Les jeux olympiques d’hiver au Québec. Pourquoi pas ?
La décision récente du Comité international olympique de permettre la tenue de Jeux olympiques dans plusieurs villes, qu’elles soient situées ou non dans le même pays, a ramené à l’avant-plan le dossier de la candidature de la Ville de Québec. Dans la foulée de cette décision, certains bonzes de l’olympisme, au premier chef Gian Franco Kasper, le président de la toute puissante Fédération internationale du ski (FIS) et Me Marcel Aubut, Président du Comité olympique Canadien (COC), en ont profité au cours des derniers jours pour remettre le sujet à l’ordre du jour.
Il n’en fallait pas plus pour alimenter la vindicte des opposants à cette idée qui se sont mis à souffler avec ardeur sur les braises des Jeux de Sotchi et les 50 milliards de dollars qu’ils ont coûtés. Mais beaucoup de ces opposants tombent allègrement dans la démagogie, faisant fi de deux variables importantes. La première, Sotchi n’est surtout pas le seul exemple que l’ont peu évoquer en matière d’olympiades d’hiver et de leurs coûts. La seconde, on fait constamment référence à la colonne des dépenses en oubliant de jeter un regard à celle des revenus.
Abordons dans un premier temps la question des coûts. Certes Sotchi a nécessité des investissements monstrueux, mais on oublie qu’on a bâti tous les sites à partir de rien. On a construit un stade pour les cérémonies d’ouverture et de fermeture, des arénas dont deux de grandes dimensions pour le hockey et les sports de glace, des centres de ski, un anneau de glace, des sauts à ski des pistes de bobsleigh et de luge, un village et un site olympique, sans oublier des infrastructures périphériques aux jeux comme des liaisons ferroviaires, des routes, un agrandissement d’aéroport et j’en passe. Et tout ces chantiers dignes des plus grands pharaons pour satisfaire la mégalomanie de Sieur Poutine qui voulait s’implanter avec force dans une portion de la Russie située à proximité de régions agitées sur le plan géopolitique.
Pour avoir une idée plus juste de ce que coûte les Jeux olympiques d’hiver, il faut jeter un coup d’œil aux deux olympiades précédentes : les jeux olympiques de Vancouver ont coûté 7,3 milliards de dollars dont 1,8 milliards pour l’organisation des jeux en soi. Le reste a été consacré à des investissements qui auraient dû être faits tôt ou tard comme la ligne de métro entre le centre ville et l’aéroport, la réfection de la route entre Vancouver et Whistler et l’agrandissement du Centre des congrès de Vancouver. En revanche, ils ont généré des revenus de 2,5 milliards de dollars pour le seul gouvernement de la Colombie-Britannique, sans oublier les revenus propres des jeux (droits de télévision, billetterie, etc.). Et c’est sans compter sur l’impact qu’ont eu les jeux sur l’industrie touristique. En effet, durant les trois premiers mois de 2010, les revenus hôteliers ont été de 130 millions $ supérieurs à ceux qui sont habituellement engrangés à Vancouver et à Whistler, en Colombie-Britannique, durant cette période de l’année. Les revenus des restaurants et des bars quant à eux ont augmenté de 129 millions $ pour la même période. Quant aux jeux de Turin (2006), ils ont coûté 3,6 milliards de dollars. Il faut dire que les organisateurs ont décidé de construire à grands coûts des infrastructures (bobsleigh, saut à ski) qui ne sont presque plus utilisées.
Et si on changeait les paradigmes
Récemment, sur les ondes de la station de radio FM 93 de Québec, les deux animateurs du midi, Éric Duhaime et l’ex-ministre Nathalie Normandeau se sont lancés dans une discussion épique sur le sujet, le premier étant farouchement contre la tenue de jeux olympiques à Québec et la seconde, plaidait avec justesse pour la mise à jour du modèle et le changement de paradigmes.
