Pour une certification en tourisme durable, par Jean-Michel Perron
Une certification québécoise en tourisme durable est requise pour célébrer nos entreprises durables, mieux servir les voyageurs en quête d’expériences responsables et éviter l’écoblanchiment qui se répand rapidement.
Oui, oui, je sais, le processus pour s’engager vers la durabilité est plus important que d’obtenir son «diplôme», sa certification. Mais après un an de réflexions et de recherches, je suis maintenant convaincu que le Québec touristique manquerait l’occasion de se positionner sur l’échiquier des destinations internationales durables et responsables sans cette approche structurante et marketing.
Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions, comme vous le savez. Comment y voir clair? Imaginez le défi pour un voyageur qui souhaite s’assurer de faire affaire avec des services touristiques qui sont réellement durables!
À moins d’être un Claude Villeneuve[1], je vous mets au défi de prioriser (à part de réduire l’usage des produits/activités augmentant les GES ou de vouloir devenir «carboneutre»), qu’est-ce que vous devez faire en entreprise pour sauver la planète, comment intégrer l’économie circulaire en tourisme, comment devenir zéro déchet ou zéro plastique, comment savoir si tel produit ou équipement est durable? Etc.
Être durable et responsable n’est pas que simplement compenser pour les GES que tu émets. C’est une des actions possibles, mais agir ainsi constitue de l’aveuglement volontaire face à vos responsabilités de changer vos habitudes qui génèrent aussi de la pollution, des pertes de biodiversité et augmentent l’iniquité dans nos sociétés.
Le processus pour réaliser les actions durables les plus pertinentes à la réalité de votre entreprise exigera des efforts et du temps. Il faut sélectionner le meilleur outil pour vous accompagner. Et tant qu’à investir autant dans le processus, pourquoi ne pas être reconnu par une certification? Mais c’est là que ça se corse :
- Les touristes (comme tout autre consommateur) ne peuvent actuellement se fier à une seule certification pour être rassurés sur la durabilité du produit acheté. Il y a de multiples labels qui se font passer pour des certifications, et des certifications autant «amateures» que très professionnelles: Écocert, Clé Verte, Biosphère, ISO, CID, etc. Dans les prochaines années, il faudra rassurer nos voyageurs par des certifications crédibles et reconnues sinon, les PME qui feront de réels efforts seront mises au même niveau que celles qui achètent un label sans réelle valeur scientifique.
- Une certification qui n’exige pas un audit externe complet à la fin de votre processus d’accréditation n’est pas crédible. Point à la ligne. Actuellement, dans bien des cas ici au Québec, vous pouvez prétendre ce que vous voulez.
- Il faut développer des réseaux d’auditeurs indépendants pour chacune des certifications à recommander ici, au Québec, afin de diminuer les coûts pour les PME. Je vois actuellement l’utilisation de labels/certifications/programmes qui ne font qu’enrichir des OBNL/compagnies privées étrangères, ce qui est contre le principe même de l’achat local. La solution, avec des labels/certifications sectorielles de qualité (ex : GDS Index[2], Biosphère), est de développer des partenariats pour de l’accompagnement et de l’audit québécois, surtout que la réalité québécoise n’est pas celle de Londres ou de Madrid. Des solutions mur à mur appliquées partout sur la planète, ça ne fonctionne pas.
Et il faut impérativement contrecarrer l’écoblanchiment qui se répand (notez que j’évite ici volontairement de traiter de l’écoblanchiment en tourisme au Québec) :
- Que ce soit volontaire ou involontaire, prendre le raccourci de rendre son entreprise carboneutre[3] uniquement par une participation à un programme de compensation carbone[4] équivaut à se payer un droit de polluer.
- Calculer son empreinte carbone sur un vol Montréal/Paris afin de compenser en plantant des arbres peut varier du simple au double, selon l’outil de calcul de vos GES utilisé par le transporteur !
