Le patrimoine, ça change quoi au tourisme ?
Compte rendu du débat public tenu le 3 juin 2016.
Du 3 au 8 juin s’est tenu le 3e congrès de l’Association of Critical Heritage Studies sous le thème « Le patrimoine, ça change quoi ? » / « What does heritage change ? ». La Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM et sa titulaire, la professeure Lucie K. Morisset, en collaboration avec l’Université Concordia et le Centre d’histoire orale, a accueilli près de 800 congressistes de 51 pays.
Devant un auditoire attentif, à guichet fermé, un débat public a ouvert les activités du congrès sur le thème : Le patrimoine, ça change quoi au tourisme ? Ce débat voulait dépasser les idées reçues voulant que le tourisme soit essentiellement un agent corrupteur du patrimoine.
Le débat s’est ouvert par un court énoncé du point de vue de chacun des 4 panelistes invités : Craig Bennett (Bennett Preservation Engereering, Charleston, South Carolina), David Mendel (Mendel Tours, Québec), Pierre Mathieu (Explorateurs Voyages, Montréal) et France Lessard (France Lessard, stratégiste en tourisme, Québec).
L’animation du débat a été assurée par Martine Lizotte (directrice de l’École internationale d’hôtellerie et tourisme, Collège Lasalle, Montréal).
Voici sommairement l’essentiel des idées et points de vue échangés lors de ce débat :
- Le patrimoine constitue sans conteste un produit d’appel pour les destinations touristiques comme Québec et Charleston, et un argument de vente indéniable pour les agences de voyage afin d’intéresser les voyageurs à explorer des destinations lointaines. Une reconnaissance de l’UNESCO est une valeur ajoutée inestimable
- Le tourisme profite aussi au patrimoine en devenant une source de fierté locale, d’emplois et de revenus non négligeables pour les équipements culturels et pour les destinations. Plusieurs ont réinvesti ces revenus dans la protection et la mise en valeur de leur patrimoine bâti, comme on peut l’observer à Québec et Charleston dont l’état du patrimoine construit s’est nettement amélioré au fil des quarante dernières années
- Le tourisme et les communications entourant le domaine du voyage a aussi eu pour effet d’attirer l’attention de publics de plus en plus larges sur les destinations et leurs composantes patrimoniales les plus remarquables. Cette attention a pour effet pervers de créer une pression importante, parfois insoutenable comme on le constate à Venise
- Heureusement, on observe une évolution chez les visiteurs, qui sont de plus en plus sensibilisés et conscients de l’impact créé par leur présence et leurs comportements. L’industrie touristique a d’ailleurs une responsabilité d’éducation auprès de leurs clientèles, mais cette responsabilité revient en premier lieu aux populations et aux décideurs locaux
- La recherche d’une optimisation toujours plus grande des profits touche aussi l’économie du tourisme, et ce, de diverses façons :
- La recherche d’une plus-value rapide sur les investissements immobiliers a pour impact de mettre en danger les immeubles patrimoniaux localisés dans les centres–villes les plus actifs, comme on l’observe à Charleston. Suivre la piste de l’argent permet souvent de comprendre le déplacement des populations locales, la destruction complète ou partielle du bâti ancien et les modifications au zonage qui risquent de transformer le profil de quartiers urbains entiers.
- Les panelistes constatent la difficulté pour les organismes responsables du patrimoine de trouver des façons de « monétiser » le patrimoine et de récolter une partie des dépenses touristiques liées à l’attractivité des attraits de cette catégorie. Des acteurs plus agiles, souvent des entrepreneurs d’affaires aguerris, réussissent quant à eux, à récolter, sans partage, certains iraient même jusqu’à dire sans scrupule, une importante partie des recettes des activités provenant du tourisme patrimonial.
- La concentration de plus en plus grande des actifs tant chez les grands groupes hôteliers (ex. fusion récente de Starwood et Marriott), que chez les agences en ligne (ex. domination de Priceline et Expedia) ou les grands influenceurs (ex. 76% de la croissance de la publicité se réalise au profit de Google et Facebook) impliquent à la fois une forte concurrence pour les acteurs touristiques indépendants et de moins grande taille, une influence grandissante sur les décisions et les décideurs à l’échelle des régions et localités et le risque potentiel d’une certaine uniformisation du paysage touristique.
- Heureusement, et si les responsables de la sauvegarde des patrimoines (bâtis, naturels, immatériels) savent faire preuve de créativité et composer avec les besoins et attentes des nouvelles générations, on peut aussi espérer :
- Que la recherche de la nouveauté permette d’orienter les visiteurs hors des sentiers battus, vers des ensembles et composantes du patrimoine moins connus, réduisant d’autant la pression du tourisme de masse sur un nombre de sites restreints (ex. Visite «alternative» du Japon sans nécessairement y inclure Kyoto)
- Que les patrimoines dont la survie dépend d’une population restreinte (ex. patrimoine religieux) trouvent de nouvelles façons d’entrer en contact avec des clientèles plus larges que celles déjà convaincues
- Que le patrimoine rural trouvent des vocations nouvelles et complémentaires aux atouts existants (paysage, nature, productions locales) pour créer une force d’attraction permettant non seulement de les protéger mais aussi de revitaliser des coins de pays souvent en déclin démographique et économique
- Que des formules nouvelles soient inventées pour encourager un tourisme plus responsable et dont les effets positifs sont mieux répartis sur le territoire et parmi les acteurs producteurs de l’offre touristique.
Le débat s’est conclu sur la nécessité d’un dialogue continu entre les acteurs du tourisme et du patrimoine pour produire de nouvelles avenues de collaboration. Une meilleure connaissance du fonctionnement de l’industrie touristique de la part des gestionnaires du patrimoine, telle la création d’une offre plus diversifiée pour mieux répartir à la fois l’achalandage et les retombées économiques générées par les visiteurs, semblent des voies à explorer conjointement dans un avenir rapproché.
Source ou collaboration : France Lessard, Michel Archambault et Martine Lizotte
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