Quels seront les impacts du retour de Trump à la maison blanche sur le tourisme canadien et québécois?, par Mohamed Reda Khomsi
Se livrer à des exercices de projection constitue toujours une tâche ardue. Dans le cas présent, l'exercice s'avère d'autant plus complexe en raison de la nature du sujet, et plus encore, compte tenu des évolutions quotidiennes susceptibles de survenir dans ce dossier. Comme vous le savez très bien, Donald Trump est un président certes imprévisible, mais nous commençons à connaitre, jusqu’à une certaine mesure, la logique qui anime le 47e président des États-Unis à savoir America First. À partir de là, je me suis posé la question de l’impact du retour de Donald Trump au pouvoir sur le tourisme canadien de façon générale, et le tourisme québécois en particulier. Avant de me lancer dans l’analyse, j’ai souhaité d’abord faire un état des lieux de l’impact du premier mandat de Trump sur les performances touristiques aussi bien aux États-Unis qu’au Canada. Cette analyse va se limiter aux trois premières années du mandat de Trump, soit de 2017 à 2019, vu que les données de 2020 étaient influencées par la pandémie.
Portrait des arrivées touristiques internationales entre 2017 et 2019
Comme vous pouvez le constater à travers les données du tableau ci-dessous , les arrivées touristiques internationales aux États-Unis pendant les trois premières années du premier mandat de Trump ont connu une légère augmentation passant de 77 millions en 2016 à 79 millions en 2019, soit une augmentation de 2,91 %. Comparée à la performance touristique enregistrée entre 2012 et 2016, lors du deuxième mandat de Barack Obama et qui affichait une croissance de 13 %, cette situation représente clairement un ralentissement du rythme de croissance des arrivées internationales.
Arrivées internationales et dépenses touristiques aux États-Unis
Source : Dashbord des données sur le tourisme de ONU Tourisme
Cette situation peut s’expliquer par plusieurs facteurs, mais elle est attribuable essentiellement au décret anti-immigration qui a visé sept pays à majorité musulmane et les tensions commerciales avec la Chine (-10 % de visiteurs en provenance de ce pays entre 2017-2018).
Au Canada et au Québec, le nombre de visiteurs en provenance des États-Unis entre 2017 et 2019 a augmenté respectivement de 2,72 % de 2,7 % entre 2017 et 2019. Cela dit, quand on compare avec la période de Barack Obama (2012-2016), la différence est importante. 15,33 % de croissance pour les visiteurs américains vers le Canada et 23 % de croissance vers le Québec.
Visiteurs (*) américains au Canada et au Québec entre 2017 et 2019
Source : Statistique Canada. Tableau : 24-10-0050-01. Visiteurs non-résidents entrant au Canada selon le pays de résidence. * visiteurs = toute personne qui traverse la frontière sans tenir compte de la durée qu’il va passer au pays, ni de la raison du voyage
Là encore, le ralentissement des arrivées des touristes américains vers le Canada et le Québec est évident et il a commencé dès 2017. Selon les données rapportées par le service de recherche du parlement canadien, la baisse était de 2,3 % pour la seule année 2019 .
Cette situation peut s’expliquer par plusieurs raisons, mais notamment par les tensions commerciales entre les deux pays dans le cadre de la renégociation des termes de l’ALENA, la rhétorique America First encourageant les Américains à voyager à l’intérieur de leur pays et finalement, la force du dollar américain qui pousse les voyageurs qui souhaitaient visiter d’autres pays à explorer d’autres destinations plus exotiques.
Quid du prochain mandat
Un sondage publié le 17 janvier 2025 par la firme Narrative Research fait état d’une diminution de 21 % des intentions de voyage des Canadiens vers les États-Unis. Bien qu’il s’agisse d’un recul notable, ces intentions demeurent hypothétiques et pourraient ne pas se concrétiser. Lors du premier mandat de Donald Trump, l’Alliance de l’industrie touristique du Québec avait évoqué, en se référant à un sondage réalisé par Google, que 52 % des répondants se disaient moins, voire beaucoup moins enclins à voyager aux États-Unis. Cependant, bien que la fréquentation ait effectivement diminué, les chiffres réels étaient loin de cette proportion. En sus, les États-Unis, le Canada et le Mexique devraient recevoir en 2026 la prochaine édition de la coupe du monde de soccer avec pour la première fois de l’histoire la participation de 48 équipes. Comme nous l’avons vu dans d’autres éditions de la coupe du monde (Qatar, 2022) ou des Jeux olympiques (Chine, 2008) les supporters ont tendance à moins boycotter ces événements ce qui devrait générer des flux touristiques assez importants pour les trois pays organisateurs et surtout pour les États-Unis qui va accueillir la grande majorité des matchs. Hormis la potentielle baisse des voyages des Canadiens vers les États-Unis, quels pourraient être les autres impacts de l’arrivée de Trump à la maison blanche ? et bien il y a là des opportunités (oui, vous avez bien lu) qu’il faut saisir et des menaces auxquelles il faut faire face.
