Cap sur l'Ontario, la Nouvelle-Angleterre et l'Atlantique-Centre - analyse d'Éric Fournier, DG de Tourisme Montérégie
CAP SUR L’ONTARIO, LA NOUVELLE-ANGLETERRE ET L’ATLANTIQUE-CENTRE
LES CONSTATS
De façon générale, les différents paliers gouvernementaux font des bilans de la performance de l’industrie touristique qui sont systématiquement positifs. Cette stratégie, en partie cousue de fil blanc, évite les situations conflictuelles et permet de conserver une certaine paix associative. Dans les faits, l’industrie touristique du Québec se porte mal et cette situation perdure depuis une dizaine d’années.
LES INDICATEURS
En matière d’indicateurs de performance, les indicateurs utilisés par Tourisme Québec par exemple le nombre de visiteurs, reposent généralement sur des sondages dont les marges d’erreur peuvent être significatives, notamment si on y inclut les excursionnistes (touristes + excursionnistes = visiteurs).
À ce titre, les bilans dressés en matière de résultats auprès des clientèles intra Québec me semblent nettement surévalués. D'ailleurs les entrepreneurs touristiques du Québec s’entendent sur le fait que les taux de croissance présentés représentent difficilement leur réalité.
Même problématique au niveau des recettes touristiques (particulièrement quand vient le temps d’évaluer les retombées en matière de clientèles hors Québec) où l’inflation peut facilement donner des taux de croissance annuels de 2 % (20 % sur 10 ans) tout en subissant, au net, d’importantes décroissances en terme de volume de clientèle touristique.
LA NUITÉE EN HÉBERGEMENT COMMERCIAL
À mon avis, la nuitée en hôtel, motel et auberge, telle que répertoriée dans les bulletins mensuels sur l’hébergement touristique au Québec, me semble un des indicateurs les plus précis et les plus pertinents (aucun indicateur n’est parfait) quand vient le temps d’évaluer la performance touristique d’une destination. Comme vous le savez, l’hébergement est toujours au cœur du séjour touristique et enregistre la part des revenus la plus élevée.
LA PERFORMANCE TOURISTIQUE DU QUÉBEC
Si l’on compile les nuitées générées au Québec en hébergement commercial depuis 2000, les constats sur la performance touristique de notre belle province sont clairs :
- On note une importante stagnation et beaucoup de difficulté à dépasser les 14 millions de nuitées par année.
- Le taux de croissance sur 12 ans n'est que d’environ 4 % soit une moyenne d'un tiers de 1 % par an sur 12 ans.
- Si l’on croise ces données avec le nombre de nouvelles chambres disponibles pour la même période, 82 000 chambres en août 2009 versus 75 700 chambres en août 2000 (+ 6 300 chambres, + 8 %), nous devinons mieux les difficultés que connaissent les hôteliers du Québec et la stagnation systémique du Québec touristique.
- De plus, le nombre de chambres disponibles en août 2013 versus août 2009 a chuté de 4 318 chambres (-5 %) ce qui pourrait équivaloir, par exemple, à la fermeture du parc hôtelier des régions de Lanaudière et de la Mauricie.
DES CYCLES DE LÉGÈRES CROISSANCES...
Si nous poussons plus loin l’analyse du nombre de nuitées générées au Québec depuis 2000, nous pouvons constater que le Québec fait l’objet de courts cycles de très légères croissances qui sont systématiquement suivis d’une décroissance significative.
Ce constat mériterait certes d'être mieux analysé.
UNE LÉGÈRE CROISSANCE SUR LE MARCHÉ QUÉBÉCOIS, MAIS UN EFFONDREMENT DES MARCHÉS AMÉRICAINS
Tout le monde s’entend sur le fait que les marchés intra Québec ont connu une légère croissance, notamment auprès des clientèles excursionnistes.
Les difficultés de l’industrie touristique québécoise viennent toutefois de l’effondrement des marchés américains où le Québec est passé de plus de 4 millions de visiteurs au début des années 2000 à moins de 2 millions de visiteurs en 2011.
Il s’agit de pertes spectaculaires qui avoisinent les 2 millions de touristes chaque année. L’équivalent de pertes commerciales annuelles avoisinant les 250 millions de dollars et près de 2 milliards pour la période.
Les raisons qui ont été communiquées pour expliquer cette décroissance ont été nombreuses. En fait, une dizaine ont été systématiquement évoquées au cours des dernières années.
À mon avis, ces raisons sont davantage des variables économiques qui composent indéniablement notre environnement externe. Cet environnement est en constante évolution et nos stratégies marketing doivent s'y adapter.
