Je voudrais qu’on soit Hawaïens! Ou la sagesse de choisir un nouveau tourisme, par Jean-Michel Perron
Certains rêvent pour échapper à la réalité, d’autres rêvent de changer la réalité - Soichiro Honda
Aujourd’hui, une majorité de résidents (65%), d’entreprises touristiques, avec le support de l’Hawaii Tourism Authority — qui est l’une des destinations touristiques les plus populaires de la planète et très dépendante économiquement du tourisme —, toutes ces parties ne veulent pas recevoir à court terme les touristes. Plus étonnant, ils ne souhaitent vraiment pas revenir au tourisme d’avant la COVID-19!
«Malama Hawaii Experience» d’Outrigger Hotels and Resorts comprend une activité d’écovolontourisme dans la réserve naturelle privée de Kualoa Ranch. — Crédit photo: Outrigger Hotels and Resorts.
Nous, au Québec, rêvons plutôt de revenir en février 2020, dans le monde d’avant. Oublier cette « parenthèse » de crise sanitaire mondiale. Nous surfions allègrement sur la vague d’une croissance infinie du tourisme. Les dernières années furent remarquables, relativement à la hausse des visiteurs et à la profitabilité de nos entreprises. Ça allait tellement bien qu’il nous manquait cruellement d’employés… Et gavées en plus de touristes d’affaires et d’événements, Montréal et Québec raflaient la grande part du gâteau glacé. Triste revirement de situation en 2020 pour nos deux pôles, alors que les régions s’en sont tirées plutôt bien.
Juste une simple « parenthèse » le virus de la COVID-19, pense-t-on? Jamais de la vie! Les réflexions provoquées par cet arrêt forcé nous font prendre conscience que la vie est fragile et précieuse. Que notre qualité de vie ne peut se baser uniquement sur la croissance et les profits. Que le modèle économique actuel d’une mondialisation sans limites n’aura bientôt plus assez de notre planète pour la soutenir. Que nous détruisons la Nature et que la sixième extinction de masse est enclenchée, aux dires des spécialistes, la première provoquée par l’Humain. Point à la ligne. Et le secteur touristique? Nous avons notre part de responsabilité afin d’initier, ou à tout le moins soutenir, le changement. En commençant par s’inspirer par ce qui se passe dans cet archipel du Pacifique…
Hawaï, ce 50e État américain[1] :
- Premier État américain au printemps 2020 à demander aux touristes de ne pas venir les visiter et à exiger une quarantaine à l’arrivée;
- Un des taux de chômage actuellement le plus élevé des États-Unis : 10% malgré la levée de la quarantaine obligatoire remplacée par un test COVID requis avant le départ des touristes, qui n’a pas permis pour autant un retour à la normale du tourisme, principale industrie;
- L’impact économique du tourisme en 2019 était le même qu’en 1989, mais avec plusieurs millions de visiteurs supplémentaires;
- Nouveau plan stratégique 2020-2025 en tourisme s’appuyant sur 4 « forces », mais surtout basé sur l’écoute et le respect de leurs citoyens:
- La Nature et les lieux culturels pour le bénéfice premier de nos citoyens
- La culture autochtone Hawaienne
- Nos citoyens bénéficient réellement du tourisme
- Une mise en marché qui traduit cette approche « terrain »
- La première mesure de performance de l’industrie touristique n’est plus la croissance des recettes et du nombre de visiteurs, MAIS la satisfaction des citoyens! L’Hawaii Tourism Authority (HTA) poursuit encore aujourd’hui ses consultations et ses sondages auprès des citoyens et des entreprises touristiques sur chacune des principales îles — Kauai, Maui Nui, Hawaï et Oahu. Un élément sur lequel tout le monde est d’accord, qu’il soit protourisme ou non: la nécessité pour chacune des communautés d’assumer la responsabilité de la restauration et de la préservation de la nature et de la culture de l’archipel pour les générations à venir. C’est ce sur quoi la nouvelle campagne touristique d’Hawaï s’appuie: le concept ancestral autochtone de « Malama », qui signifie « nourrir » et s’aligne ainsi sur le principe du tourisme régénérateur.
- 68 hôtels et entreprises touristiques font jusqu’à présent partie de la campagne Malama Hawaii, ainsi que de nombreuses organisations bénévoles et Alaska Airlines. Il s’agit essentiellement d’une offre pour les visiteurs et les résidents de « faire un voyage qui redonne à Hawaï » et de « voyager plus intensément et plus lentement » en s’inscrivant à une activité d’apprentissage sur l’écotourisme et le bénévolat, tout en bénéficiant d’avantages pour le faire.
