Une identité touristique moderne pour le Québec
« Le Québec n’a jamais réussi à se forger une identité touristique originale et ce n’est pas faute de détenir des atouts importants! », déplore le designer Jean-Claude Poitras. Selon lui, les campagnes de marketing touristique véhiculent inlassablement les mêmes clichés usés jusqu’à la corde à force d’avoir servi. « Il faut rompre avec ces stéréotypes et entrer de plain-pied dans la modernité », dit-il. Pour ce faire, il propose quelques pistes à explorer
En 2006, Jean-Claude Poitras était invité à donner une conférence le cadre des Assises de l’industrie touristique. Titre de son allocution : « Comment sortir de la banalité et exploiter l’art de vivre à la québécoise ? » Plusieurs grandes destinations mondiales venaient de se doter d’une image de marque en phase avec l’ère du temps. Le mot « branding » était sur toutes les lèvres et quelques divas mondiales du marketing s’en donnaient à cœur joie. Le Costa Rica, qui avec ses grands parcs nationaux se positionne comme la destination « écologique » par excellence, lançait le slogan « Pura Vida ». L’Inde paraphait ses publicités « Incredible India » et la Nouvelle-Zélande apposait la griffe « 100% New Zealand » sur ses paysages spectaculaires photographiés sur papier glacé dans des magazines prestigieux. Jean-Claude Poitras rentrait d’un voyage en Colombie. « J’étais stupéfait par ce que cette destination à la réputation si sulfureuse arrivait à faire en termes de marketing touristique », se souvient-il. « Ils intègrent Botero et d’autres figures contemporaines à leurs campagnes et leur slogan est tout simplement génial : «Le risque, c’est de ne jamais vouloir en revenir»! Nous, nous restons désespérément banals en matière de marketing. Année après année, nous produisons des diaporamas et des vidéos qui reprennent inlassablement les mêmes clichés : la «grande nature», l’hiver, le Château Frontenac, le caractère aimable et bon enfant de nos concitoyens et leur accent chantant… On veut tout couvrir et, à force, on crée une image confuse. » Quant elle n’est pas misérabiliste, comme ce titre qui coiffait la Une du magazine Gourmet au milieu des années 2000 : « Affordable Montreal »! « Verrait-on un grand média international qualifier Barcelone ou Sydney «d’abordable» ? », demande Jean-Claude Poitras.
Six ans après la conférence prononcée dans le cadre des Assises du tourisme, rien n’a changé, constate-t-il en s’insurgeant contre le caractère « poussiéreux » que le Québec véhicule dans ses campagnes de marketing. « Montréal est une ville de design qui vibre et est bien ancrée dans la modernité. Mais le mot «design» n’apparaît jamais dans les campagnes publicitaires. Il faut en finir avec les stéréotypes et entrer de plain-pied dans la contemporanéité! »
Ce qui ne signifie pas qu’il faille balayer sous le tapis le Château Frontenac, la grande nature, l’hiver, etc… « Au contraire, il faut partir de nos racines pour nous projeter dans la modernité. Le Maroc l’a fait avec ses riads, le Mexique avec ses superbes haciendas rénovées et transformées en hôtels, le Portugal avec ses grandes demeures anciennes converties en Pousadas. Une identité touristique originale passe par une mise en perspective modernisée du patrimoine architectural ou naturel. Il y a un exercice de réflexion à faire de ce côté-là. »
En attendant, le designer propose quelques pistes de solutions. « Ironiquement, alors que la devise qui figure sur nos plaques minéralogiques est «Je me souviens», le Québec ne sait pas mettre en valeur son passé », déplore-t-il. « Je rêve de réhabiliter les vieux motels qui jalonnent la route 132 entre Montréal et Gaspé ou son vis-à-vis de la rive-nord, la route 138. Il y a quelque chose d’irrésistible dans ces reliques du passé. Quand je les regarde, j’imagine que je vais voir Marilyn Monroe sortir d’une des chambres ou que je suis plongé dans un épisode de la série Mad Men, qui se déroule dans les années soixante. » Même les traditionnelles chaises de plastiques disposées sur les galeries extérieures trouvent grâce à ses yeux. « Ce sont des merveilles du design », dit-il. « Il suffirait de les revamper pour les remettre au goût du jour et nous aurions là un produit vraiment original. » Autres pièces du patrimoine inexploitées : les granges. « J’ai 300 photos de granges superbes prises au fil de mes pérégrinations sur les routes du Québec », dit-Jean-Claude Poitras qui, parmi les autres éléments négligés du patrimoine qui pourraient être mis en valeur cite les croix de chemin et les magasins général. Il évoque les beaux villages de Bellechasse ou du Kamouraska où aucune règle d’urbanisme ne vient empêcher de défigurer les lieux en construisant des bungalows ringards ou des « châteaux de la Loire » de pacotille à côté de superbes demeures anciennes.
Et le Saint-Laurent, le fjord, les forêts à perte de vue, cette « nature » omniprésente dans toutes les campagnes de marketing touristique, depuis des lustres, peut-on vraiment en faire abstraction ? Jean-Claude Poitras admet que non. « Mais ce patrimoine naturel a, lui aussi, besoin d’être réévalué à l’aune la modernité », dit-il. « Il faut en finir avec l’image vieillotte de la «cabane au Canada». Le contemporain a sa place dans la nature. Les promoteurs du Massif viennent de nous en donner un exemple avec l’hôtel La Ferme. Les Hurons aussi, avec leur hôtel-musée de Wendake. Le contemporain se marie très bien à la nature et à l’ancien. Il suffit de regarder ce que la ville de Québec à fait avec la nouvelle Promenade Samuel De Champlain, la revitalisation du quartier Saint-Roch et la mise en valeur des silos du Vieux-Port de Québec par Robert Lepage, avec son Moulin à images… »
Jean-Claude Poitras déplore qu’on n’agisse pas avec autant de cohérence à Montréal où, comme bien d’autres, il souligne la nécessité de se doter d’une icône architecturale. Le stade ? « Certes, il est beau, mais il est trop excentré. Cela prend quelque chose que les Montréalais peuvent s’approprier parce qu’ils le côtoient au quotidien et que les touristes ne peuvent pas manquer, comme c’est le cas de l’Arc de Triomphe, à Paris, par exemple. Quand on a déplacé la Joute, la statue de Riopelle vers le quartier International du centre-ville de Montréal, cela a déclenché une controverse. Mais au moins, les Montréalais et les touristes la voient. Aujourd’hui, il est question de rapatrier aussi le stabile de Calder qui se trouve actuellement sur l’île Sainte-Hélène. Il est vrai qu’il est bien mis en valeur dans son environnement actuel. Mais qui le voit ? Quelques centaines, voire même quelques milliers de personnes tous les jours. Mais c’est par des dizaines de milliers de personnes qu’il devrait être vu quotidiennement. »
En attendant l’émergence de « motels de charme » et de politiques d’urbanisme plus cohérentes, Jean-Claude Poitras plaide pour une présentation plus originale de notre patrimoine culturel et naturel. « J’aimerais voir une capsule de promotion dans laquelle Fred Pellerin vanterait les mérites du Québec. Il incorporerait certainement un supplément d’âme à des campagnes publicitaires trop souvent dénuées de caractère. »
Pour lire l'allocution de Jean-Claude Poitras aux Assises du Tourisme de 2006
Rédigé par André Désiront , collaboration spéciale
Crédit-photo : site web Jean-Claude Poitras
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