De façon générale, les Américains ont toujours voyagé et continueront à le faire. Le volume des voyages internationaux des Américains a toutefois varié entre 1998 et 2012.
Quelques constats peuvent être tirés :
- Le nombre de voyages internationaux des Américains est important et a connu au cours des 15 dernières années sa plus faible performance en 2003 avec 56 millions de voyages internationaux.
- Les voyages internationaux des Américains ont été en croissance durant 9 des 15 dernières années (1998, 1999, 2000, 2004, 2005, 2006, 2007, 2008 et 2012).
- Les voyages internationaux des Américains ont été en décroissance durant 6 des 15 dernières années, mais toujours au-dessus des 56 millions de voyages internationaux.
- Les voyages internationaux des Américains se sont ainsi situés entre 56 millions et 62 millions de voyages par année, soit une variation d'environ 10 %.
- Les quatre millions de touristes américains que recevait le Québec ne représentent donc que 7 % des 56 millions de voyages américains (année la plus faible). Nos parts de marché sont donc passées de 7 % à moins de 3 %. Comment se fait-il que nous n’ayons pas pu conserver nos parts de marché?
À titre d’information, les principales destinations internationales des Américains en 2010 étaient :
Comment se fait-il que personne n’ait allumé la lumière rouge dès le début des années 2000 afin de mobiliser l’industrie derrière cette situation qui a pris depuis des dimensions importantes?
Encore plus inquiétant, le renforcement des MYTHES et la mise à l’écart de données de gestion extrêmement pertinentes.
Les études et les analyses sur les marchés américains sont nombreuses et détaillées. Les raisons pour justifier notre décroissance spectaculaire le sont tout autant... Voici l’extrait d’une enquête récente qui identifie les principaux obstacles aux voyages au Canada pour un touriste américain. Vous trouverez en colonne de droite mon interprétation de ces résultats :
Il y a un recul à prendre et une différence fondamentale entre la compilation que l'ont fait des facteurs que nous trouvons défavorables au séjour d'un américain au Québec et la perception du touriste cible face à cet obstacle.
C'est à ce moment qu'entrent en jeu le MARKETING, la STRATÉGIE, le choix des BONS PRODUITS et des BONS MARCHÉS, l'élaboration des BONS PROGRAMMES MARKETING et la qualité de leur EXÉCUTION.
Cette étude produite par le Réseau de veille mondial de la Commission canadienne du tourisme (CCT) est extrêmement intéressante et identifie également un marché cible intéressé pour le Québec de plus de 18 millions de touristes américains.
Un objectif incontournable, si nous souhaitons récupérer les 2 millions de touristes américains qui nous ont quittés.
Lien pour l’étude : http://fr-corporate.canada.travel/sites/default/files/pdf/Research/Market-knowledge/Global-tourism-watch/US/gtw_us_summary_report_2012_fr.pdf
AUTRES ÉLÉMENTS INTÉRESSANTS
Le Canada, le Québec, Montréal ou la Ville de Québec figurent régulièrement et avantageusement dans plusieurs classements internationaux qui mettent en valeur l’une ou l’autre de leurs prestations. Pourquoi cette notoriété ne se transforme-t-elle pas en séjour au Québec?
LES QUESTIONS QUI TUENT SONT LES SUIVANTES :
Comment se fait-il que le Québec ait perdu 2 millions de touristes américains au cours des quinze dernières années alors que les voyages internationaux des Américains ont progressé durant neuf de ces quinze années?
Comment se fait-il que le Québec n’ait pas pu consolider son 7 % de parts de marché sur les marchés américains?
Avec 56 millions de voyages internationaux des Américains (année la plus faible), comment se fait-il que le Québec soit passé de 4 millions à 2 millions de touristes américains?
Comment se fait-il que le Québec touristique se soit contenté d’excuses autour de considérations économiques (valeur du dollar, coût de l’essence, passeport, etc.) alors que dans les faits, la majorité de nos clientèles cibles ne sont pas influencées par ces facteurs ?
Peu ou pas de documentation existe sur le sujet.
- Il aurait été intéressant de connaître les campagnes de promotion du Québec aux États-Unis durant cette période.
- Quelles étaient les conclusions des études de marché ou des groupes de discussion?
- Quels ont été les stratégies, les produits promus, les marchés visés, les résultats obtenus? Quels ajustements ont été faits face aux fluctuations de l'économie?
Beaucoup de questions, mais bien peu de documentation..
L'ATTITUDE
Une partie du problème repose sûrement sur notre attitude comme gestionnaire de destination.
