Coupe du monde de soccer : une analyse d’un point de vue touristique, par Mohamed Reda Khomsi

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Depuis le début de la coupe du monde de soccer actuelle au Qatar, plusieurs questions se sont posées sur la place publique concernant les droits de l’Homme, les coûts de construction des stades, la gouvernance de la FIFA, etc., mais qu’en-t-il de l’aspect touristique? Autrement dit, l’accueil des grands événements permet-il d’avoir des retombées touristiques à la destination qui accueille ces genres d’événements? La question peut paraitre naïve, dans la mesure où il est évident que la tenue d’une Coupe du monde (CDM) va se traduire par des flux touristiques importants pendant toute la durée de l’événement. Cependant, qu’en-t-il des retombées à moyen et long terme d’un point de vue touristique? Est-ce que c’est justifié de dépenser plusieurs milliards de dollars, 220 dans le cas du Qatar, pour accueillir un grand événement comme la CDM ou les Jeux olympiques (JO)? Le Canada, qui accueille une partie des matchs de la prochaine CDM, a-t-il fait le bon choix? Dans le présent billet, je vais essayer de partager avec vous quelques réflexions à ce sujet.

C’est toujours une question de perspective

La question de l’évaluation des coûts des grands événements a été très largement étudiée, que ce soit par des chercheurs, des gouvernements ou des grands cabinets de conseil. À partir de là, je ne pense pas me tromper en disant qu’il y a deux conclusions à retenir de toute la littérature qui a été développée à ce sujet:

  1. dans une logique purement comptable, ils sont très très rares les événements qui ont dégagé une marge bénéficiaire
  2. l’évaluation du retour sur investissement dépend de la perspective d’analyse retenue par les organisateurs. Autrement dit, si vous intégrez dans le calcul les infrastructures (aéroports, routes, lignes de métro, etc.) construites à l’occasion de l’événement, il est clair qu’aucun événement ne sera rentable. Cependant, si vous considérez le coût de ces infrastructures comme un investissement à long terme, la perspective vient de changer. À partir de là, faut-il dire que les 220 milliards investis par le Qatar pour améliorer ses infrastructures sont exagérés? Objectivement, c’est aux Qatariens de répondre à la question et d’évaluer si le jeu en vaut la chandelle et s’il aurait été plus pertinent d’investir cet argent, voire peut-être moins, pour atteindre les mêmes objectifs. Pour le moment, et après avoir parcouru la presse (non officielle) de la région du Moyen-Orient, il semble qu’il n’y a pas de regret, mais cette position peut changer au cours des prochaines années.

Qu’en est-il de la perspective touristique?

Pour répondre à cette question, je me suis intéressé à analyser les statistiques de fréquentation des trois provinces (Québec, Colombie-Britannique et Alberta) qui ont accueilli les trois grands événements que le Canada a accueillis au cours des dernières décennies, en l’occurrence les JO d’été de Montréal de 1976, les JO d’hiver de Calgary de 1988 et ceux de Vancouver de 2010.

Comme vous allez le constater dans le tableau ci-dessous, j’ai comparé les flux touristiques de l’année de l’événement avec celle qui la précède, et 3 ans plus tard. Le choix de cet horizon est justifié par le fait que dans la grande majorité des études, la démonstration est faite que l’impact sur les flux touristiques des grands événements ne dépasse pas les 3-4 ans. Vous remarquerez aussi que les statistiques sont celles des provinces et non des villes ayant accueilli l’événement. Cette situation s’explique par le fait que Statistique Canada compile uniquement les données par province et non par ville.