Voyons donc, sur la base des ouvertures du Comité international olympique, quel nouveau modèle nous pourrions mettre de l’avant. Le principal poste de dépenses des jeux olympiques d’hiver est la construction d’infrastructures pour la tenue des compétitions. Et, faut-il le rappeler, un des principaux obstacles à la tenue de Jeux d’hiver au Québec est l’absence d’une piste de ski dont le dénivelé serait suffisant pour la descente, une des épreuves vedettes des jeux d’hiver. Certes, on peut toujours espérer que la FIS revoie à la baisse ses exigences en la matière, mais cet aspect continuerait d’être le tendon d’Achille de notre candidature contre d’autres prétendants.
Et si nous utilisions plutôt au maximum des infrastructures existantes. En présentant une candidature articulée autour de trois partenaires, soit Québec qui serait le camp de base de ces jeux, Montréal pour les compétitions de patinage artistique de même que pour les cérémonies d’ouverture et de fermeture et Lake Placid, pour certaines disciplines comme le ski alpin (descente, super G et slalom géant), le saut à ski, le bobsleigh, la luge et le skeleton, il serait possible d’organiser des jeux d’une grande qualité à des coûts plus que raisonnables. Et c’est sans compter sur une des composantes fondamentales de jeux d’hiver, la neige. À cet égard, Québec et Lake Placid sont en mesure de garantir des conditions optimales pour les épreuves qui se déroulent à l’extérieur. Donc, les trois villes possèdent déjà la majorité des infrastructures coûteuses. Il ne resterait qu’à investir des sommes limitées dans la mise à jour de certaines infrastructures (ski de fond, biathlon, saut à ski, bobsleigh) et dans la construction de sites moins coûteux à Québec comme un anneau de glace recouvert. Une discipline comme le sprint en ski de fond pourrait même se tenir devant le Parlement comme ce fut le cas en décembre 2012. Les images et la mise en valeur de Québec seraient spectaculaires. Le reste des disciplines (ski de fond, biathlon, snowboard, slalom, ski acrobatique) pourraient se tenir au Mont-Sainte-Anne et au Massif de Charlevoix.
Du côté de Montréal, le Centre Bell et le Stade olympique existent déjà. Québec aura d’ici peu un amphithéâtre de classe mondiale pour le hockey et dispose déjà de sites (Pavillon de la jeunesse, PEPS) pour le patinage courte piste et le curling. Le site d’Expo Cité pourrait constituer le camp de base avec des installations pouvant accueillir le Centre des médias (Centre de foires), les installations pour l’accréditation et les autres fonctions administratives et servir d’agora pour les rassemblements d’athlètes et de spectateurs. Quant au Village olympique, on retrouve à un jet de pierre du site d’Expo Cité, un immense terrain sous-utilisé au nord-ouest de l’axe de l’autoroute Laurentienne et de l’avenue Soumande.
On ne peut aborder le coût des jeux sans parler des déboursés de plus en plus importants exigés pour la sécurité. Ici encore, une candidature mixte Canada / USA viendrait réduire de beaucoup les dépenses puisque celles-ci seraient assumées par deux pays au lieu d’un seul.
Et au chapitre des revenus
Sur la base de ce que nous venons de présenter comme plan de match pour la tenue de Jeux olympiques d’hiver en utilisant au maximum les infrastructures existantes, jetons un regard à l’autre colonne du cadre financier, les revenus. Ceux-ci proviennent essentiellement de quatre sources. En ordre d’importance : les droits de télédiffusion, la billetterie, la vente de la monnaie et des timbres olympiques et les commandites. Les droits de télédiffusion ont connu une progression phénoménale au cours des deux dernières décennies mais il faut dire que ceux-ci comprennent maintenant toutes les plateformes de diffusion, qu’elles soient traditionnelles ou en ligne. Le réseau américain NBC a payé pour les jeux olympiques de Sotchi, de Rio, de PyeongChang (hiver) et de Tokio (été), la rondelette somme de 4,38 milliards de dollars américains. On peut donc, sans se tromper, affirmer que ces droits, pour les prochains jeux d’hiver qui se tiendront en Corée, seront de près de 1 milliard de dollars. Et il ne s’agit là que d’un seul marché, fut-il important. Pour apprécier la valeur que représenterait la tenue de jeux au Québec et à Lake Placid, il importe de souligner que le décalage horaire entre la Corée du sud et les États-Unis est de plus ou moins 12 heures. Donc, les amateurs américains, s’ils veulent suivre en direct les performances de leurs athlètes, devront passer des nuits blanches. Avec des jeux qui se tiendraient au Québec et dans le nord de l’état de New York, l’ensemble des Américains pourraient regarder les compétitions avec un décalage d’au plus trois heures, ce qui augmente d’autant la valeur et les revenus des droits de télédiffusion. Et en tenant compte des seuls droits payés par le télédiffuseur américain, il n’est pas difficile d’imaginer ce que seront les revenus générés par les droits de retransmission des jeux pour l’ensemble des marchés, de l’Europe à la Chine en passant par les marchés moins importants comme l’Océanie et l’Amérique du sud. À ces revenus, il faut ajouter toutes les autres sources dont la billetterie et les commandites.
