Pour un meilleur encadrement des plateformes d’hébergement de courte durée, par Mohamed Reda Khomsi

Hébergement, Gouvernements, Économie · · Commenter

L’événement tragique survenu en mars dernier dans le  Vieux-Montréal a relancé le débat sur la question de l’encadrement des plateformes d’hébergement de courte durée et plus particulièrement sur la responsabilité de chacune des parties prenantes d’une destination dans l’encadrement du phénomène. Dans ce contexte, la ministre du Tourisme du Québec, Mme Caroline Proulx, a clairement indiqué la volonté de son gouvernement de resserrer les règles actuellement en vigueur pour responsabiliser davantage les plateformes comme Airbnb. Selon toute vraisemblance, le projet de loi devrait être déposé incessamment et son adoption devrait se faire au cours de l’actuelle session parlementaire. Cette mise à jour législative est certes nécessaire, mais elle ne résoudra pas à mon avis le problème de base qui se situe au niveau du contrôle de l’application de la loi. Vous avez beau à avoir la meilleure législation au monde, mais si vous n’avez pas les moyens de la mettre en place et surtout de contrôler son respect, et ultimement de sanctionner les contrevenants, son effet ne sera que très limité.

Dans ce contexte, j’aimerais partager avec nos lecteurs quelque-unes de mes observations sur l’encadrement du phénomène de l’hébergement de courte durée à travers le monde. En fait, dans le cadre d’un cours que j’ai le plaisir d’enseigner à la maitrise en développement du tourisme de l’ESG UQAM depuis huit ans maintenant, les étudiants sont appelés à comparer à chaque session le cadre légal qui est en place dans une destination de leur choix avec celui du Québec. À ce titre, j’ai pu identifier quelques constats qui pourraient nourrir la réflexion de nos décideurs pour la prochaine mise à jour de loi:

  1. Au-delà d’Airbnb : l’entreprise américaine est la première référence qui nous vient en tête quand c’est le moment de parler des plateformes d’hébergement de courte durée. Pour cause, depuis sa création en 2008 et jusqu’à la veille de la pandémie, l’entreprise a connu une croissance exponentielle en dépassant le cap des 300 millions de réservations en 2019 selon les analyses réalisées par le site Statista. Cela dit, malgré une baisse draconienne du tourisme pendant la pandémie, Airbnb a enregistré en 2020 près de 200 millions de réservations et le cap des 300 millions a été dépassé de nouveau en 2021. Pour comprendre cet engouement pour la plateforme, malgré toutes les controverses qui lui associées depuis plusieurs années, il faut plutôt considérer le phénomène de l’économie de partage (ou collaborative) dans son ensemble pour bien saisir la situation. En fait la numérisation de nos économies, le développement de la mobilité internationale et le changement des modes de consommation des nouvelles générations ont favorisé la diffusion de certaines pratiques et de certaines valeurs, dont le partage des biens et des espaces. Ce n’est donc pas pour rien qu’on parle de «l’ubérisation » de l’économie pour faire généralement référence aux transformations imposées par ces nouveaux modèles de consommation;
  2. Les pays/villes (toujours) en mode rattrapage : faisant face à la croissance exponentielle des plateformes d’hébergement de courte durée, de la pression du secteur hôtelier, mais surtout face aux externalités négatives générées par le phénomène, plusieurs territoires ont mis en place des lois pour encadrer ce nouveau type d’hébergement. À ce titre, trois mesures ont été généralement prises par les acteurs publics : imposition d’une taxe de séjour et/ou de vente, la réduction du nombre de nuitées où il est possible d’offrir de l’hébergement de courte durée  par année et la délimitation des espaces (zonage) qui peuvent accueillir ce type d’activité. Cela étant dit, force est de constater que de manière générale et malgré la mise en place de ces règlements, le phénomène a continué de prendre de l’ampleur un peu partout à travers le monde. Pour cause, la croissance du phénomène va plus vite que les processus législatifs qui prennent souvent plusieurs mois, voire plusieurs années, pour se mettre en place. Entre-temps, plusieurs résidences sortent du marché locatif de longue durée pour s’installer dans le marché de l’hébergement de courte durée, créant dans plusieurs villes un grave problème d’accès au logement;
  3. Le manque de contrôle : on a beaucoup critiqué, à raison, les autorités provinciales et municipales après l’incident survenu au Vieux-Montréal pour le manque de contrôle dans l’application de la loi sur l’hébergement touristique. Cependant, si vous faites une petite revue de presse internationale, vous allez vous rendre rapidement compte que c’est le même problème partout. Que ce soit à Paris, à Barcelone, à Montréal, à New York ou à Londres, le peu de ressources (inspecteurs) disponibles pour contrôler toutes les annonces a fait en sorte qu’il y a eu peu d’infractions qui ont été sanctionnées.

