Rencontre avec Caroline Proulx - Retour sur le mandat, par Marie-Josée Blanchet

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Presque quatre années à la tête du ministère du Tourisme du Québec et plus d’un milliard deux cents millions de dollars injectés dans notre industrie, quel bilan notre ministre trace-t-elle de son mandat?

Le 5 mai dernier, la ministre du Tourisme, Caroline Proulx, nous faisait ses aurevoirs, ou à tout le moins un bien-cuit de ses presque quatre années passées à la tête de ce ministère qui nous tient bien à cœur… il est le gardien et le représentant de notre industrie! Ce discours mêlant compliments, blagues et petits clins d’œil nous a tous bien amusés. C’était une première qu’un(e) ministre se plaisait à jouer avec tout le monde et je dirais qu’en cette période encore pandémique ce clin d’œil humoristique faisait du bien.

Aujourd’hui, « en pause », élections obligent, quel bilan notre ministre trace-t-elle de ce mandat fortement réalisé en période de COVID avec une industrie durement impactée ?

D’entrée de jeu, la ministre souligne que la pandémie est venue teinter l’ensemble de son mandat, même si sa vision de début de mandat, le 18 octobre 2018, n’a pas changé durant ces années. « La première demande que j’aie faite à mon cabinet, quand je suis rentrée en poste, c’était d’avoir du développement durable et responsable. On est parfois identifiée comme étant une industrie polluante! Et dès le départ, j’ai voulu qu’on mette sur table le plan d’action pour le tourisme durable et responsable. »

L’occasion d’aligner de nouvelles orientations était au rendez-vous, car en 2020, les ententes contractuelles des acteurs de 1er plan (soit les associations touristiques régionales et les sectorielles) avec le ministère venaient à échéance, ainsi que plusieurs programmes d’aides. « La fin du monde est en 2020 »[1] était une expression de la ministre et de son équipe pour qualifier cette période qui allait débuter, tableau vierge, occasion unique pour aligner sa vision. Cette expression s’est avérée plus réelle que jamais!

En mars 2020, tout a basculé avec la COVID-19 et l’industrie a été touchée de plein fouet. Moments très difficiles, arrache-cœur pour certains, il a fallu quelques semaines pour comprendre ce qui se passait et changer le fusil d’épaule de l’industrie florissante que nous étions, à une industrie en mode survie pour laquelle on était incapable de dire quelle posture prendre, et ce, jusqu’à quand!

Caroline Proulx reconnaît que les premières semaines qui ont suivi les fermetures furent une période difficile pour elle, pour les dirigeants et pour tout le monde.  On se souvient des pas timides du gouvernement et on se rappelle des appels du fond du cœur des fleurons québécois, que l’on pense juste au Groupe Germain.

Toutefois, avec un peu de recul, la ministre est satisfaite de l’attention reçue par ses collègues du Conseil des ministres pour l’industrie, particulièrement le ministre des Finances, M. Girard.

« La pandémie aura permis de mettre en lumière toute la valeur économique de cette industrie et dans des circonstances très particulières, mettre en valeur sa grande importance dans l’économie du Québec… On a redonné tout le lustre, la visibilité, l’importance économique à l’industrie touristique… Troisième produit d’exportation (après l’aluminium et l’aéronautique), l’industrie n’avait pas la place dans les médias, l’espace publique, les conversations… aujourd’hui, elle a cette place-là!!»

Plus de 1 milliard 200 millions $ d’aides ont été déployées, du jamais vu pour l’industrie touristique en si peu de temps.[2]

Lorsqu’on regarde la liste de tous les programmes, on peut dire qu’il y en a eu pour tout un chacun. Les acteurs de l’industrie ont été appuyés, et les Québécois ont été incités à encourager l’industrie.

« Le PARIT est le programme le plus populaire que le ministère du Tourisme n’ait jamais lancé! », me confie fièrement la ministre. C’est plus de 280 dossiers déposés correspondant à des demandes d’aides de 444 M$. Il aurait été surprenant que ce programme si populaire, générateur de projets, soit abandonné après un seul appel à projets. Avec un budget de 105 M$ et des demandes pour plus de 444 M$, on peut imaginer le nombre de personnes déçues.

La deuxième enveloppe de 134 M$, annoncée en juin dernier, est venue bonifier le programme. Bien accueillie, les entrepreneurs attendent impatiemment l’appel à projets pour voir si leurs projets seront éligibles. La ministre me rassure : « Les détails du PARIT – appel à projets II seront annoncés dans les prochaines semaines, en septembre. »

Caroline Proulx souligne qu’elle fait partie des ministres qui sont restés le plus longtemps à la tête du ministère du Tourisme. Il demeure des enjeux de taille, mais des avenues de collaboration et des solutions sont sur la planche à dessin. En voici quelques exemples :

MAIN-D’ŒUVRE

Il est vrai que la pandémie a fait en sorte que les gens ont délaissé le tourisme, mais ce fut le cas aussi pour la restauration et le commerce de détail.

