«Il faut investir plus d’efforts pour obtenir une qualité de services à la hauteur de notre statut»
Entrevue exclusive avec Alain April, propriétaire du Bonne Entente, gestionnaire d’Entourage sur-le-Lac, dans la région de Québec, et partenaire d’Horwath Gestion.
J’ai rencontré Alain, la semaine dernière, avant son départ pour l’Arizona à un congrès touristique, The Lodging Conference. Homme d’expérience issu d’une tradition familiale de l’accueil et reconnu pour son franc-parler, voici ses réflexions en cette période de relance.
1. Relance touristique?
AA : « On s’est endetté depuis le début de la pandémie, il faut assumer nos dettes, maintenant… Et il faut changer nos façons de mesurer la performance en hôtellerie : ce n’est pas le taux d’occupation qui compte, même si ça paraît bien, mais le revenu par chambre. En regardant sur le réseau de distribution cette semaine, on voit déjà le retour de la tendance à la baisse du prix par nuitée!!! C’est incroyable, on gère le court terme plutôt qu’une vision à long terme.
Je prévois un retour à 2019 l’année prochaine, en ce qui concerne le chiffre d’affaires, grâce à la hausse des prix, mais le taux d’occupation, lui, ne sera pas là. Tout comme la chaîne Accord, je suis d’accord qu’en ce qui concerne le secteur des réunions et congrès, on aura perdu définitivement de 15% à 20% de ce marché qui ne reviendra pas à cause des entreprises qui se sont rendu compte que tous les déplacements en présentiel n’étaient pas nécessaires, sans compter l’importance maintenant de ta responsabilité environnementale comme entreprise.
Par ailleurs, il n’y a pas un seul hôtelier actuellement qui donne un service impeccable. La cause principale, à part la rareté de la main-d’œuvre, c’est l’inexpérience des nouveaux employés. Et un employé performant en tourisme possède le savoir-vivre et le savoir-être… »
2. Les ressources humaines ?
AA : « Je le disais en 2018, il faut que ça passe par l’immigration, car les Québécois ne veulent pas se faire suer dans l’entretien ou les cuisines, sauf les serveurs, car c’est très payant. Le monde agricole l’a réalisé depuis longtemps. Mais il faut que les gouvernements bougent à cet effet pour notre secteur.
Il est probable que la technologie va diminuer les besoins en RH. Plus dans les 3*** que dans les établissements 4**** ou 5***** — même si on a perdu nos étoiles de classification maintenant au Québec, ceci dit en passant. Nous sommes des entreprises de services, les clients veulent renouer avec des humains, on le voit bien actuellement avec les centres commerciaux malgré la forte popularité du commerce électronique durant la COVID. »
JMP : N’a-t-on pas, comme entreprise, une part de responsabilité dans la rareté de la main-d’œuvre en tourisme, alors que les conditions d’emplois pour certaines tâches sont à bonifier?
AA : « Oui, on peut s’améliorer, mais on compétitionne avec des emplois maintenant bien rémunérés comme en garderies ou dans le système de santé. Il faut qu’on vende le plaisir de travailler en tourisme par rapport à d’autres secteurs, car il nous sera difficile de compétitionner le 25$/h des préposés en soins de santé, mais travailler en tourisme, c’est beaucoup plus stimulant et agréable, même à 21$/h... »
3. Quel autre enjeu, à ton avis, dans ton secteur?
AA : « Construire de nouveaux hôtels est rendu très dispendieux, vaut mieux restaurer, si possible. Ainsi, en 2019, pour un 3*** il en coûtait 108 K$/unité alors que c’est 150 k$ maintenant ; pour un 4****, c’est passé de 150 k$ à 200 k$ par unité… Une des conséquences, ce sera la baisse des superficies construites. De plus, accéder à des subventions, on oublie ça, et des sources de prêts raisonnables, c’est très limité. Bref, il faut avoir les reins solides. »
4. On voit que «faire les chambres» tous les jours a été abandonné par de nombreux hôteliers. Crois-tu que ça va et devrait demeurer ainsi?
AA : « Oui, tout à fait. Justement, au Lodging Conference auquel je viens d’assister, la question a été abordée et oui, c’est là pour rester, mais tout est dans la façon de le communiquer au client afin de ne pas le décevoir. Il y aura un juste milieu entre le faire et ne pas le faire. »
5. En terminant, des conseils Alain pour le secteur de l’hôtellerie?
AA :
- « Que les DG en hébergement ne reviennent pas dans leur gestion en priorisant les taux d’occupation pour bien paraître. Ce n’est pas le % d’occupation qui amène la rentabilité. Nous ne sommes plus dans le «yield managment» comme avant. Ce faisant, on va mieux respecter nos clients qui ne comprennent pas autant d’écarts de prix pour un même service.
- Qu’on arrête de suivre les modes passantes. Rappelons-nous les débuts de la COVID, où il fallait transformer nos chambres en bureau et nos quelques espaces de réunion en studios; qu’en est-il aujourd’hui? Écoutez vos clients. Cela a toujours été et l’est encore aujourd’hui. Tu ne peux pas être un établissement généraliste qui plaît avec la même formule à tous tes clients. »
JMP : Merci Alain pour le partage de tes idées. Tu nous reviens avec les tendances en hôtellerie suite à ton congrès cette semaine afin de départager entre ce qui sera des modes, comme tu le dis, et des changements durables?
AA : « Avec plaisir. »
Entrevue réalisée par Jean-Michel Perron
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