Si à première vue on peut dire que les villes et les pays sont dépassés par la situation, il n’en demeure pas moins que certaines solutions commencent à donner des résultats intéressants et méritent d’être explorées un peu plus :

  1. Responsabiliser davantage les plateformes : un des premiers constats que l’on peut faire en analysant plusieurs cas comme celui de Paris, de New York ou de Madrid, c’est que chaque fois que la responsabilité des plateformes est engagée, elles finissent par se conformer. Néanmoins, ce n’est pas aussi simple que ça en a l’air. Les villes ont beau à mettre en place des mesures contraignantes, les plateformes et les hôtes peuvent les contester en justice. À Paris, par exemple, le journal Le Monde rapportait qu’on comptait en 2022 plus de 500 (vous avez bien lu) procédures qui étaient engagées contre Airbnb ou des hôtes. De ces 500 procédures, 422 ont déjà été jugées et les deux tiers étaient en faveur de la ville de Paris;
  2. Augmenter la taxation : au Québec et au Canada, les touristes doivent payer généralement deux types de taxes : la taxe d’hébergement (3,5 % au Québec, 4 % en Ontario) et/ou la taxe de vente fédérale et/ou provinciale. Dans d’autres juridictions, de nouvelles taxes commencent à voir le jour. Au Massachusetts, par exemple, le département de revenu de l’État – l’équivalent de notre ministère du Revenu – a autorisé les villes, à compter du 1er juillet 2019, à charger une taxe supplémentaire appelée Community impact fee de 3 % si un opérateur possède plus d’une propriété dans la même localité ou s’il ne s’agit pas de la résidence principale du propriétaire. En sus de dissuader les propriétaires qui possèdent plusieurs propriétés, l’objectif de cette taxe est aussi de financer le logement abordable dans les villes qui choisissent d’appliquer cette taxe. Ainsi, un minimum de 35 % du montant  total collecté à travers cette taxe devrait être destiné au développement du logement  abordable. Le reste peut être utilisé pour engager de nouvelles ressources pour contrôler le respect de la législation en vigueur;    
  3. Le contrôle en amont : pour éviter d’être en mode rattrapage, certaines villes imposent des mesures supplémentaires en amont pour qu’un hôte puisse offrir sa résidence sur la plateforme. À titre d’exemple, au Mexique, et après que plusieurs personnes soient décédées dans les logements loués sur Airbnb suite à des intoxications avec du monoxyde de carbone, les autorités locales et Airbnb fournissent désormais des détecteurs de monoxyde de carbone aux hôtes pour améliorer la sécurité des résidences;
  4. Imposer des quotas : la ville de Barcelone a identifié une limite du nombre de résidences qui peuvent offrir de l’hébergement de courte durée, et ce, quelle que soit la plateforme utilisée. Paris réfléchit actuellement à la même mesure avec la volonté de l’appliquer à certains secteurs plus tendus.

Au final, il est évident que le phénomène de l’hébergement de courte durée est là pour rester. Cependant, pour que cette option soit plus viable à l’avenir, il faut, à mon avis, que toutes les parties prenantes de la destination, y compris les plateformes et les citoyens, travaillent de concert avec les autorités locales pour offrir un tourisme plus responsable et des expériences plus agréables pour tous.

Mohamed Reda Khomsi Ph.D
Professeur I Directeur des cycles supérieurs en tourisme
Département d’études urbaines et touristiques
École des sciences de la gestion
Université du Québec à Montréal


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