Multicolore : faire danser les festivaliers pour combattre la saisonnalité, par Steven Ross

Festivals et événements · · Commenter

Multicolore donnait récemment le coup d’envoi à deux de ses événements-phares, le Piknic Electronik et le Village au Pied-du-Courant, qui font vibrer la métropole jusqu’au milieu de l’automne, en plus d’annoncer la naissance d’un tout nouveau festival musical pour septembre : Palomosa. Alors que la haute saison touristique semble le choix tout indiqué pour la tenue de marathons de danse extérieurs, Nicolas Cournoyer, de Multicolore, discute de la stratégie d’affaire de l’entreprise et de la pertinence touristique des intersaisons pour attirer les visiteurs.

Piknic Electronik 2023/Crédit: William Wachter

« L’idée de base du Piknic Electronik était d’investir une journée qui n’était pas tellement occupée. Le dimanche, il n’y avait rien à part les Tam-tams, lance d’entrée de jeu Nicolas Cournoyer, vice-président, affaires publiques et responsabilité sociétale, Multicolore. Du point de vue du booking, c’était avantageux aussi puisque les artistes ne sont généralement pas en concert cette journée-là. »

C’était en 2003, alors que la première édition du rendez-vous dominical des fans de musique électronique d’ici et d’ailleurs était sur le point de naître. 21 ans plus tard, les idéateurs de ce petit événement underground pilotent quatre festivals à Montréal, un à Québec et trois à l’international, soit à Melbourne, à Santiago et à São Paulo.   

Malgré la multiplication des festivals, le précepte de base reste toujours similaire: miser, entre autres, sur les moments clés de l’année qui sont non achalandés pour créer une offre inexistante : « Dès le début, nous étions dans une part de marché inoccupée avec le Piknic. Donc, quand l’idée d’Igloofest est née, c’était le même concept. Nous voulions investir un moment qui est moins occupé, mais qui comblait un besoin », explique Nicolas Cournoyer.

Force est de constater qu’appliquer la stratégie blue ocean à l’industrie festivalière était une idée judicieuse puisqu’après le Piknic Electronik, qui se tient de mai à octobre et Igloofest, en janvier et février, est venu le Village au Pied-du-Courant, du début juin à la fin septembre et maintenant Palomosa, du 5 au 7 septembre.

Aux yeux de Multicolore, le début de septembre offre une niche encore inexploitée pour l’industrie touristique et festivalière : la rentrée universitaire des étudiants du Québec et d’ailleurs. Le nouveau festival qui s’adresse tant aux fans de pop que d’électro, de hip-hop ou de RnB fera donc office de clôture estivale et de lancement automnal.

Pour le vice-président de la boîte de production, ce créneau comprend tous les ingrédients de la recette parfaite : « En septembre, il fait encore beau et chaud et Montréal est une ville universitaire internationale, donc l’idée est de créer le dernier festival de l’été et d’en faire l’événement de la rentrée. »

Selon Tourisme Montréal, l’arrivée du nouvel événement reconfirme la position de la métropole comme reine des festivals : « Palomosa vient consolider notre titre de ville festivalière! Montréal est reconnue pour ses nombreux événements qui se succèdent, ce nouveau venu ajoute donc une belle couleur à la diversité de l’offre », partage Aurélie de Blois, porte-parole de Tourisme Montréal.

Nicolas Cournoyer explique par ailleurs que le choix de miser sur l’unicité de chaque saison plutôt que de concentrer les événements au cœur de l’été procure un avantage concurrentiel pour la métropole : « le jeu des saisons fait une grande différence au niveau de la différenciation de Montréal. En exploitant cette distinction, nous pouvons générer un attrait intéressant. »

Aurélie de Blois abonde dans le même sens : « Montréal est une destination douze mois par année, notamment grâce aux événements comme Igloofest, en hiver et le Piknic Electronik et Palomosa en automne. C’est ce qui contribue à notre équilibre, explique la porte-parole. La dispersion des flux touristiques s’applique aux divers quartiers de la ville, mais elle s’applique aussi aux différentes saisons. Chacune a sa personnalité et ses richesses. »