Et les retombées en terme de visibilité
Les différents analystes s’entendent pour dire que plus une ville hôtesse jouit d’une grande notoriété avant la tenue des jeux, moins les impacts en terme de visibilité seront importants. Ainsi, Londres ou Rio, qui jouissaient d’une grande renommée avant la tenue des jeux, ont profité et profiteront moins des retombées en matière de visibilité que ne l’a fait Lillhammer ou que ne le fera PyeongChang. Le Québec, malgré la qualité de son offre touristique, a beaucoup à gagner en terme de notoriété comme destination. Ceci nous emmène à questionner la pertinence de diviser cette notoriété entre trois destinations distinctes. Les voyageurs internationaux limitent rarement leurs voyages à une seule ville. Comme le font les Québécois qui voyagent en Europe, ils en profiteront, une fois inspirés par les villes où se dérouleront ces olympiades, pour mettre dans leur liste de projets de voyage, la grande région touristique du nord-est américain, incluant le Québec. Et de Québec, Montréal et Lake Placid, quelles sont les villes qui sauront dégager une impression forte et distinctive. La réponse est on ne peut plus simple : dans l’ordre, Québec, Montréal et Lake Placid. L’effet de levier de jeux olympiques au Québec est donc indéniable d’autant plus que le gouvernement du Québec et son ministère du tourisme on fait une priorité du tourisme hivernal.
Des infrastructures au service des populations et du développement économique
Sans tomber dans les excès de Sotchi, la tenue de Jeux olympiques est une opportunité unique pour doter des villes et des territoires d’infrastructures de transport qui contribueront pendant des années à leur développement économique. La construction du lien ferroviaire entre l’aéroport de Vancouver et le centre ville constitue un gain des plus appréciables pour ses citoyens de Vancouver et un service de premier plan pour les touristes qui visitent la ville. Québec, Montréal et Lake Placid jouissent déjà de liens routiers suffisamment performants. La tenue de jeux olympiques serait par contre le prétexte idéal pour développer un lien ferroviaire rapide dans le corridor Québec-Windsor, définitivement l’un des corridors avec le plus grand potentiel pour ce genre de lien. Et l’expérience française a démontré hors de tout doute qu’un TGV avait des impacts significatifs sur le développement économique de capitales régionales comme Marseille ou Nantes.
Pourquoi jeter le bébé avec l’eau du bain
Ce qu’on entend couramment depuis les jeux de Sotchi, c’est que les coûts des jeux sont dorénavant hors de portée de la plupart des villes et pays hôtes. On a tort de s’en remettre au bilan des dernières olympiades pour tirer un tel constat. Sotchi, avec ses dérives et ses jeux tenus sous les palmiers, combiné au retrait des candidatures de Stockholm, d’Oslo, de Cracovie et de Lviv pour l’obtention des jeux d’hiver de 2022, ont emmené le Comité international olympique à revoir ses règles. C’est là une opportunité unique pour Québec et le Québec de démontrer notre culture de l’hiver, notre sens de l’innovation et profiter de l’exceptionnelle visibilité que procurent les jeux olympiques.
Source : Daniel Gagnon, Toutazimut communications stratégiques
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