Avenues envisagées : la venue de travailleurs étrangers (une mission d’attraction en France est prévue en décembre par le ministre Boulé), la prolongation des carrières des retraités, la désaisonnalisation de certains attraits, mais aussi la création de liens entre les entreprises « jumelage club de golf et station de ski ».

Rien de nouveau dans ces avenues, si ce n’est que cette fois, on réussira peut-être à faire les gains nécessaires pour aider les organisations et les entrepreneurs qui en ont bien besoin.

TRANSPORT INTERRÉGIONAUX

La ministre nous rappelle que c’est un enjeu que nous partageons avec le gouvernement fédéral, car le transport est une compétence qui relève du fédéral, avec lequel on doit cohabiter. Mais aussi que « les déplacements, ça fait partie du voyage, de l’expérience du voyageur! ». Dans ces mots, elle nous rappelle qu’on doit composer avec nos grands espaces.

Avenue envisagée : le programme d’accès aérien aux régions avec des billets d’avion à un prix maximal de 500$ – projet de 86 M$ sur deux ans. Ce programme, peut-être lancé un peu tardivement, prend du temps à s’envoler, sans faire de jeu de mots. Il est évident que ce n’est rien de comparable avec les prix des « low cost » aux États-Unis ou en Europe. Cela aussi freine sûrement les Québécois à passer en mode achat.

VIRAGE NUMÉRIQUE

La pandémie a mis en lumière le retard numérique d’un grand nombre de nos entreprises et organisations. Les mieux équipés ont profité des programmes comme Explore Québec et Passeport Attraits pour tirer leur épingle du jeu, une leçon pas facile pour certains!

Pour la ministre, un grand pas a été fait pendant la pandémie avec le programme EDNET, et elle est confiante que les nouvelles aides déployées aideront les entrepreneurs et les organismes qui en ont bien besoin.

DÉVELOPPEMENT DU ST-LAURENT

Le développement du Saint-Laurent se fera en collaboration avec le ministère du Transport. Les navettes électriques pour découvrir les îles du Saint-Laurent, l’électrification des quais, l’ajout de petites traverses dans plusieurs municipalités du Québec, voici tous de beaux projets à développer en collaboration avec les maires, les préfets et la ministre déléguée au Transport, Chantal Rouleau.

DÉVELOPPEMENT DURABLE ET RESPONSABLE

Le développement durable et responsable était le mandat qu’elle s’était donnée à son arrivée en poste. Avec les événements malencontreux qui se sont produits lors du 1er été de pandémie (camping sauvage en Gaspésie), cela lui a donné encore plus envie de protéger nos milieux et de pratiquer un tourisme responsable.

Le développement durable, le tourisme responsable, tout le monde est d’accord qu’on doit en faire plus, mais plusieurs questions se posent: Quelle est la bonne définition pour nous? On fait cela comment?… les ressources compétentes pour guider les organisations et les entrepreneurs sont rares. C’est sûrement pour cela que le financement pour le plan d’action pour un tourisme durable a été confié au Fonds d’action québécois pour le développement durable (FAQDD).

POUR CONCLURE…

Voici les derniers mots de notre « ex-ministre » :

« Je veux faire en sorte que chaque Québécois devienne le porte étendard de notre territoire! Le Québec, c’est tout, sauf un prix de consolation! ». On doit continuer de travailler à séduire nos Québécois et d’en faire des ambassadeurs.

« J’ai vraiment adoré cela! J’y ai tout vécu en quatre ans! Si le premier ministre me redonnait le tourisme, je serais extrêmement heureuse. Si l’on m’envoie ailleurs, je serai tout aussi heureuse. C’est la prérogative du premier ministre de décider de nommer ses ministres. »

Et de mon côté, je crois qu’il sera intéressant dans quelques années de réfléchir sur quels furent les bons côtés de cette pandémie sur notre industrie. La pluie de 1 G$ d’aides aura-t-elle rapporté à l’industrie? Aurons-nous fait le virage numérique essentielle dans les temps que nous vivons? Aurons-nous ajouté en nombre suffisant des attraits et des hébergements de calibre international pour aller chercher les touristes du monde et séduire nos Québécois? Les gens de chez nous seront-ils devenus ces ambassadeurs tant souhaités par notre ministre?

Il est encore trop tôt pour réfléchir sur les impacts réels. En 2022, on voit des entreprises en rattrapage, une inflation galopante, des défis d’approvisionnements, etc. C’est donc un rendez-vous en 2024 pour poser nos yeux sur les résultats et dresser un vrai portrait sur le retour sur investissements de toutes ces aides. Mais d’ici là je vous dis, Madame la ministre : « Bonne campagne et merci d’avoir mis tant de cœur et d’énergie pour notre industrie et d’avoir fait équipe avec l’industrie et les partenaires pour la positionner autour de la table des ministres, dans les médias et la place publique!  On se souviendra de vous!» 

Programmes d’aides et montants formant les un milliard et deux cents millions de dollars: 

[1] Rencontre avec Caroline Proulx, une ministre de terrain par Louis Rome, 21 février 2019.

[2] Liste des programmes en fin d’article.

Marie-Josée Blanchet, MBA