Quand tout devient une expérience...
Si toutes les organisations font la promotion d’expériences et que tout est devenu une expérience, comment se différencier des autres ?
Lors du Global Outlook Forum, qui s’est tenu à l’été 2018, ainsi que dans une publication, la firme de veille stratégique Skift a présenté une analyse de l’économie de l’expérience dans l’industrie touristique. Elle y a dressé quelques constats et lancé des pistes de réflexion.
Depuis plusieurs années, les organisations touristiques tentent d’appliquer le modèle de la chaîne de création de valeur de l’économie de l’expérience, développée par Joseph Pines et James Gilmore dans les années 1990. Toutes se sont mises à vendre des services de base, tels que les chambres d’hôtel ou les transports, comme s’il s’agissait d’expériences qui feront vivre des émotions au consommateur. Cela peut bien sûr se produire, mais il s’agit pourtant de services et ce n’est pas en les nommant « expériences » que ceux-ci en deviennent nécessairement.
La surutilisation du concept d’expérience pose deux principaux problèmes :
- Du point de vue du marketing, l’omniprésence de l’expression lui enlève pratiquement tout effet. Les propositions d’expériences, trop souvent semblables et noyées dans une mer d’images Instagram, deviennent des clichés et se démarquent rarement. Denis Genevois (Cogiteur) exprime et illustre clairement ce problème sur le blogue etourisme.info.
- Du point de vue de l’offre de produits et de services, tous ceux-ci prennent l’appellation d’«expérience» (évidemment positive), mais plusieurs ne sont pas à la hauteur et déçoivent. Des enjeux et des problèmes concernant différents secteurs du voyage se posent avec plus d’acuité avec les années. Fermer les yeux ou tenter de créer une « expérience » avec des ajouts à l’offre de service n’améliore en fait aucunement une situation problématique.
Un vol en classe économique n’est pas nécessairement l’expérience de confort et de bien-être véhiculée par l’entreprise, ni une chambre standard dans un hôtel traditionnel. À force de proposer ce type de produits comme une expérience, l’industrie nuit à sa crédibilité.
Les consommateurs ont pourtant, plus que jamais, soif de moments mémorables et sont prêts à dépenser considérablement dans cette perspective. Ils veulent vivre des émotions et être amenés à voir le monde autrement.
Qu’est-ce qui conduira à l’économie « post-expérientielle », telle que la nomme Skift ? Commençons par trois ingrédients interdépendants et inséparables.
1. LA SÉRENDIPITÉ
Cette capacité, cet art de faire une découverte par hasard (selon Larousse) existe lorsque les voyageurs deviennent cocréateurs de leur expérience, plutôt que passifs et recevant les prestations pensées à l’avance pour eux. Les expériences ayant le plus d’impact arrivent lorsque l’on ne s’y attend pas.
La tendance est au tourisme transformationnel, mais cette transformation ne se prescrit pas et doit émaner du voyageur lui-même. Les organisations touristiques doivent donc créer les conditions facilitant les découvertes inattendues qui peuvent transformer un instant banal en une expérience inoubliable.
Certains voyagistes le comprennent et prévoient de plus en plus de temps libre dans les circuits. Du côté de l’hébergement, les plus avertis sont très ouverts sur leur environnement et ne tentent pas de garder le client entre les murs de l’hôtel en tout temps. On le guide plutôt vers les lieux et les expériences qui lui conviendront le mieux.
2. L’HUMANITÉ ET LA COMPASSION
Les émotions et les moments mémorables dans le cadre d’un voyage ou d’une excursion proviennent le plus souvent d’interactions humaines et culturelles. Pour vivre un tel moment, le voyageur doit être ouvert d’esprit, enclin à la compréhension et à l’humilité.
Cet état ne peut exister sans la satisfaction de ses besoins et sans place à l’improvisation durant son séjour.
Créer une expérience basée sur les interactions humaines était d’ailleurs le thème d’une présentation de Pierre Eloy (Touristic et Agitateurs de destinations numériques) et de Sophie Moreau (Office de tourisme du pays d’Ancenis), organisée par la Chaire de tourisme en 2017. Lire aussi Le b.a.-ba d’une expérience réussie.
3. UNE AMÉLIORATION DU PRODUIT DE BASE
La sérendipité et les moments mémorables deviennent presque impossibles si la prestation de base n’est pas solide et réussie. Si le voyageur porte toujours son attention sur la satisfaction de ses attentes de base, il ne pourra pas s’ouvrir à des moments inattendus.
Favoriser le terrain fertile aux réelles expériences nécessite donc de contrôler tous les points de friction de sa prestation et d’offrir un service impeccable. Il est vital pour les organisations touristiques d’analyser attentivement leur offre et de repérer les ratés qui affectent l’expérience des voyageurs. De là, elles pourront corriger le tir et innover.
Source:
Par Maïthé Levasseur
Réseau de veille en tourisme, Chaire de tourisme Transat
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