Une révision du modèle d’affaires qui passe par une mise en marché performante

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Jean-Michel PerronJean-Michel Perron de la firme Conseils & Stratégies PAR, répond à la demande de la ministre du Tourisme, faite aux acteurs de l’industrie, de transmettre leurs suggestions pour améliorer le modèle d’affaires du tourisme. Jean-Michel nous a permis de publier la lettre qu’il a fait parvenir à la ministre Vien. Il s’agit d’une proposition étoffée qui repose sur quatre éléments pour rendre la mise en marché du Québec plus performante : l’imputabilité, la recherche appliquée, se démarquer et l’accessibilité.
 



Voici la lettre de Jean-Michel Perron

Rawdon, le 28 octobre 2014

Mme Dominique Vien
Ministre du Tourisme

Madame,

Suite à votre invitation à vous faire parvenir des idées créatrices pour permettre au Québec de mieux performer en tourisme, veuillez trouver ci-après des recommandations en ce qui concerne spécifiquement notre mise en marché.

Mais permettez-moi de récapituler mes quelques interventions passées afin de vous démontrer ma foi dans notre industrie et dans votre démarche malgré que notre secteur n’apprenne pas de ses erreurs et résiste au changement par un corporatisme souvent trop étroit:

  1. En avril 2007, j’étais le premier au Québec à sonner l’alarme sur la baisse dramatique de notre performance en tourisme en publiant « Les Américains abandonnent le Québec » sur TourismExpress;
  2. Les contenus de ce texte furent d’ailleurs repris à deux émissions au Point de Radio-Canada en 2007;
  3. J’intervenais aux Assises du Tourisme au printemps 2008 sur le sujet pour secouer nos leaders, mais sans succès;
  4. Après avoir réalisé pour le Conseil Québécois de l’Industrie Touristique (aujourd’hui AQIT) à l’automne 2009 un diagnostic du tourisme au Québec, une de mes principales recommandations fut la création d’un comité d’orientation devant livrer un rapport dans les 6 mois;
  5. Ce fut fait avec le Comité performance de l’industrie touristique (malgré qu’on m’en écarta par la suite, je présume à cause des mes opinions trop directes et trop peu politiquement correctes) et déboucha sur le Plan de développement de l’industrie touristique 2012-2020. La journée de la sortie des recommandations du Comité performance, je fis parvenir un courriel à Tourisme Québec soulignant que trop d’emphases étaient mises sur le développement du produit et trop peu sur le marketing alors que nos PME actuelles ont besoin d’impacts positifs à court terme.


Encore aujourd’hui, je constate avec le même étonnement que notre industrie piétine et la mise en place du plan de développement touristique est au mieux retardée…

Comment voulez-vous intéresser des entreprises ou des entrepreneurs à investir en tourisme avec les faibles rendements offerts actuellement, faute d’achalandage élevé ? Et le syndrome du « Build it and they will come » nous guette. L’approche depuis quelques années qui met l’accent principalement sur le développement de l’offre est une erreur stratégique. Certes, le développement des produits touristiques et leur mise à jour régulière sont la base mais insuffisants, si en parallèle, la mise en marché n’est pas optimisée. De plus, nous n’avons pas un problème de fonds disponibles mais de saupoudrage de ces fonds en marketing. Je ne m’attarderai donc pas ici à l’importance d’un développement du produit qui se doit d’être efficace et permette mieux au Québec de se distinguer et d’offrir des expériences de qualité (lire à cet effet et ci-joints des articles que j’ai publiés sur TourismExpress en avril dernier sur des bonifications suggérées pour « le plan hiver » et pour le « plan Saint-Laurent »).

Mettons plutôt l’emphase sur l’urgence d’être plus performants en mise en marché afin d’obtenir des résultats à court et moyen terme, car nous offrons déjà des expériences touristiques de qualité et innovantes.

Quatre éléments devraient alors être considérés : l’imputabilité; la recherche appliquée; se démarquer et l’accessibilité

  1. Force de frappe & imputabilité
    Le 13 mars 2014, j’assistai à une intéressante présentation de Mme Suzanne Giguère de votre ministère et portant sur le Plan de développement. On y apprenait que 57M$ était investis sur les marchés hors Québec par les ATR, TQ et les ATS sans compter d’autres investissements privés, les efforts de la CCT et les millions sur le marché intra-Québec.

    Tant que les personnes et les organismes qui font la promotion du Québec au Québec et sur le hors Québec ne sont pas imputables, il n’y aura pas de rendement sur chaque dollar investi en mise en marché. C’est la condition de base pour atteindre nos objectifs. L’imputabilité force l’innovation et les réactions rapides pour effectuer les ajustements requis dans nos actions. Et cessons de mettre l’accent uniquement sur des campagnes et des activités de « notoriété » par opposition à des activités de « call to action » afin d’engager efficacement les touristes potentiels à réserver.

