Nouvelles données sur l’incapacité et l’accessibilité: un enjeu de taille pour les entreprises touristiques, par Mohamed Reda Khomsi
Statistique Canada a dévoilé il y a quelques semaines les résultats de son enquête quinquennale sur l’incapacité et l’accessibilité au Canada 2022 et les résultats, quoiqu’attendus, sont saisissants. En fait, selon Statistique Canada, 27 % des Canadiennes et Canadiens âgés de 15 ans et plus avaient au moins une incapacité, soit 4,7 points de pourcentage de plus que les données de 2017. Au Québec, ce pourcentage est de l’ordre 21 % alors que la Nouvelle-Écosse affiche le taux de prévalence le plus élevé au pays (37,9 %) et le Nunavut le taux le plus bas (19,3 %).
Il faut souligner aussi que ces statistiques ne comptent pas les personnes de 15 ans et moins et ne portent que sur les personnes qui habitent dans des logements privés ce qui exclut donc les personnes vivant dans des centres de réadaptation ou des instituts spécialisés de même que la population vivant dans les réserves des Premières Nations. À partir de là, il est permis de penser que le nombre des Canadiens et Canadiennes qui vivent avec une incapacité avoisine probablement le un tiers de la population du pays, voire un peu plus.
Portrait de l’incapacité
Avant d’analyser ces données de façon un peu plus fine, une note méthodologique s’impose. Pour Statistique Canada, le concept d’incapacité repose sur un modèle social « selon lequel l’incapacité résulte de l’interaction entre les limitations fonctionnelles d’une personne et les obstacles auxquels elle fait face dans son environnement, y compris les obstacles sociaux et physiques qui compliquent la vie quotidienne » (Statistique Canada, 2023). Plus concrètement, l’organisme fédéral va intégrer dans son portrait de l’incapacité toute personne qui se trouve limitée à réaliser ses activités à cause d’un trouble ou d’un problème de santé de longue durée.
Source: www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-627-m/11-627-m2023063-fra.htm
Pour revenir aux statistiques, un constat majeur s’impose. Pour la première fois depuis que cette enquête est menée, les enjeux de santé mentale sont presque au même niveau que les enjeux de mobilité (voir infographie ci-dessus). En fait, le taux de prévalence des personnes qui souffrent d’un enjeu de santé mentale atteint 10,4 % comparativement à 10,6 % pour les personnes qui font face à des enjeux de mobilité. Cette situation n’est pas une surprise dans la mesure où les enjeux de santé mentale sont de plus en plus pris au sérieux dans notre société, néanmoins le taux de croissance de cette prévalence est nettement plus élevé que toutes les autres et les effets à long terme de la crise de sanitaire risquent d’aggraver le portait au cours des prochaines années.
Impact sur l’industrie du tourisme
Au-delà des défis que ces statistiques représentent pour notre système de santé, le défi est aussi de taille pour l’industrie touristique. Vu le nombre de personnes qui souffrent désormais d’une ou plusieurs formes d’incapacité, l’adaptation à ces clients n’est plus une question de développement durable – dans sa dimension sociale – c’est carrément un enjeu économique. Ce « marché » est désormais important, plus d’un million au Québec, et il va falloir que toutes nos organisations touristiques prennent le temps de réfléchir à la meilleure manière de rejoindre et de servir cette clientèle. Dans ce contexte, voici quelques pistes de réflexion pour nos entreprises :
Aménagement des espaces : c’est probablement l’axe où il y a eu le plus d’évolution au cours des dernières années et plusieurs entreprises ont mis en place de bonnes pratiques pour améliorer leur accessibilité aux personnes à mobilité réduite. Cela étant dit, avec l’augmentation de la prévalence en santé mentale, l’approche aménagiste doit changer pour s’adapter à cet enjeu. À titre d’exemple on peut penser à certaines initiatives, encore trop peu nombreuses au Québec, qui ont été déployées pour s’adapter à des personnes présentant un trouble du spectre de l’autisme en ajustant l’acoustique et la luminosité des lieux.
Formation des collaborateurs : faut-il avoir quelqu’un qui maitrise la langue des signes québécoise pour communiquer avec une personne ayant des problèmes d’audition ? faut-il mettre du braille sur les murs, sur les menus, sur les portes des toilettes…etc., pour que je puisse répondre aux besoins des personnes ayant une déficience visuelle ? Quelle politique je dois mettre en place vis-à-vis des chiens accompagnateurs ? Ce sont probablement quelques questions qui vous ont traversé l’esprit en lisant ce nouveau portrait sur l’accessibilité et la réponse est très simple d’après moi. Il faut se former et former ses équipes, surtout ceux qui sont en première ligne, pour être prêt à s’adapter à cette nouvelle réalité.
Conception des produits et services : depuis quelques années, mais surtout depuis le début de la pandémie, le tourisme de bien-être a le vent dans les voiles. Cependant, tenant compte de la complexité des enjeux de santé mentale, offrir des retraites en nature ou des expériences thermales n’est plus suffisant pour répondre aux besoins de ces clients. Parmi les pistes à explorer, il faut augmenter la collaboration avec le milieu médical pour voir comment on peut concevoir des offres adaptées et comment avoir accès à des ressources compétentes pour nous aider à bien saisir les besoins de cette clientèle.
Il existe des ressources
Pour finir sur une note positive, on est chanceux au Québec d’avoir un organisme comme Kéroul, un modèle unique au Canada et au monde, qui accompagne depuis quatre décennies les acteurs touristiques dans leurs efforts de mise en accessibilité. Il faut saluer aussi les efforts du ministère du Tourisme en la matière et plus particulièrement à travers le financement du programme d’accessibilité des établissements touristiques. Cela étant dit, il faut dire que l’enjeu est de taille pour les prochaines années et il faut à mon avis élargir les possibilités de collaboration entre tous les acteurs de l’industrie pour 1 ) partager les bonnes pratiques en matière d’accessibilité 2) mutualiser les ressources (matérielle, informationnelles, humaines…etc. ) pour relever le défi encore plus rapidement.
Remerciements à Corinne De Langhe, étudiante à la maitrise en développement du tourisme à l’ESG UQAM pour son aide dans la réalisation de ce texte.
Mohamed Reda Khomsi Ph.D
Professeur et directeur des cycles supérieurs en tourisme
École des sciences de la gestion
Université du Québec à Montréal
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