Tableau 1 : Évolution de la fréquentation des visiteurs étrangers
par province avant et après les JO

Québec

Années

1975

1976 vs 1975

1979 vs 1975

Nombres d’arrivées internationales

3 827 854

3 681 765 (-4%)

3 178 690 (-17 %)

Alberta

Années

1987

1988 vs 1987

1991 vs 1987

Nombres d’arrivées internationales

606 914

680 118 (+12 %)

628 256 (+4 %)

Colombie-Britannique

Années

2009

2010 vs 2009

2013 vs 2009

Nombres d’arrivées internationales

5 607 703

6 190 820 (+10 %)

6 134 568 (+ 9 %)

Source des données : Statistique Canada. Tableau 24-10-0050-01  Visiteurs non-résidents entrant au Canada selon le pays de résidence

Dans le cas de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, il est facile de constater que les deux JO d’hiver ont eu un effet significatif sur les arrivées touristiques l’année de l’événement et que cet effet semble se poursuivre 3 ans après à des degrés différents. Dans le cas du Québec, les chiffres démontrent une baisse de 4% en 1976 comparativement à l’année précédente, et une baisse de 17% en 1979 comparativement avec 1975. Pour comprendre cette contreperformance, j’ai cherché dans les archives de l’Office de la planification et de développement du Québec, organisme créé par le gouvernement du Québec en 1968 et aboli en 1993, et qui a analysé la fréquentation des touristes étrangers à Montréal entre 1975 et 1981. Ainsi, et comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous, la fréquentation touristique à Montréal a bel et bien augmenté en 1976, année des JO, et a continué à augmenter plusieurs années après.

Tableau 2 : Évolution de la fréquentation des touristes étrangers à Montréal

1975-1981 en milliers

Années

1975

1976

1977

1978

1979

1980

1981

Arrivées touristiques

1 357

1 621

1 456

1 533

ND

1 724

1 599

Source : Compilation de l’auteur à partir des données du rapport de l’Office de planification et de développement du Québec

Si on considère que Montréal était quand même le pôle touristique le plus important de la province à l’époque, il est quand même surprenant de constater une différence de tendance entre les statistiques de la province et celles de Montréal. Une situation qui mérite un peu plus de recherche.

Montréal aurait-elle dû accueillir quelques activités de la coupe du monde de 2026?

La ville de Montréal a annoncé, le 6 juillet 2021, le retrait de sa candidature pour accueillir la coupe du monde de la FIFA 2026 en raison du retrait de l’appui financier du gouvernement du Québec. Ce dernier justifiait à l’époque sa décision par le contexte pandémique qui exigeait une saine gestion des fonds publics et le doublement de l’appui demandé par la ville de Montréal, qui est passé de 50 millions $ en 2018 à 103 millions de dollars en 2021.

Si la décision du gouvernement peut se justifier d’un point de vue financier, j’estime que la ville de Montréal a manqué de créativité. Dans une lettre d’opinion que j’ai publiée dans le journal La Presse en 2018, j’expliquais qu’au-delà des trois matchs que Montréal pouvait potentiellement accueillir, la métropole pouvait se positionner sur d’autres créneaux reliés à la coupe du monde, à savoir: les FIFA Fan Fest Zone & les manifestations parallèles. Dans le premier cas, et dans une perspective d’amélioration de l’expérience des participants, la FIFA met en place dans les villes hôtes des espaces festifs qui favorisent l’interaction entre les habitants et les visiteurs étrangers, mais ces espaces sont aussi des hauts lieux de consommation de la gastronomie locale, des produits dérivés et du divertissement. Dans le deuxième cas, les manifestations parallèles sont des événements organisés par la FIFA en marge de la CDM et qui peuvent attirer des milliers de participants, comme c’est le cas lors de la cérémonie de tirage au sort et du congrès annuel de l’instance footballistique. Sur le plan sportif, Montréal n’accueillera pas de matchs de la CDM 2026, mais d’un point de vue touristique, il y a encore de l’espoir pour organiser quelques manifestations en marge de l’événement.

Pour en savoir un peu plus :

 

Mohamed Reda Khomsi
Professeur-chercheur & Directeur des cycles supérieurs en tourisme
Département d’études urbaines et touristiques
École des sciences de la gestion
Université du Québec à Montréal


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