Une pépite d’or de DG, Randa Napky, par Louis Rome

Grandes Entrevues · · Commenter

J’ai rencontré Randa lors d’une réunion d’ATR Associées (ATRAQ). Elle était directrice générale de l’ATR de l’Abitibi-Témiscamingue depuis 1999.

«Ça fait un bail», mais encore aujourd’hui, Randa est toujours aussi déterminée et proche des gens, toujours aussi collée sur la réalité du terrain.

Entrevue avec une DG dont la mobilisation citoyenne autour du tourisme est au cœur de ses actions.

Quelle est l’origine de ton nom de famille?

«Je suis née au Caire en Égypte, ma famille et moi sommes arrivés au Québec lors de la vague d’immigration en 1967 alors que j’avais 5 ans. Nous nous sommes établis à Saint-Sébastien tout près du lac Mégantic dans les Cantons-de-l’Est. Mon enfance, je l’ai vécue dans la ruralité du Québec, j’ai été immergé dans la culture québécoise et ses valeurs profondes, qui sont miennes aujourd’hui.»

Sont où les toilettes? 

«De 2015 à 2018, j’ai fait mon MBA après des études en sciences comptables à l’UQAT. J’avais auparavant étudié en technologie minérale au Cégep de Thetford Mines. Quand je suis déménagée, en 1985, en Abitibi-Témiscamingue pour travailler dans les mines, une surprise m’attendait.

Imagine-toi que je n’ai jamais pu travailler dans mon champ d’études collégiales, car à l’époque, il n’y avait tout simplement pas de toilettes pour les femmes dans les mines où j’avais appliqué.»  

Et le tourisme dans tout ça? 

«Mon engagement dans le domaine touristique a débuté en tant que coordonnatrice adjointe du Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue de 1992 à 1996, suivi par une expérience en tant que copropriétaire du Pizzédélic à Rouyn-Noranda de 1996 à 1999. C’est sous l’impulsion de Jacques Matte, président du Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue, que j’ai été encouragée à postuler au poste de direction générale à l’ATR, où j’ai trouvé ma vocation. Mon travail c’est ma passion!»

Parmi tes nombreuses réalisations à l’ATR, parle-nous de celles dont tu es la plus fière?

«Il faut reconnaître qu’on partait de loin, imagine-toi que le tourisme n’était même pas reconnu comme activité économique par les autorités. En 25 années, notre région a fait plusieurs bonds de géant et tout ça grâce aux membres du conseil d’administration et à toute une équipe de leaders. L’ATR a réussi à créer un terreau fertile pour le développement touristique dans la benjamine des régions du Québec. Les promoteurs, les nombreux partenaires, les autorités y ont cru et ont investi. Sans eux tout cela n’aurait pu être possible. Aujourd’hui les retombées du tourisme ont un impact non seulement économique, mais aussi sur la qualité de vie et la fierté de notre monde.»

FME (Crédit photo : Christian Leduc)

De mémoire, le passage de la taxe sur l’hébergement (TSH) n’a pas été une petite sinécure?

«Comme dans plusieurs régions, ce fut tout un défi. Trois tentatives pour y arriver en Abitibi-Témiscamingue. C’est en 2004 que nous avons obtenu la double majorité avec le nombre d’établissements et le nombre d’unités. 

C’est à partir de ce moment que la donne à radicalement changée. Les hôteliers les plus réfractaires sont maintenant nos plus grands alliés. La TSH nous donnait les moyens de nos ambitions et a amené une mobilisation et un développement exceptionnels dans notre région. D’ailleurs, nous, avec l’Association des hôteliers de l’Abitibi-Témiscamingue, avons mené, en 2015, la fronde contre le gouvernement qui souhaitait rapatrier la TSH ou une partie de celle-ci à Québec. No way! On ne s’est pas laissé faire. Une bataille dont nous sommes très fiers». 

La mobilisation citoyenne

«Pour l’ATR, ce sont les citoyens qui doivent être les premiers à bénéficier des attraits, des infrastructures touristiques, des festivals et événements. Depuis 2006, notre devise est de développer pour les citoyens d’abord. Je peux te dire que nous étions à contre-courant à ce moment-là.»

Est-ce cette «philosophie » qui vous a permis de mettre en place le projet CULTURAT?

«La démarche CULTURAT a été lancée en 2012 et est née d’une réflexion avec le Centre mondial d’excellence des destinations (CED). CULTURAT a démontré que la culture est source mobilisatrice d’une population. L’Abitibi-Témiscamingue a fait rayonner le Québec et le Canada auprès de plusieurs ONG internationales. Cette démarche de mobilisation autour des arts et de la culture, du verdissement et du fleurissement du territoire et du rapprochement des peuples nous a permis d’obtenir le statut de Territoire Leader de l’ONG internationale CGLU aux côtés de 18 autres villes telles que Rome, Lisbonne et Barcelone. Cette démarche fut si mobilisatrice qu’une enquête de Léger marketing nous indiquait que 96% des résidents considéraient CULTURAT comme un projet de société. C’est rare ça aujourd’hui un projet de société! 63 municipalités ainsi que les 7 communautés anichinabées ont signé la Charte de participation à CULTURAT. Y’a rien que chez nous qu’on peut faire des choses de même!»

