La tendance de réservation en direct… mythe ou réalité?, par Frédéric Gonzalo
Skift Research vient de publier son populaire rapport Hotel Distribution Outlook 2024. Dans cette étude, basée sur des sondages auprès d’hôteliers de chaînes et indépendants interrogés, Skift Research prédit que « d'ici 2030, les canaux numériques directs surpasseront les agences de voyages en ligne (OTAs) comme canal de distribution dominant pour les hôteliers. On s'attend à ce que 409 milliards de dollars en réservations brutes d'hôtels proviennent de canaux numériques directs, contre seulement 333 milliards provenant des OTAs. »
Le sondage de Skift révèle aussi que les hôteliers « aimeraient se diriger vers un scénario idéal avec la plus grande augmentation des réservations directes numériques (de 25 % en 2024 à 42 %) et la plus grande diminution de la distribution via les OTAs (idéalement de 25 % en 2024 à 13 %). »
Bonne nouvelle ou wishful thinking?
Ce serait une excellent nouvelle… si on vivait dans un monde de licornes! La réalité est toutefois plus nuancée et moins optimiste. Comme l’expliquait le spécialiste Max Starkov dans une publication récente sur Linkedin, il y a deux problèmes avec ce scénario :
D’une part, il y a le sous-investissement systémique dans la technologie. En général, les hôteliers dépensent 2,5 % à 2,75 % des revenus nets de chambres en technologie, incluant la paie pour le personnel informatique. Comparez cela aux 15 % à 17 % de revenus investis par Expedia ou Booking. Je vous en parlais d’ailleurs dans ma toute première chronique « Tourisme et Marketing » publiée ici sur TourismExpress il y a deux ans. Rien n’a changé depuis.
D’autre part, il y a le sous-investissement chronique dans le marketing. Les hôtels consacrent moins de 2,5 % des revenus nets de chambres au marketing. En comparaison, Booking investit 36 % de ses revenus et Expedia 54 %.
Il y a toujours eu des intermédiaires dans la distribution hôtelière. Même avant Internet, au début des année 1990, 25 % des nuitées étaient générées par des intermédiaires contre 75 % en direct. Autrement dit, le ratio direct vs indirect était de 4:1.
Source : Skift Research
Le réseau de distribution demeure névralgique
De nos jours, pour de nombreux hôteliers indépendants et petits hébergements, le ratio direct vs indirect (OTAs, bedbanks, tours opérateurs et autres intermédiaires) est de -1:3 à -1:4, voire -1:5, soit seulement 20 % des réservations en ligne sont directes. En comparaison, les grandes chaînes d’hôtels ont un ratio positif de 3:1 à 4:1. Pourquoi les indépendants dépendent-ils autant des OTAs? Le manque chronique d'investissements dans le talent, la technologie et le marketing numérique en sont les principales raisons.
Les hôteliers d'aujourd'hui doivent créer et gérer une présence numérique solide et engager, acquérir, servir et fidéliser les consommateurs de voyages dans un monde de plus en plus mobile (au sens de téléphone intelligent). Ils doivent investir adéquatement dans la technologie, le marketing et le talent pour entretenir leurs communautés tout au long du parcours client numérique, offrir la meilleure expérience utilisateur et le meilleur service à la clientèle, augmentant ainsi l'efficacité et stimulant les revenus directs.
Or toutes ces actions ont un coût. Développer un site web transactionnel, créer des contenus pour un blogue ou une infolettre ou les médias sociaux, créer des campagnes publicitaires sur Google ou Meta, travailler de pair avec son ATR ou ATS sur des campagnes conjointes… ces actions ont un coût, mais également un retour sur investissement qui peut en valoir la chandelle. Mais de là à croire que les réservations en direct vont augmenter par magie au cours des prochaines années, il n’y a qu’un pas que je laisse aux répondants de cette étude de Skift Research mais avec lequel vous me permettrez de rester dubitatif…
Frédéric Gonzalo est consultant et conférencier, spécialiste en marketing numérique. Il collabore à TourismExpress depuis 2012. Cette chronique « Tourisme et marketing numérique » est publiée à toutes les deux semaines. Questions? Suggestions de sujets? Contactez-le directement à frederic@gonzomarketing.biz.
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