    À cet effet, sur les marchés hors Québec, tous les fonds de mise en marché provenant de TQ, des ATR et des ATS bonifiés par des contributions de DEC et d’autres ministères ou organismes publics (ex : Québec Maritime) devraient être déposés à 100% dans une nouvelle agence indépendante de marketing (Groupe d’intervention tactique en tourisme | GITT) composé des meilleures expertises publiques et privées, salariés imputables avec un CA public-privé indépendant dont l’obsession partagée sera l’atteinte des objectifs de retombées directes s’alignant sur la moyenne de croissance mondiale. Bref, une approche d’affaires, comme cela doit être, qui utilisera nos produits d’appel pour créer un effet de levier bénéfique à de multiples régions. Les actions marketing des Centres de Congrès de Montréal et de Québec seraient en partie communes tout en poursuivant des approches individuelles.

    Croire que Tourisme Québec, les ATR ou les ATS peuvent mieux performer en marketing, sous le modèle actuel, relève de la pensée magique, car les 15 dernières années, depuis l’application de la taxe sur l’hébergement, ont prouvé le contraire. Cette agence marketing superviserait et prioriserait également le travail de Destination Québec.

    Pour le marché intra-Québec, il y a autant de croissance à aller y puiser même s’il ne s’agit pas ici « d’argent neuf », mais plutôt de redresser notre balance touristique négative. Est-il nécessaire de rappeler que les Québécois sont d’ailleurs plus nombreux, au fil des ans, à avoir fait au moins un voyage à l’extérieur du pays. Ce nombre est passé de 1 251 000 lors de l’enquête 2003 à 1 399 000 en 2006 pour atteindre 2 453 000 en 2009, une augmentation globale de 96% selon un sondage annuel PMB ! Tout comme pour les Américains, nous devons mieux séduire les Québécois afin qu’ils redécouvrent leur Québec. Pour ce faire, cessons l’éclatement inefficace de 22 régions touristiques qui les sollicitent. Là aussi, des actions marketing communes incluant des promotions et un programme fiscal « vacances », couvrant l’ensemble des régions du Québec, doivent être entreprises par le GITT mais au lieu de 100% des fonds sur l’intraQuébec, un 50% commun serait justifié laissant ainsi tout de même la place à de la compétition entre les régions auprès des clientèles de proximité.

    En plus de notre marché intérieur du Québec qui a un fort potentiel de croissance, le ROC (Ontario principalement) et les États-Unis sont nos marchés prioritaires suivis de l’Europe dont principalement la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Pour les marchés émergents, on devrait se concentrer sur le Mexique et le Brésil, car nous pouvons nous distinguer sur ces deux marchés, plus facilement que pour la Chine, l’Inde ou la Russie.

     
  2. La recherche appliquée
    Pour que la nouvelle agence puisse appuyer ces actions sur une connaissance à jour de ses marchés et clients cibles, il importe de se doter de données récentes et complètes. Cessons de valider les « intentions » des touristes potentiels, car entre les intentions et la réalité, trop de facteurs extérieurs viennent influencer leur comportement réel et mettons plutôt l’emphase sur une connaissance pointue des touristes qui séjournent déjà au Québec afin de comprendre finement leurs cheminements décisionnels, leur satisfaction et les éléments d’expérience à bonifier pour ainsi mieux cibler leurs concitoyens qui ne viennent pas encore au Québec et mieux supporter notre développement de produits. Je porte personnellement peu d’importance aux perceptions et aux intentions des Américains (Canada = valeur, gentillesse, nature) qui n’ont pas encore séjourné au Québec, car la compétition est tellement forte en tourisme qu’ils peuvent très bien percevoir une autre destination plus amicale, représentant un meilleur rapport qualité/prix ou avec des paysages plus spectaculaires que le Canada combiné avec un accès plus facile à la réservation et ils iront ainsi ailleurs…ce qu’ils font déjà.

    Il faut savoir également analyser et se servir de données factuelles existantes. Ainsi les données de 2012 du « US Department of Commerce » nous apprennent que les voyageurs d’agrément américains vers l’international :


    a. Décident d’une destination 90 jours avant leur départ;
    b. S’informent à 51% sur les sites Web des compagnies aériennes, à 34% auprès des agences sur le Web; 21% auprès des agences traditionnelles et 21% auprès de parents et amis;
    c. 38% réservent leurs vols directement auprès de la compagnie aérienne et ensuite à 31% auprès des agences Web (OTA)…
    d. 13% achètent des forfaits (d’où l’importance majeure de pouvoir offrir sur le Web à ces Américains de pouvoir créer leurs forfaits dynamiques)

    C’est un exemple concret de données qui devront éclairer nos actions en mise en marché (ex : on fait des campagnes aux E.U. en tourisme d’agrément avec les compagnies aériennes partenaires du Québec de 120 à 70 jours avant mai à septembre).

