Après le glamping, la vague du graping* ! par Jean-Michel Perron
* « Graping = GRAtuit CamPING »
Les «grapeurs[1]» ne sont pas des touristes mais des visiteurs, puisqu’ils ne logent ni en logement commercial, ni en logement privé dans les régions visitées. Ils logent dans leur valise, qu’est leur roulotte ou leur motorisé.
La légendaire Volkswagen
Les maires et les ATR ont tous intérêt à suivre le graping de près.
Le phénomène n’est pas nouveau (pensez aux mythiques Westfalia), mais comme bien d’autres activités touristiques, la COVID est un puissant accélérant qui se poursuivra encore plus en 2021 pour ce segment très visible de visiteurs.
Si vous avez voyagé l’été passé dans les régions, vous avez fait le constat comme moi qu’autant de roulottes et de petits motorisés ne pouvaient entrer dans les terrains de camping réguliers, tellement ils étaient nombreux. Je sais qu’une bonne partie de ceux-ci d’ailleurs ne «voulaient pas» loger en terrains de camping payants…
Mon instinct me dit qu’on est au début d’une vague.
Le quai de Rivière-au-Tonnerre en Minganie fut très populaire, cet été, auprès des grapeurs.
Il s’agit d’un nouveau style de vie permettant de voyager à peu de frais, souvent plus longtemps, un peu comme les routards en tour du monde. Leur nouveau terrain de jeu est le Québec, ensuite le Canada, et bientôt une vague déferlera sur les États-Unis en provenance du Québec. Ils remplaceront les snowbirds, tant que leur santé leur permettra de poursuivre le nomadisme.
Tout comme en tourisme d’aventures avec ses multiples expériences et niveaux de difficultés, le caravaning (camper en se déplaçant) se segmente de plus en plus clairement :
- Les caravaniers utilisant les campings publics ou privés (camping régulier).
- Les aventuriers recherchant une grande autonomie hors des sentiers battus (l’expéditionisme).
- Et les amateurs de graping (se camper autonome sans payer de frais, sans services, ils sont les «routards du camping», les grapeurs) avec leurs petites roulottes et les motorisés classe B. En anglais, on dit faire du boondocking.
Ces segments du caravaning constituent chacun des tribus identitaires qui se reconnaissent entre eux, avec leurs sites Web, leurs applications, leurs gourous influenceurs.
Pour les grapeurs au Québec, c’est l’application iOverlander qui leur permet de savoir où dormir gratos, où prendre de l’eau gratos, où vidanger gratos de temps en temps…
Roulotte fabriquée au Québec. Source : safaricondo.com/fr/caravanes
Motorisé classe B, aménagé au Québec. Source : prestigevr.com/gala-rv
La preuve de cette lourde tendance est le présence de fabricants de véhicules de 20 pieds et moins, ici et ailleurs, comme les roulottes légères Alto de Beauce.
ou RV Prestige de Terrebonne avec ses classes B à 140 000$...
BON POUR LES RÉGIONS ?
Ce mode de vacances, et même de vie pour certains, permet la découverte de la nature et des paysages, tout en ayant le contrôle sur sa condition sanitaire, et permet de socialiser à son rythme.
L’idée de départ du camping, pour bien des caravaniers (campeurs nomades), est d’épargner de l’argent sur l’hôtel en allant au terrain de camping (même si acheter un VR n’est pas donné!). Aujourd’hui, certains sauvent sur le coût du terrain de camping en faisant du graping…
Mais est-ce durable? Économiquement, la priorité des régions (MRC et/ou ATR) devrait être de sonder rapidement les grapeurs et connaître leur niveau réel de dépenses sur place (essence, épicerie, resto, attraits, activités). Ça peut se faire même en hiver… En faisant aussi la distinction avec les «campeurs sauvages» en tente. J’ai entendu des maires dire qu’il faut mieux aménager des sites pour mieux accueillir ces visiteurs… Si les grapeurs ne créent pas de richesse dans la localité, pourquoi investir des fonds publics? Environnementalement parlant? Il y a si peu de sites gratuits de vidanges sanitaires; sait-on réellement ce que font alors les grapeurs avec leurs «eaux grises et noires», eux qui recherchent habituellement les services gratuits? Socialement? Le principe d’utilisateur-payeur devrait être appliqué, sinon ça devient inéquitable pour les citoyens qui paient via leurs taxes des services pour ce type de visiteurs et les campings payants qui doivent alors compétitionner avec des villes qui accommodent les grapeurs... À moins qu’un sondage sérieux détermine qu’ils dépensent beaucoup localement.
Mais peu importe, le phénomène se poursuivra. Les régions doivent mieux s’organiser pour être prêtes dès mai 2021 en :
- Faisant un sondage québécois sur le profil de dépenses de ces visiteurs (AITQ). Souhaitons que le graping ne rimera pas avec l’expression anglaise de «graping».
- Pour les villes/MRC, en déterminant où et avec quels services ils souhaitent ou pas accueillir les grapeurs. Gratuitement, ou avec un tarif minimal couvrant les dépenses réelles?
- Communiquer ces renseignements via les BIT et les guides papier, mais surtout là où les grapeurs prennent leur info : iOverlander et les médias sociaux spécialisés.
- Encourageant l’achat de véhicules fabriqués au Québec.
iOverlander à Port-Cartier : un site pour passer la nuit gratuitement, un site de camping sauvage gratuit et un site de vidange sanitaire.
Il ne faut pas que le tourisme au Québec devienne un tourisme à faibles retombées par visiteur avec la mentalité «qu’on garde notre argent pour les voyages hors Québec» et on limite les dépenses au Québec au minimum tout en continuant de voyager… Ça ne crée pas beaucoup d’emplois, sauf pour les stations d’essence.
À moins que certaines régions évaluent leur popularité et leur succès en tourisme par le volume du trafic sur leurs routes?
[1] Mot avec «graping» que je suggère afin de définir ce segment de visiteurs et éviter l’anglicisme boondocking. Dans les années ’80, j’utilisais publiquement le mot «forfaitisation» (même si absent du dictionnaire à cette époque, ce qui me valut une réprimande d’un fonctionnaire) au lieu de «packaging», couramment utilisé en tourisme.
Jean-Michel Perron
Conseiller en tourisme (PARConseils.ca) et blogueur (Tourte Voyageuse)
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