25 millions de moins dans les poches des Québécois
La pensée profonde du ministère du Tourisme (MTO) a de quoi couper le souffle de son industrie et de ses intervenants. Pour relancer l’économie touristique, la Ministre envisage de prendre le contrôle de la taxe sur l’hébergement (TSH), de la hausser et l’uniformiser et de paramétrer son utilisation, plutôt que de respecter l’autonomie des régions. Et qui paiera en fin de compte… le contribuable québécois!
La proposition présentée à certaines associations touristiques régionales (ATR) dans le cadre de consultations ciblées (mais sans leur permettre de conserver le document de travail… plus pratique qu’il n’y ait pas de trace pour permettre ensuite de prétendre que tout ça ne sont que des rumeurs!) laisse entrevoir une augmentation de la TSH à 3,5%, qui de plus sera universelle et ne relèvera plus de l’accord des établissements d’hébergement pour sa mise en application. On y assujettira maintenant les campings (site journalier) et les résidences étudiantes (location court terme). Cette modification imposée permettrait de générer +/- 18 M$ supplémentaires qui s’ajouteront au 49 M$ actuellement générés par la TSH.
Le scénario prévoit que la portion de la TSH qui est actuellement utilisée pour la promotion des régions touristiques auprès de la clientèle québécoise serait toujours transférée aux ATR qui conserveraient ce mandat. On parle ici de +/- 15 M$ sur les 49 M$ de TSH actuel.
Le MTO prendrait le contrôle de la portion de la TSH dédiée à la promotion sur les marchés hors-Québec. Les 25 M$ ainsi rapatriés par celui-ci seraient jumelés à leurs budgets marketing (qui dispose déjà de 25 M$) pour créer un fonds de promotion hors-Québec centralisé. Les régions qui souhaitent faire la promotion de leur région, seules ou en alliances, devront déposer des demandes qu’un comité (composé d’on ne sait qui!) analysera! Pensez-vous que ces sommes reviendront en région? Poser la question, c’est y répondre! Les grands vizirs du MTO veulent nous faire croire que chacune des régions, en se positionnant par projets, pourra recevoir leur dû, sans promettre que le soutien sera à la hauteur des fonds provenant de la TSH collectée dans leurs régions. On veut faire du mur-à-mur pour l’ensemble du territoire, alors que les particularités régionales sont pourtant bien connues. En résumé, on veut faire de l’ingérence, alors que la démonstration de résultats des actions du MTO est bien questionnable depuis des années. Les nombreux départs à la retraite ont créé un grand vide sur l’expertise cumulée.
Tout ce changement, dans le but avoué de donner au MTO le contrôle sur 25 M$ de plus pour la promotion alors qu’il a déjà un budget du même ordre de grandeur et que ses façons de faire du marketing et les coûts qu’il encoure sont bien discutables. Et on ne parlera pas des résultats. Tout le monde de l’industrie reconnait que c’est d’une tristesse inouïe. Et que le marketing de la destination serait bien mieux servi par une entité non gouvernementale (agence) composée de spécialistes du marketing, alors que cela est impossible à atteindre dans un ministère qui doit se plier à un nombre de règles incalculables pour l’engagement de permanents, mais dont l’expertise n’est pas démontrée.
Ça, c’est pour les sommes déjà disponibles avec la TSH actuelle. Et les fruits de la hausse… À quoi serviront les 18 M$ supplémentaires ponctionnés à même l’économie touristique des régions? Eh bien il servira à mettre sur pied un fonds de développement de l’offre qui permettra de subventionner des projets touristiques, avec une préférence pour les portes d’entrée que sont Montréal et Québec, alors que les deux grandes villes n’auront pas contribué à ce fonds! Pourquoi cela ne coûtera rien à Montréal? Parce la TSH est déjà à 3,5%! Pour sa part, la région de Québec perçoit déjà une TSH de 3%. Sa contribution sera donc minime.
Donc, en plus de priver les régions de la gestion de 25 M$ dédiés à la promotion, on va en plus délester l’industrie EN RÉGION de 15 M$ supplémentaires annuellement, des fonds provenant de la hausse de la TSH, donc majoritairement pris dans les poches de voyageurs québécois. Car rappelons qu’en région, les principaux contributeurs à la TSH, ce sont les touristes québécois puisqu’ils représentent près de 90% de la clientèle dans plusieurs régions.
Par surcroît, alors qu’on apprend que les nouveaux fonds provenant de la TSH majorée et uniformisée iront dans un fonds centralisé et contrôlé par le MTO, on annonce aux ATR que le programme d’entente de partenariat régionale en tourisme (EPRT) ne sera pas renouvelé. Les EPRT sont des outils de développement de l’offre touristique régionale qui structurent des enveloppes financières régionales composées chacune des contributions du ministère du Tourisme, des ATR et d’autres partenaires, dans le but de soutenir financièrement des projets touristiques. Les ATR ont la responsabilité de la mise en oeuvre dans leur région respective, et leur adhésion est sur une base volontaire. Tourisme Québec apparie les sommes (provenant de la TSH) que les ATR souhaitent investir, et ce, avec les 19 ATR signataires. En 2013-2014, la part de Tourisme Québec dans le soutien financier annoncé pour 167 projets touristiques dans les régions est de 3,2 M$. Ces projets sont associés à des investissements totaux de 132,3 M$. Avec la centralisation des fonds de la TSH, c’est quelque 3 M$ qui sont donc soustraits du développement des régions, décidé par les régions, et dans lequel lesdites régions (avec les CRÉ et CLD et d’autres ministères comme la Culture et Communications) investissaient de 3 à 6 M$ additionnels via des comités régionaux, et dont l’effet de levier atteignait 16 pour 1.
La proposition de révision du modèle d’affaires qui a été présentée en consultation ciblée compromet l’autonomie des régions et laisse planer un doute injustifié sur l’efficacité des ATR. Rappelons que les ATR s’astreignent à une reddition de compte amplement détaillée. En 2006, on est passé d’un rapport de 2 pages à un document de plus de 40 pages qui met en lumière les sources des revenus monétaires et les engagements financiers. Du côté du Ministère, par toute sorte d’entourloupettes de gestionnaires, pas moyen d’avoir un rapport clair sur une ou deux pages. Combien de gens au Ministère ont pris connaissance et compris les redditions de comptes et posé les questions qui s’imposaient? Bien trop peu.
Notre conclusion : Le navire du Ministère navigue à vue dans le brouillard, sans boussole ni radar. La grande majorité des ATR ont un plan stratégique triennal et un plan d’action annuel de marketing et de promotion. Alors, avant que la flottille des ATR ne se décide à appuyer et embarquer dans la même direction que son ministère, un plan radar complet devra être présenté et approuvé, tout en reconnaissant et respectant chaque partie, de ce qui lui incombe comme responsabilités et comme moyens et objectifs. Pas très compliqué à tracer : le Ministère, ou plutôt l’agence tant souhaitée, vend la destination, et les ATR vendent les produits. Pas sorcier : simple et chacun dans son rôle. Pourquoi vouloir mettre la main sur l’argent des ATR destiné à l’international?
Est-ce que les régions doivent souffrir à nouveau par une ponction de 25 M$ de fonds régionaux et par une réduction de leur autonomie? Plus de 65% de l’argent de l’actuelle TSH est à Montréal et Québec. Pourtant ce ne sont pas ces régions qui seront les plus malmenées. Y a-t-il un Québec des régions, ou deux villes centres et le reste…
Benoit Gauthier
Président du conseil d’administration de Tourisme Mauricie
André Nollet
Directeur général de Tourisme Mauricie
Source : Tourisme Mauricie
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