    En recherche, créons un comité conjoint Tourisme Québec/universités qui réponde aux commandes du GITT.

    Afin de bonifier l’offre, des recherches appliquées sur nos principaux enjeux de développement et de qualité des expériences offertes devraient être effectuées.

     
  3. Se démarquer et créer une alliance nordique
    Le principal défi sur nos marchés prioritaires (incluant le Québec) est de convaincre des touristes potentiels (incluant la clientèle de congrès) que le Québec est exotique, différent et peut répondre à leurs besoins/désirs fondamentaux (sécurité, excellent rapport qualité/prix, grande nature de qualité, bonne bouffe et produits locaux, gens accueillants et sympathiques, patrimoine et culture unique, dépaysement garanti). Il faut modifier les perceptions et confirmer notre image de marque. Il faut, comme n’importe quelle entreprise, faire ressortir notre valeur ajoutée, en quoi nous sommes différents. Et le faire par des actions marketing innovantes qui devancent les tendances mondiales. Et même si le positionnement/image de marque « Québec original » peut répondre en partie à ce manque perçu d’exotisme du Québec, encore faut-il livrer des expériences vraiment originales sur le terrain d’où la nécessité de faire mieux ressortir nos véritables éléments d’unicité. Il faut donc trouver et tester les façons de faire pour « allumer/bien servir » en priorité les Américains dans les étapes de sélection d’une destination vacances, ensuite dans celle de planification et enfin celle de la réservation par une personnalisation des approches. Il ne sert absolument à rien de payer plus de pub, d’acheter des mots clés, faire plus de salons ou de relations de presse aux É.-U. et ailleurs dans le monde tant qu’on ne parviendra pas à changer cette perception du manque d’originalité.

    L’utilisation des médias de masse demeure performante, mais uniquement avec des budgets majeurs, car comme vous le savez, il en coûte plus cher aujourd’hui pour rejoindre à la télé, à la radio ou dans les imprimés le même nombre de clients cibles. L’exemple de mise en marché du train canadien Rocky Mountaineer qui vise un même et large segment de clientèles, principalement américain (babyboomers amateurs de paysages et d’attraits divers) est éloquent à cet effet. Cette approche est appropriée pour des produits « généralistes » tels qu’un autotour Québec-Montréal-Charlevoix, mais autrement, nous devons, comme pour un festival particulier de Montréal, utiliser des médias plus ciblés.

    L’utilisation d’un(e) porte-parole américain très crédible pour nos profils cibles, présenté en vidéos pratiquant des activités et racontant ses histoires d’expériences québécoises uniques, devrait être considéré dans la mise en marché aux États-Unis.

    Nous devons mettre l’emphase sur nos produits de masse/niche d’agrément qui nous démarquent et qui commandent chacun des approches marketing différentes.

    Produits de masse distinctifs

    Montréal, ville festive
    - Québec, ville fortifiée romantique
    Croisières sur le Saint-Laurent
    - Autotours du Québec (dont le Tour de la Gaspésie)
    - Agrotourisme (dont les fromages et les bières)

    Exemples de produits de niche distinctifs et exportables
    - Tourisme autochtone
    - Pêche aux poissons-trophées
    - Motoneige
    - Gastronomie nordique (incluant cueillette de PFNL)
    - Safaris-observation de mammifères (baleines, caribous, cerfs, blanchons, etc.)

    Le tout en contact avec les Québécois et Québécoises qui viennent bonifier, avec notre culture distincte, la qualité de chacune de ces expériences.

    Montréal et Québec à titre de portes d’entrée et de produits « d’appel » devront servir à convaincre les visiteurs de découvrir d’autres secteurs/régions moins connus, mais à proximité.

    Toutes les destinations nordiques (comme le Québec incluant Montréal, sa porte d’entrée principale) souffrent de l’attrait du tourisme de masse qui se concentre l’été aux États-Unis pour l’Amérique du Nord et en Europe centrale pour les pays scandinaves. Autant le Québec et que les pays scandinaves performent mal actuellement l’été dans ce contexte. Une alliance concertée du tourisme nordique comme alternative au tourisme de masse centralisé au cœur des continents devrait être conçue en partenariat avec la Scandinavie, le Canada et l’Alaska. Avec le réchauffement climatique, les destinations nordiques vont devenir dans les deux sens du terme, rafraîchissantes. Le Québec pourrait devenir l’instigateur de cette nouvelle approche marketing mondiale.


