La patience a assez duré ! par Eve Paré
La semaine dernière, le premier ministre Legault annonçait le passage en zone rouge de certaines régions du Québec. Il annonçait du même coup une aide financière s’adressant aux commerçants qui devront suspendre leurs activités pour les aider à supporter leurs coûts fixes. Quelques jours plus tard, le ministre Fitzgibbon dévoilait les détails entourant cette aide financière, laquelle a généralement bien été accueillie par les restaurateurs.
Or, il en est tout autrement pour le secteur hôtelier. Le 23 mars dernier, le gouvernement Legault mettait les hôtels sur la liste des services essentiels, leur permettant ainsi de poursuivre leurs opérations. Mais ce sont plutôt les mesures telles que la fermeture des frontières, l’absence des navires de croisière ou l’interdiction de rassemblements qui ont occasionné l’effondrement de la demande.
Une récente enquête menée par l’AHGM[1] montre que ce sont près de la moitié (49 %) de ses membres qui ont ainsi été forcés de suspendre leurs activités. Même si la plupart (88 %) ont repris leurs opérations au cours de l’été, la situation continue d’être inquiétante. En ce début de seconde vague, seuls 39 % des répondants n’envisagent pas encore devoir suspendre leurs opérations. Afin de remettre les choses en perspectives, rappelons que l’Association des hôtels du Grand Montréal (AHGM) représente une centaine d’établissement totalisant près de 20 000 chambres.
Le secteur hôtelier n’a peut-être pas été forcé de suspendre ses activités, mais c’est tout comme. L’ensemble des mesures annoncées par la santé publique a eu pour effet de priver les établissements de leurs clients et ce, peu importe la couleur de la zone où ils se situent. Depuis des mois que le secteur hôtelier réclame de l’aide pour soutenir les coûts fixes afin de leur permettre de traverser la crise. Au printemps, la ministre du Tourisme madame Caroline Proulx demandait aux hôteliers d’être patients et de lui faire confiance…. la patience finit toujours par atteindre sa limite.
UNE SAISON TOURISTIQUE DÉSASTREUSE
Le tableau suivant présente l’occupation mensuelle des membres depuis le début de l’année. On peut clairement constater qu’il n’y a pas eu de saison touristique dans la métropole. Nul besoin d’être devin pour prévoir que les derniers mois de l’année seront encore plus désastreux en raison des nouvelles consignes sanitaires.
Taux d’occupation mensuel moyen
À partir de ces résultats, on estime qu’en date du 30 septembre, le manque à gagner en revenu d’hébergement se chiffre désormais à plus d’un demi-milliard de dollars; ce qui représente une diminution de 72 % par rapport à 2019. À noter que ce montant n’inclut pas les revenus de banquets, de restauration, de bar ou de stationnement.
MISES À PIED IMPORTANTES, LICENCIEMENTS COLLECTIFS ET CLIMAT DE TRAVAIL DÉFICIENT
Cette situation a évidemment entraîné les hôteliers à prendre des décisions difficiles comme celle de devoir laisser partir des collègues. Lorsqu’on compare avec 2019, ce n’est que le quart (23 %) des effectifs qui sont présentement au travail. L’enquête révèle d’autre part, que plus de la moitié (54 %) des établissements avaient déjà procédé à des licenciements collectifs, ceux-ci ont été effectués principalement en août et en septembre.
Alors que lors de notre sondage en juillet de cette année, 72 % des répondants signifiaient un bon à très bon climat de travail, suite aux licenciements collectifs et à la seconde vague ayant mené à un partiel reconfinement le 1er octobre, ce chiffre tombe à 40 % lors de la mise à jour de ce sondage. L’absence de clients, une potentielle vague de fermeture temporaire des établissements éveillent les incertitudes et les craintes des employés sur l’avenir de leur travail et de leur entreprise.
PROGRAMMES DE SOUTIEN EXISTANTS MAL ADAPTÉS À LA RÉALITÉ HÔTELIÈRE
Le gouvernement du Québec a annoncé en grande pompe des programmes de soutien à l’industrie, principalement sous forme de prêts. La crise de liquidité est des plus préoccupantes. Un répondant sur cinq admet ne pas avoir été en mesure de procéder au second paiement de taxes foncières. De ce nombre, pas moins de 70 % n’ont pas été en mesure de prendre une entente avec la municipalité pour étalier les versements.
DÉGRADATION DU PRONOSTIC DE SURVIE DES HÔTELS
Plus inquiétant encore, à la question : « En l’absence de nouvelle aide gouvernementale, combien de mois estimez-vous être en mesure de poursuivre les opérations? » Près d’un hôtelier sur deux (47 %) ne croit pas être en mesure de survivre plus de six mois. Cette proportion augmente à plus deux tiers (68 %) des répondants sur un horizon de 12 mois.
On peut se douter que le moral des troupes se situe présentement à son niveau le plus bas. Lorsqu’on les sonde sur les perspectives de reprise, on constate que depuis juillet dernier, les prévisions ont été revues à la baisse pour les trois prochains trimestres alors qu’elles sont demeurées relativement stables pour la seconde moitié de 2020.
Estimations des taux d'occupation pour les prochains trimestres
ET SI RIEN N’ÉTAIT FAIT?
Les moratoires consentis par les institutions financières en début de pandémie arriveront prochainement à leurs termes et la valse des défauts de paiements s’entreprendra inévitablement. Certains de nos entrepreneurs devront alors remettre les clés à la banque, d’autres auront la peut-être possibilité de vendre l’immeuble, lequel pourra devenir soit condos, soit résidence étudiante. Les plus chanceux, si on peut s’exprimer ainsi, parviendront à vendre. Mais à qui? Le risque est de voir le parc hôtelier s’effriter en même temps que la capacité d’accueillir éventuellement des événements d’envergure. Il en faudrait alors plus d’une décennie pour que la métropole retrouve son rayonnement passé… Le jeu en vaut-il véritablement la chandelle?
Une aide d’urgence destinée aux hôteliers est nécessaire, maintenant.
Eve Paré
Présidente-directrice générale
Association des hôtels du Grand Montréal
[1] Enquête menée entre 28 septembre et le 2 octobre auprès de 72 établissements hôteliers membres de l’AHGM, lesquels totalisent environ 13 500 chambres.
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