Du côté des opportunités
- Avec la faiblesse du dollar canadien face au dollar américain, notre pays va demeurer un pays très attractif vu la force de la devise du pays de l’Oncle Sam. Un article de Radio-Canada Alberta rapportait dernièrement que les stations de ski des Rocheuses observent déjà une augmentation des visiteurs américains cette saison en raison du taux de change avantageux.
- La faiblesse du dollar canadien pourrait inciter davantage de Canadiens à explorer leur propre pays que de traverser les frontières vers les États-Unis. Rappelons à ce titre que sur les 37 millions de voyages effectués par les Canadiens vers l’étranger en 2019, 27 millions étaient vers les États-Unis. À ce titre, nos destinations et nos entreprises devraient se concerter pour lancer des compagnes promotionnelles agressives à destination des autres provinces canadiennes pour espérer faire le plein de cette clientèle.
- L’image d’une Amérique moins accueillante est une opportunité pour le Canada et le Québec pour réduire leur dépendance vis-à-vis du marché américain. Destination Canada en collaboration avec l’Alliance et les autres OGD des provinces devraient, là encore, collaborer pour augmenter notre visibilité sur les marchés les plus lucratifs comme le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, le Japon et la Corée du Sud. Le Canada pourrait ainsi capitaliser sur son image de pays pacifique et accueillant en offrant une expérience typiquement nord-américaine sans l’hostilité américaine toutefois.
Du côté des menaces
- Si l’administration Trump va de l’avant avec sa menace d’imposition de droits tarifaires, les impacts économiques risquent d’être importants pour les travailleurs de plusieurs secteurs. À partir de là, il faut s’attendre à une baisse dans les dépenses discrétionnaires et le tourisme est souvent le premier secteur à souffrir de cette rationalisation des dépenses en contexte de crise.
- Pour le secteur du tourisme d’affaires, il y a un risque important pour les congrès en provenance des États-Unis. Bien que les contrats soient signés depuis plusieurs mois, voire années, avec nos destinations, centres de congrès et hôtels, la question pourrait se poser si les politiques de l’administration Trump ne vont pas dissuader certains congrès à changer d’avis et relocaliser leurs événements aux États-Unis.
- La réduction des taxes, des exigences environnementales et des barrières réglementaires sont parmi les mesures phares que l’administration Trump compte mettre en place. À ce chapitre, plusieurs experts du domaine du transport aérien estiment que cela se traduira par une amélioration de la compétitivité des compagnies américaines qui seront en mesure de proposer des tarifs plus agressifs sur certains marchés. Si ces promesses finissent par se concrétiser, nos compagnies aériennes devraient revoir leur stratégie sur les routes où elles sont en compétition avec des compagnies américaines.
Conclusion
Chaque point soulevé dans cette chronique pourrait être développé et nuancé davantage, mais pour que la lecture soit la plus fluide possible je me suis limité aux éléments les plus importants à mon avis. Cela étant dit, et si le passé est garant de l’avenir, il y aura fort probablement des impacts sur le tourisme des deux côtés de la frontière, mais l’intensité de ces derniers dépendra de l’évolution de la relation entre les deux pays au cours des prochaines semaines.
Mohamed Reda Khomsi Ph.D
Professeur et directeur des cycles supérieurs en tourisme
École des sciences de la gestion
Université du Québec à Montréal
Sources consultées :
- Dashbord des données sur le tourisme de l’ONU-Tourisme : https://www.unwto.org/fr/tableau-tourisme/resultats-du-tourisme-mondial-et-regional
- Statistique Canada. Tableau : 24-10-0050-01. Visiteurs non-résidents entrant au Canada selon le pays de résidence
- Bibliothèque du parlement (2021). Service d’information, d’éducation, et de recherche parlementaires. L’économie du tourisme au Canada.
- Anderson, Stuart (2019). Decline in chinese Tourists Visiting America Continues in 2019. Forbes. https://www.forbes.com/sites/deloitte/2024/11/15/spotlight-on-illicit-finance-time-for-a-coordinated-response/?
- Narrative Research (2025). Canadians signal that there will likely be a significant decline in travel to the U.S. within the next year due to Donald Trump’s election as President. Publié le 17 janvier 2025.
- Alliance de l’industrie touristique du Québec (2017). Trump quel impact sur les intentions de voyage des canadiens. Publié le 21 mars 2017.
- Radio-Canada (2017). Face à l’incertitude de l’ère Trump, le tourisme s’en sort plutôt bien. Publié le 21 janvier 2025
Crédit photo: image par Pete Linforth de Pixabay
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