- La technologie sera requise pour assurer un meilleur contrôle des visiteurs afin d’éviter le surtourisme dans certains lieux. Un excellent article hawaïen à ce sujet fut publié au printemps 2020.
- Si Hawaï souhaite ne pas relancer son tourisme avec autant de visiteurs, les visiteurs qui laissent un maximum de dollars devraient alors être ciblés. « Vous devez vous recentrer sur le mélange des types de visiteurs… qui sont les visiteurs les plus dépensiers, qui sont les visiteurs qui ont le plus d’impact économique et le moins d’impacts négatifs sur le lieu? », a déclaré à Skift Frank Haas, président de Marketing Management, une société de conseil en marketing spécialisée dans les voyages et l’hospitalité et doyen de l’hôtellerie au Kapi’olani Community College.
J’entends déjà certains dire que le Québec ne peut se comparer avec Hawaï. Pas la même réalité. Oui, l’enjeu du surtourisme y est plus présent (voir mon calcul de ratio), oui au Québec on a plus d’espace, mais en meme temps nos visiteurs de l’extérieur viennent nous visiter, surtout durant 6 mois, tandis qu’à Hawaï c’est réparti sur l’année entière…
- Ratio population/touristes de l’extérieur
- Québec : 8,8 M[2] touristes versus 8,3 M résidents = 1,06
- Hawaï : 10,4 M touristes versus 1,4 M résidents = 7,43
- Dimension du territoire
- Québec : 556 000 km carrés[3] (le 1/3 du Québec qui reçoit un minimum de touristes)
- Hawaï : 28 311 km carrés
- Saisonnalité : Hawaï est une destination qui opère 12 mois par année, tandis que les touristes provenant du hors Québec séjournent ici en grande majorité entre mai et octobre, répartis sur 6 mois.
Sentier le Grand Tour, Parc National du Bic. Crédit photo : Geneviève Turner.
Pour moi, cette réalité hawaïenne, leurs actuelles réflexions et les nouvelles stratégies durables, sont les mêmes que ce qu’a vécu la Gaspésie l’été passé ou ce que subissent les résidents du Vieux-Québec depuis des décennies. L’inspiration à aller chercher dans les eaux bleues et plastiques du Pacifique doit venir du fait que le tourisme durable s’encre au départ dans le milieu, au bénéfice des citoyens et des régions, et qu’il faut changer nos mesures de performance. Toujours plus de visiteurs, plus de recettes touristiques, plus de gros aéroports… ce n’est pas ce qui va nous rendre plus heureux et surtout pas plus respectueux de l’environnement. Entre nous, la croissance en volumes est probablement inévitable, mais elle doit devenir à tout le moins responsable et réellement carbone neutre.
Nous aurons ensemble, dans les prochains mois et dans les années à venir, à définir la ligne de « capacité de support » de nos milieux naturels, urbains et campagnards. Atteindre cet équilibre des écosystèmes doit faire partie de nos stratégies touristiques québécoises.
La valeur hawaïenne du « kuleana » (responsabilité) doit nous guider à l’avenir. Responsabilité individuelle et responsabilité en tant qu’acteur du tourisme.
Jean-Michel Perron
Conseiller en tourisme (PARConseils.ca) et blogueur (Tourte Voyageuse)
[1] Pour l’Histoire : il devint un état en 1959 sans l’accord du peuple hawaïen. Avec l’Apology Resolution du 23 novembre 1993, le Congrès américain souligne ainsi ce point en reconnaissant que le peuple hawaïen n’avait jamais renoncé à sa souveraineté au profit des États-Unis. En droit international, le statut d’Hawaï est donc non légal, ni valide. Lors de la candidature de Barak Obama, lui qui est né à Hawaï, c’est sur ce fait qu’on l’accusa de ne pas être né aux États-Unis, donc qu’il ne pouvait prétendre devenir président !
[2] Touristes en provenance du hors-Québec incluant le ROC. Source : Tourisme Québec, 2017.
[3] Tout le nord du Québec possède un potentiel immense en développement touristique, mais la réalité en volume de touristes d’agrément est infime faute d’accessibilité, de capacité d’accueil et de développement de l’offre touristique.
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