     
  4. L’accessibilité
    L’accessibilité pour un touriste, ça implique :

    De pouvoir se connecter rapidement à l’offre. L’offre touristique du Québec doit se présenter aux clients potentiels cibles là où ils se trouvent (ordinateur, magazine, téléphone intelligent, etc; - avant, pendant et après le voyage - ), quand il le souhaite (stratégies « pull/push » aux étapes de sélection, planification et réservation) et sous le format qu’il le souhaite - commentaires de parents/amis, suggestions d’internautes, moteurs de recherche, vidéos, publicité, articles de presse, sites collaboratifs (Uber, Airbnb, etc.), etc.

    De forfaitiser la destination et cesser de ne faire que du positionnement. Même si on attire l’attention des clients potentiels, ce n’est pas assez, il faut qu’ils passent à l’acte de réservation. Nos clients potentiels n’ont pas de temps à perdre à tenter de créer manuellement leurs forfaits ou à ajouter un billet d’avion avec une activité cible…l’offre doit être accessible et complète non seulement chez les réceptifs, les TO et agences de voyages, mais dans les OTA (agences en ligne, telles qu’Expédia) et dans les médias sociaux. Autant par des forfaits classiques que par des forfaits dynamiques où le client compose lui-même son voyage en additionnant facilement les différents services et activités.

    La notion de valeur et l’accès aérien vers et au Québec. Pour rendre accessible le Québec, faut que l’Américain, le Canadien ou l’Européen obtienne un excellent rapport qualité/prix avec du choix de dates et de forfaits. Avec les principaux transporteurs réguliers et nolisés internationaux vers le Québec, il faut mieux rendre disponible le Québec et faire des promotions performantes « clé en main » qui démontrent que le Québec est accessible même à la dernière minute et facilement réservable.

    Il faut pouvoir offrir aux clientèles arrivant par avion à Montréal ou Québec, des formules flexibles et à grande valeur pour circuler à l’intra Québec en avion et/ou par train et/ou par autocar en développant une formule flexible, simple et efficace de transport en 2, 3 ou 4 semaines intermodale et multi compagnies aériennes, autocars régionaux et trains.

     

Mme Vien, je vous souhaite d’avoir le courage d’une telle réforme. Vous marqueriez ainsi positivement la petite histoire de notre tourisme et gagneriez l’admiration de milliers de PME au Québec. 

Sincèrement,
Jean-Michel Perron
Conseiller en tourisme
p.j.

Jean-Michel Perron a été depuis 1974 impliqué dans le secteur touristique à différents niveaux : guide et guide-accompagnateur ayant fait découvrir à des milliers de touristes toutes les provinces canadiennes, la plupart des états Américains et pays européens ; comme directeur chez Exploratours de Québec et propriétaire de Kilomètre Voyages, grossistes en voyages, il a développé le tourisme sur plusieurs nouvelles destinations (Baie-James, Labrador, Anticosti, Gaspésie, etc.) en innovant autant pour les voyageurs québécois que pour les touristes européens en visite au Québec; à titre de directeur-général, il a participé à la conception du système BonjourQuébec.com, l’un des sites portails de destination parmi les plus performants au monde; à titre de directeur de Tours Innu, il a participé au développement des produits touristiques autochtones des 11 nations du Québec et à leur commercialisation en Europe; à titre de directeur de Tourisme Lanaudière, il a suscité une mobilisation régionale d’envergure autour du tourisme et enfin à titre de vice-président exécutif de Groupe Le Massif dans Charlevoix, il a mené à terme l’élaboration d’un projet touristique innovateur et structurant pour toute une région. Consultant depuis 2006 avec sa firme PAR Conseils (Pour l’Avenir des Régions), il réalise actuellement des mandats d’accompagnement, des plans de développement et de marketing et des études d’impacts dans différentes régions du Québec tout en accompagnant, à titre d’expert-conseil, la Table de concertation en tourisme autochtone depuis 6 mois.

 



Au moment d’envoyer vos suggestions et commentaires à la ministre Vien, via l’adresse courriel spécifique du ministère pour recueillir vos avis, soir le revision_modele_affaire@tourisme.gouv.qc.ca, n’hésitez pas à imiter Jean-Michel et à nous faire parvenir vos suggestions afin de partager celles-ci avec l’ensemble de la communauté touristique via l’adresse : louisrome@tourismexpress.com.

À lire et à commenter pour contribuer au débat sur la révision de notre modèle d’affaires.

Louis Rome
​louisrome@tourismexpress.com
Rédacteur en chef