Il est essentiel que nos équipes apprennent à agir rapidement et efficacement. Notre décroissance touristique est importante, la compétition est féroce et les réflexes commerciaux doivent être aiguisés.
Le manque de réaction et d’adaptation des dix dernières années est inquiétant. Les gestionnaires doivent être impérativement « connectés » à la réalité des entreprises touristiques, sentir la pression de la décroissance et l'urgence des résultats à atteindre.
Il faut parler d’objectifs, de nuitées, de parts de marché, de couples produits-marchés et être omnibulés par l’atteinte de résultats.
Il faudrait entendre des affirmations comme « il est inacceptable que nos parts de marché aux États-Unis aient glissé de 7 % à 3 %... Tout sera mis en oeuvre pour les récupérer d'ici ... »
Les cadres de réalisation seront serrés, les budgets limités et les échéanciers compressés.
Notre balance touristique est en chute libre et nos marchés hors Québec s'effondrent.
Les défis sont de taille...
LES SOLUTIONS
UN BON PLAN DE MATCH
Si nous voulons retrouver nos parts de marché, nous devons d'abord avoir un bon plan de match.
TOUT D'ABORD - L'OBJECTIF
Un bon plan de match a des objectifs clairs. Récupérer les 2 millions de touristes américains perdus pourrait être un début d’objectif. Aucun autre marché ne nous offre une perspective de développement aussi réaliste et intéressante.
LE POTENTIEL DES MARCHÉS HORS QUÉBEC
L’exercice de priorisation des marchés géographiques mené récemment par Tourisme Québec est intéressant en soi, mais facilement qualifiable quand vient le temps de choisir où aller si nous voulons récupérer les 2 millions de touristes qui nous ont quittés.
LE SÉJOUR
Le Québec touristique génère annuellement un peu plus de 14 millions de nuitées.
2 millions de touristes américains, en séjour de groupe d'en moyenne trois personnes, avec des séjours moyens de trois nuitées en hébergement commercial génèrent plus de 1,5 million de nuits par année.
1 % de taux d'occupation du parc hôtelier du Québec équivaut à environ 285 000 nuitées.
Si nous n’avions pas perdu 2 millions d’Américains, le taux d’occupation du parc hôtelier du Québec serait supérieur de près de 5 %. C’est dans ce marché que se trouve la principale problématique de croissance de notre industrie touristique.
Voici où nous serions si nous avions soutenu une croissance annuelle du nombre de nuitées de 1 % par an, depuis 2000.
LA STRATÉGIE
L’objectif stratégique est clair, consolider les marchés ontariens et regagner les marchés de la Nouvelle-Angleterre et de l'Atlantique-Centre.
LES CHOIX DES MARCHÉS
Tourisme Québec nous a récemment annoncé vouloir investir dans des campagnes de promotion sur les marchés intra-Québec. L’industrie touristique du Québec, les ATR et quelques ATS en tête y investissent déjà plus de 50 millions de dollars par année. De plus, les résultats des dix dernières années sont convenables.
Les ressources financières sont limitées et les objectifs à atteindre considérables.
Pourquoi Tourisme Québec ne concentrerait-il pas ses ressources sur l’Ontario et les deux marchés américains les plus porteurs?
QUÉBEC ORIGINAL
Le créatif QUÉBEC ORIGINAL est un élément promotionnel dynamique et mobilisateur pour l’industrie touristique du Québec.
Toutefois, son utilisation m’apparaît davantage pertinente dans un plan de communication destiné à l'industrie, que dans une campagne de promotion.
Sa structure de communication priorise des ambiances en multipliant les images de produits expérimentés par des Québécois. Cette approche stratégique est très générique et me semble peu appropriée pour une commercialisation hors-Québec où le client cible ne nous connaît généralement pas très bien.
Qui plus est, le créatif QUÉBEC ORIGINAL nous est souvent présenté avant que soient identifiés les produits à commercialiser, les marchés à cibler ou le programme marketing à définir.
Dans le contexte stratégique visant à regagner les marchés de l’Ontario, de la Nouvelle-Angleterre et de l'Atlantique Centre, cette approche n’est probablement pas la plus appropriée.
UNE STRATÉGIE DE MARKETING DE NICHE
Tous les spécialistes en marketing le confirment : les tendances sont au marketing de niche.
Le consommateur est de plus en plus exigeant et spécifique et la compétition des autres destinations est de plus en plus féroce.
Le Québec dispose d'une dizaine de produits compétitifs. Nous devons parler ski avec des skieurs, bonne bouffe et terroir avec des foodies, vélo avec des cyclistes, événements avec des festivaliers, aventure avec des amoureux de plein air et congrès avec des organisateurs d’événements.
