INTERNATIONAL: J.-P. Nadir (fondateur d’Easyvoyage) : « Le tour-operating est à bout de souffle »
Jean-François Rial a ouvert un vrai débat d’idées sur le tourisme de demain. Aujourd’hui, c’est Jean-Pierre Nadir qui partage ses critiques et son idéal de « rationalité joyeuse » du tourisme.
L’Echo touristique : L’Echo a publié plusieurs interviews sur le tourisme de demain, dans l’esprit du Forum A World For Travel. Votre avis ?
Jean-Pierre Nadir (fondateur d’Easyvoyage) : J’ai lu l’ensemble des récentes tribunes et interviews consacrées à la réflexion autour du tourisme de demain: Rial, Delom, Capestan, Oudghiri… Je me suis moi-même prêté à l’exercice dans un long entretien donné à Confinews et que vous avez eu la gentillesse de republier en intégralité dans L’Echo touristique. Surtourisme, tourisme de masse, empreinte carbone, anthropotourisme… Tous ces débats, nous les avions avant la Covid-19. Le mouvement de défiance d’un certain nombre de consommateurs, vis-à-vis de notre secteur, largement médiatisé autour de Greta (Thunberg), l’incarnait déjà. Mais la crise sanitaire a été un formidable accélérateur, comme jamais auparavant. En 2,5 mois, nous avons pris dix ans, c’est une vraie progéria des modèles touristiques. Le confinement a donné le temps de la réflexion sur une question essentielle : « pourquoi voyage-t-on ? ». Ce que j’ai beaucoup aimé chez les acteurs du tourisme, c’est leur remise en question des choses établies. Sans être donneurs de leçons, mais juste parce qu’ils ont pris le temps…qu’ils avaient pour une fois. Du reste, comme le faisait remarquer un observateur du secteur « Qui n’a pas écrit sa chronique pendant le confinement a loupé son confinement », ce qui est vraiment très drôle. Mais c’était aussi le moment ou jamais de donner libre cours à sa réflexion.
Jean-François Rial (Voyageurs du Monde) parle de refondre la fiscalité globalement, d’instaurer des taxes pour faire payer les coûts de destruction de la planète. Une bonne piste ?
Jean-Pierre Nadir : Sur la fiscalité, Jean-François (Rial, Voyageurs du Monde) a présenté un modèle de changement de société, celui d’une République verte, dépassant le seul secteur du tourisme. C’est un réel programme politique. En ce qui me concerne, ma réflexion se limite plus modestement à la réinvention du tourisme dans le périmètre existant, et c’est déjà suffisamment ambitieux. Je raisonne à partir de la réalité touristique.
En résumé, pourquoi le tourisme doit-il se transformer ?
Jean-Pierre Nadir : Le tourisme moderne, pour l’essentiel, est né d’un modèle de déséquilibre nord-sud, d’une création de valeur préemptée par les acteurs touristiques des pays européens. Les populations des destinations ont plus survécu que vécu du tourisme. Dans Plateforme, (Michel) Houellebecq a bien décrit ce phénomène, cette exploitation des hommes et des ressources, qui ne peut plus perdurer. Nous devons réinventer le modèle autour des nouvelles volontés équilibres qu’elles soient au profit de la planète, des populations à destination ou des clients. Comme dit Patrice Caradec (Alpitour), pour couronner le tout, les acteurs du tourisme perdent souvent de l’argent ! Thomas Cook a fait faillite. TUI Group ne tient pas plus de 2,5 mois au niveau de la trésorerie. C’est assez ahurissant de voir que le premier acteur européen, qui générait en moyenne des Ebitda à 1Md d’euros, est aussi vite au bord du chaos, et doit faire la manche auprès de l’Etat allemand pour décrocher 2Mds d’euros afin d’assurer sa survie. C’est un non-sens : TUI et Thomas Cook auraient dû être fortement capitalisés, avec des capacités solides d’investissement. En fait, nous sommes sur un modèle de tourisme mondial industrialisé, qui a inventé le modèle perdant-perdant, puisqu’il ne gagne pas suffisamment d’argent pour assurer sa pérennité alors qu’il paupérise les populations et la planète...
Source: L'Echo Touristique
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