe.
- Sensibiliser les lieux d’hébergement afin qu’ils offrent les alternatives de transports et les circuits électriques.
- Abandonner toute promotion ou support à des escapades de fin de semaine par avion.
Ce qu’il faut, c’est une volonté politique assumée du gouvernement du Québec d’investir dans notre réseau interurbain autant pour ses citoyens que pour nos touristes offrant ainsi une bonne fréquence, un coût raisonnable et l’intermodalité.
Concevons ensemble (élus, organisations touristiques, industries, universités, citoyens) une vision nationale intégrée et multisectorielle du transport touristique qui fera du Québec un leader du tourisme durable.
[1] Espaces tourisme & loisirs. Espaces n° 356, septembre 2020.
Jean-Michel Perron
PAR Conseils
Les 4 dossiers complets publiés récemment sur le transport touristique durable :
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