Bref, nos approches tactiques doivent être plus dynamiques et mieux ciblées.
Dans tous les cas, le Québec touristique ne peut pas se vendre comme la SAAQ promouvoit la sécurité routière.
Le cadre marketing du Québec touristique devrait davantage privilégier l’approche stratégique suivante :
EN CONCLUSION
L’industrie touristique du Québec a définitivement la capacité d’assurer sa progression si on la dirige de la bonne façon, sur les bons marchés cibles. Toutefois, mon expérience des dernières années a été marquée par plusieurs préoccupations. Je termine en vous les énumérant :
1. Le manque de dynamisme du Québec devant l’effondrement de ses marchés américains.
2. La crainte incompréhensible d’utiliser la nuitée touristique comme l’un des principaux indicateurs de performance de la destination notamment au niveau de la gestion des SÉJOURS.
3. La multiplication des structures touristiques sous toutes leurs formes qui créent d’importantes confusions et mobilisent une bonne part des ressources financières du Québec.
4. Un plan de développement de l'industrie touristique (PDIT) qui priorise fortement le développement de l'offre alors que la rentabilité de l'industrie, à court et moyen terme, repose indéniablement sur une mise en marché plus dynamique et mieux ciblée afin de retrouver les 2 million de touristes hors-Québec perdus.
5. L’éparpillement des ressources et la confusion des actions dont les exemples sont nombreux notamment avec l’arrivée des ententes de partenariat régional en tourisme (EPRT) qui demandent aux ATR de soustraire de leur budget de promotion d’importantes ressources afin de les diriger vers des actions relativement limitées de développement en région. Non pas que cela ne soit pas valable, mais la priorité devrait être d'abord la rentabilité des entreprises touristiques en place.
6. Le focus sur le thème QUÉBEC ORIGINAL avant que les PRODUITS à commercialiser ne soient bien définis, que les marchés cibles ne soient bien identifiés et que les PROGRAMMES MARKETING préliminaires ne soient élaborés.
7. La volonté de Tourisme Québec d’investir en promotion sur les marchés intra-Québec (là où les ATR et l’industrie ont fait un BON travail au fil des ans) et de diminuer conséquemment ses ressources sur les marchés ontariens et américains où les défis et les marges de progression sont si importants.
8. Le manque de responsabilisation et d'imputabilité des équipes de travail. De plus, la surutilisation des consultants externes et des agences ne favorise pas le développement de l'expertise de nos ressources.
9. La multiplication des comités de travail et des niveaux de consultation versus les processus de décisions stratégiques qui sont d'un niveau de complexité tel que souvent, nous ne savons plus qui décide de quoi.
Mon prochain billet traitera du COMMENT FAIRE pour arriver à prendre le virage nécessaire à une meilleure commercialisation du Québec touristique.
À lire aussi : Problématiques de l’industrie touristique au Québec… Selon Éric Fournier
ANALYSE RÉDIGÉE PAR ÉRIC FOURNIER, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'ATR MONTÉRÉGIE - COLLABORATION SPÉCIALE
N'oubliez pas de répondre à notre sondage : Êtes-vous d’accord avec les conclusions de l'analyse d'Éric Fournier?
Sources :
Les références qui ont été utilisées pour la rédaction de mon billet proviennent de la Commission canadienne du tourisme (CCT), de Tourisme Québec et du Réseau de veille en tourisme. Félicitations pour leur travail de recherche.
- Veille touristique mondiale, Rapport sommaire 2012 sur les États-Unis, CCT
- Marché des États-Unis d’Amérique 2007-2011, Tourisme Québec
- Documents disponibles sur le site du Réseau de veille en tourisme
- 2007, un grand cru pour le marché américain à l’international… mais pas pour le Québec
- Profil des Américains au Québec en 2004
- Mieux comprendre le déclin du marché américain au Québec en 2005
- Les Américains au Québec en 2009, certains segments se démarquent
- Le touriste américain : une espèce en évolution
- Ces Américains qui ne nous aiment plus
- Perspectives du marché américain : Le ciel demeure très sombre à l’horizon
- Timide, mais réelle augmentation des touristes américains au Québec en 2010
- États de proximités et états éloignés : Deux profils distingués
- Provenance géographique des Américains au Québec, selon le mode de transport
- Une concurrence qui mine la performance du Québec et du Canada
- Touristes américains : Où sont-ils passés?
- Baisse d’intérêt des Américains pour les destinations traditionnelles – août 2010
- Le voyageur américain : nouveau départ
- Office of Travel and Tourism Industries, U.S. Department of Commerce
Les plus commentés