La pertinence de positionner la métropole comme une destination de choix toute l’année se reflète notamment dans les diverses campagnes promotionnelles de Tourisme Montréal, qui sont déclinées différemment selon la saison : « Nous déployons des campagnes thématiques sur mesure selon les spécificités de saisons, explique Aurélie de Blois. La ville est très festive l’été, donc notre nouvelle campagne estivale invite les visiteurs à "Libérez le fun en eux", alors que lors de la dernière saison froide, on conviait les touristes à vivre "L’hiver comme nulle part ailleurs". »

Les festivals hebdomadaires qui s’échelonnent sur plusieurs semaines avant ou après l’été ont également pour avantage de contrer la saisonnalité des emplois et la perte de l’expertise par l’employeur : « Une équipe permanente à l’année nous permet de fournir des emplois à temps plein tout en conservant l’expertise de nos équipes à l’interne », confie Nicolas Cournoyer. 

Par ailleurs, selon la vision de l’organisateur, le nouvel ajout au calendrier montréalais n’arrive pas en compétition avec l’offre touristique montréalaise très dense, mais bien en complémentarité avec elle : « Nous faisons le pari de mobiliser la force étudiante. Ce ne sera donc pas la même clientèle que l’été. C’est une niche et une vibe différentes. »

Le développement d’expériences uniques, qui ont une signature montréalaise distincte et que les résidents ont envie de s’approprier, est un autre critère de succès pour attirer les visiteurs internationaux durant l’intersaison, selon lui.

Dans ses mots, le fil conducteur entre chaque festival signé Multicolore est défini par « une expérience sociale immersive avec un edge ». Ce edge pourrait bien être le petit je-ne-sais-quoi à la Montréal qui donne envie aux touristes de faire la fête comme un local, même en février ou en octobre : « notre crowd très chaleureuse et très ouverte! Ceux qui veulent voir comment les gens font la fête à Montréal, ils viennent au Piknic Electronik ou à Igloofest. »

C’est donc dire que l’objectif premier des festivals qui occupent un nouveau créneau comme Palomosa est de séduire les résidents et que l’intérêt de ceux-ci attirera par la suite les touristes.

« Il faut créer quelque chose à l’intention des gens d’ici et que ça marche ici avant que ça lève auprès des étrangers, confirme Nicolas Cournoyer. On doit bâtir des milieux de vie pour notre monde et ensuite ça devient intéressant pour les visiteurs. »

La tactique est avérée puisque l’attraction touristique générée par le Piknic Electronik et Igloofest se fait aujourd’hui bel et bien sentir d’un point de vue de retombées économiques. En effet, parmi les 118 000 visiteurs qui ont bravé le froid dans le Vieux-Port pour l’édition 2024 d’Igloofest, 25 % étaient des touristes et excursionnistes, générant quelque 20 000 nuitées dans les hôtels de la métropole.

Du côté du Piknic Electronik, un record de 224 000 mélomanes se sont dirigés au parc Jean-Drapeau pour la saison 2023. De ce nombre, 20 % étaient des touristes et des excursionnistes, générant un total de 11 000 nuitées à Montréal.

Au-delà des hôteliers, l’impact se fait ressentir par plusieurs acteurs de l’industrie. Le Casino de Montréal, dont la terrasse Le jardin offre une programmation musicale complémentaire aux festivals du parc Jean-Drapeau lors des soirées d’été, accueille favorablement la venue d’un nouvel événement en septembre : « Les événements qui ont lieu au parc Jean-Drapeau génèrent effectivement une affluence supplémentaire au Casino, partage Renaud Dugas, porte-parole du Casino. Loto-Québec voit d’un bon œil toutes les initiatives qui visent à améliorer l’offre touristique de la région de Montréal. »

Maintenant que Multicolore fait danser les résidents et les touristes toute l’année durant sur trois continents, quelle étape reste-t-il à franchir?

« Il faudra garder l’œil ouvert au cours des prochains jours! », lance tout sourire Nicolas Cournoyer.

À suivre!