- «Avec l’augmentation du nombre de produits “verts”, on assiste à une recrudescence de déclarations environnementales fausses, trompeuses ou non fondées, ce qui est illégal au Canada » — Bureau de la concurrence du Canada, janvier 2022
- Selon une étude récente menée auprès de 25 entreprises, bon nombre des plus grandes entreprises du monde n’atteignent pas leurs propres objectifs en matière de lutte contre les changements climatiques. Elles exagèrent ou dénaturent régulièrement leurs progrès, selon le rapport du New Climate Institute. Google, Amazon, Ikea, Apple et Nestlé font partie de ceux qui ne changent pas assez rapidement, selon l’étude.
- Il faut utiliser 229 fois une paille en métal pour que son impact climatique soit plus faible que celui des pailles en plastique à usage unique[5].
- Construction de l’échangeur Turcot: le ministère des Transports du Québec avait promis d’être carboneutre avec, entre autres, la plantation de 300 000 arbres. Or, on apprenait la semaine dernière qu’ils avaient oublié de les faire planter…
- TerraCyle, compagnie américaine très présente au Québec qui se vante de recycler ce qui n’est pas recyclable, a fait brûler des plastiques provenant du Québec dans une cimenterie bulgare, divulguait La Presse le mois dernier.
Source : TerraCycle
Les certifications n’empêcheront pas l’écoblanchiment, mais pour les entreprises qui y adhèrent, elles seront outillées pour avoir l’esprit critique envers elles-mêmes et leurs fournisseurs.
Dans ce contexte, une nouvelle certification québécoise en tourisme durable est souhaitée. Une qui présente un «tronc commun» (reconnaissance des étapes complétées par chacune des organisations: engagement, sélection de l’outil «tableau de bord», diagnostic, plan d’action) pour tous les types d’entreprises touristiques, sur le modèle de «Sustainable Finland». Et comme le gouvernement finlandais l’a fait, que Tourisme Québec reconnaisse, en plus de la certification nationale de base, une dizaine des meilleures certifications généralistes ou sectorielles telles que Clé Verte pour les hôtels ou Biosphère pour l’ensemble des destinations et entreprises touristiques.
Une telle certification nationale et touristique pourrait être adoptée rapidement par les entreprises, si en mise en marché, les associations touristiques et l’Alliance mettent de l’avant les PMEs certifiées et si le MTO/DEC, par l’écoconditionnalité de leurs programmes de subventions, favoriseraient les entreprises touristiques certifiées. Nous ferions alors un grand bond en avant, comme aurait dit Mao.
Sans une certification nationale québécoise, je crois que les voyageurs ne s’y retrouveront pas dans le dédale de labels/certifications sectorielles qui se mettent en place. Si le Québec veut se démarquer en durabilité, il faut que nos visiteurs puissent eux-mêmes faire la différence entre la vraie durabilité et l’écoblanchiment.
Dans un monde de désinformation, alors que des opinions personnelles émises sur des médias sociaux se veulent équivalentes à la science, les certifications crédibles deviennent ainsi essentielles. Soyons sérieux dans notre transition durable. Il nous faut de la crédibilité, de la transparence et des organisations en tourisme qui rendent des comptes.
[1] Pionnier du développement durable québécois, titulaire de la Chaire en Écoconseil de l’UQÀC et président du Comité scientifique de Tourisme durable Québec.
[2] N’est pas une certification mais un outil de comparaison entre destinations, principalement européennes.
[3] Carboneutre : « Être carboneutre ne veut pas dire cesser d’émettre des gaz à effet de serre. “La carboneutralité est une opération comptable qui veut dire que le total des émissions est compensé par une réduction équivalente et documentée de ces émissions” — Claude Villeneuve, président du comité scientifique, Tourisme durable Québec.
[4] Programme de compensation carbone : La compensation volontaire des émissions de carbone est un processus conçu pour alléger l’impact des émissions de gaz à effet de serre qui résultent de l’utilisation de carburants fossiles en réduisant les émissions d’une autre source, telle que de planter des arbres et mesurer leur croissance.
[5] Shelie Miller, chercheuse en systèmes durables à l’Université du Michigan, 2021.
Jean-Michel Perron
Bénévole à Tourisme durable Québec
Conseiller chez PAR Conseils
Blogueur sur Tourte Voyageuse
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