La culture populaire

«Le gros chantier de l’ATR qui démarre actuellement, c’est d’inculquer une culture populaire de respect de la biodiversité. Sans culture populaire, nous croyons qu’il sera plus difficile de faire un développement durable qui a du sens.  On devra sensibiliser à l’importance de redonner à la terre mère toute la richesse qu’elle nous a donnée en Abitibi-Témiscamingue. Cette approche est à la base de notre stratégie en développement durable. Pour y arriver, nous sommes accompagnés par le Centre mondial d'excellence des destinations et de nos cinq OGD du territoire.»

Une ATR qui focalise sur la participation de tous les acteurs économiques de la région

«Notre approche est de considérer l’Abitibi-Témiscamingue comme un territoire où l’on retrouve cinq destinations touristiques (MRC). Ce qui change toutes nos perspectives de travail et colle parfaitement avec notre nouvelle philosophie du développement.  Nous considérons que le développement c’est local! Il nécessite l’adhésion des locaux pour s’effectuer efficacement.

Notre planification globale inclut les planifications des cinq organisations de gouvernance de la destination (OGD) du territoire. C’est fascinant de constater à quel point on trouve rapidement des convergences entre les cinq MRC en matière de besoins de développement en tourisme. Notre stratégie globale est la reconfiguration durable du tourisme en Abitibi-Témiscamingue.»

L’Attractivité de nouveaux résidents et le tourisme sont indissociables

«L’ATR a intégré sur son site web la section vivre, travailler et étudier. Je crois qu’à ce jour nous sommes les seuls à faire ainsi. Nous avons convenu avec nos partenaires, Attractivité Abitibi-Témiscamingue et la Conférence des préfets de créer un seul et unique site Internet. Attractivité Abitibi-Témiscamingue travaille étroitement avec l’ATR. Pas de doublons, nous avons les mêmes médias sociaux et une seule image de marque, ce qui facilite énormément la recherche pour les utilisateurs.»

Les feux de forêt de l’année passée ont  avoir de sérieux impacts chez vous?

«Les feux de forêt du printemps passé ont eu d’importants impacts sur plusieurs secteurs de l’industrie. Nos pourvoyeurs ont terriblement souffert. Nos attraits ont souffert aussi, tandis que le secteur de l’hébergement s’en est somme toute bien tiré, car toutes les équipes de la SOPFEU, l’armée, les pompiers, etc., apportaient de l’eau au moulin. 

Il est évident que l’ATR et les acteurs économiques de la région sont très attentifs aux précipitations de neige de cet hiver et des risques que cela représente pour les feux de forêt quand le couvert de neige n’est pas assez abondant.»

Parc national d'Aiguebelle en automne (Crédit photo : Stephan Savard)

Même président, même mentor

Toi et moi nous avons eu le même président, Jocelyn Carrier. Moi alors que j’étais DG d’ATR associées (2004-2012) tandis que pour toi il a été président de ton conseil d’administration pendant de nombreuses années. Qu’est-ce que tu retiens de cette période?

«Je me rappelle, quand il a occupé la présidence du CA d’ATR associées, il avait réussi à ramener Montréal autour de la table. Au niveau politique, que ce soit à Québec ou en région, Jocelyn était très respecté et faisait autorité sur nombre de dossiers touristiques, car il avait un sens politique très développé et une longue feuille de route en la matière et surtout, beaucoup de contacts.

Pour notre région, Jocelyn a beaucoup apporté, oui avec son sens politique, mais aussi parce qu’il était passionné de sa région et de son grand potentiel de développement. Pour moi, il a été un mentor et presque une figure paternelle. La plus grande leçon de Jocelyn? Gagnent toujours ceux qui n’abandonnent jamais. Une leçon devenue une valeur.»  Jocelyn Carrier est décédé le 1er janvier 2014 à Amos.

Mais pour toi, comment entrevois-tu l’avenir?

«J’ai tellement appris de tous les gens que j’ai croisés au cours de ces 25 dernières années, les échanges avec mes homologues des ATR et ATS m’ont tellement nourri. Mon équipe de volontaires, les membres de mon conseil d’administration, nos membres passionnés ainsi que nos partenaires m’ont soutenue et fait confiance.  J’ai été choyée. Encore un an à l’ATR et je me lancerai dans de nouvelles aventures. 

Je suis heureuse et j’ai un sentiment d’accomplissement quand je regarde tout le chemin que nous avons parcouru ensemble, en Abitibi-Témiscamingue.»

Portrait de Randa (Crédit photo : Josias Gob)

Louis Rome, collaborateur TourismExpress


Lire aussi: