La Manhattan des sables
C’est un ancien village de pêcheurs de perles que la fièvre pétrolière a transformé en métropole futuriste. C’est aussi la capitale d’un État islamique rigoriste, qui veut devenir un leader mondial du tourisme, de l’art et de la culture. Abu Dhabi est-elle un rêve… ou un mirage ?
Ça y est, je vois double. Tout comme les mirages jouent des tours aux explorateurs du désert, Abu Dhabi me fait halluciner. Je vois constamment… deux villes !
C’est peut-être la chaleur. Ce Manhattan des sables me semble parfois un cauchemar de science-fiction, une ville obsédée par la sécurité, ses résidants fuyant dans des voitures climatisées ou derrière les portes de verre de gratte-ciels aveuglants, à l’ombre menaçante de la Cour de la charia, cet immense bâtiment à l’architecture stalinienne, massive et pompeuse, devant lequel les touristes écarquillent les yeux.
Et puis au coin d’une rue, à l’ombre d’un auvent, des conversations multilingues, des éclats de rire, des habits multicolores, et une autre ville m’apparaît : îlot de coexistence multiraciale, foyer d’accueil de travailleurs venus d’Europe, d’Asie, d’Afrique, d’Amérique.
Abu Dhabi, ville de 620 000 habitants, capitale de l’émirat du même nom — le plus grand des sept qui forment les Émirats arabes unis —, c’est aussi 88 % de travailleurs étrangers ! La ville vibre au rythme de cette majorité bigarrée et souriante, hospitalière et besogneuse. Ils sont philippins, népalais, bangladais, pakistanais, chinois, ougandais, nigériens. En jean, tailleur, complet ou sari, ils conduisent les bus et les taxis, bâtissent des tours rutilantes dans une chaleur de fournaise, servent dans les restaurants, sont d’une gentillesse folle avec les visiteurs, comme pour faire oublier la froideur de leurs hôtes.
Les Abudhabiens, eux, sont une minorité distante et très visible à la fois, flottant dans leurs dishdashas blanches impeccablement repassées (les hommes) et leurs élégantes abayas noires (les femmes).
Tout comme eux, leur État est un contraste permanent. Il dit vouloir devenir un leader mondial de la culture, mais il contraint vigoureusement les libertés individuelles. Il dépense plus d’un milliard d’euros pour se doter de son propre Louvre, inauguré en grande pompe en novembre 2017 par le président de la France, Emmanuel Macron, et le prince héritier, le cheik Mohammed ben Zayed al-Nahyane… mais il peine à en finir avec la discrimination sexuelle.
Source: L'Actualité
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