Le marketing d’influence a pris une place incontournable dans l’industrie touristique au cours de la dernière décennie. Qu’il s’agisse d’un créateur de contenu local ou d’une star internationale d’Instagram, les influenceurs humains sont devenus des partenaires clés pour faire rayonner une destination, un hôtel ou une expérience.
En juin, la ville de Québec recevait d’ailleurs plus de 350 créateurs de contenu dans le cadre de l’événement phare TBEX (Travel Blogger Exchange), dont plusieurs ont profité de l’occasion pour séjourner avant et/ou après dans diverses régions touristiques de la province.
Mais depuis quelque temps, une nouvelle catégorie bouscule les codes : les influenceurs virtuels générés par intelligence artificielle. Faut-il y voir une révolution prometteuse ou une tendance éphémère qui risque de miner la confiance des voyageurs?
De quoi parle-t-on exactement?
Les « influenceurs IA » ou « avatars virtuels » sont des personnages créés de toutes pièces par ordinateur, animés par des algorithmes et nourris au contenu génératif. Contrairement à un porte-parole ou à un photographe en chair et en os, ces figures ne voyagent pas réellement, mais peuvent être mises en scène dans n’importe quel décor grâce aux technologies de rendu 3D et à l’IA générative.

Des noms comme Lil Miquela aux États-Unis (Plus de 2M d’abonnés sur Instagram) ou Imma au Japon (avec près de 390k abonnés) comptent déjà des millions d’abonnés. Dans le milieu touristique, la Bretagne a lancé Anne Kerdi, ambassadrice virtuelle destinée à promouvoir sa région. Depuis, on a vu l’office de tourisme de l’Allemagne tenter l’expérience avec Emma, non sans provoquer un débat musclé dans l’opinion publique dès son lancement à l’automne 2024.

On aurait toutefois tort de croire que ces influenceuses IA ne sont utilisées que pour faire la promotion de destinations. On a vu la ligne aérienne Qatar Airways lancer sa porte-parole Sama, propulsée à l’IA, que l’on peut suivre sur Instagram @SamaOnTheMove (avec plus de 185k abonnés, tout de même!).
Le voyagiste TUI s’est également lancé dans la mêlée avec une ambassadrice, Lena, faisant la promotion de destinations et forfaits proposés auprès de la clientèle belge et hollandaise sur les médias sociaux. Une annonce qui, elle aussi, n’avait pas fait l’unanimité au moment de son dévoilement…
Pourquoi ça séduit
Mettre de l’avant un ou une influenceuse créée par l’IA offre bien sûr quelques avantages indéniables. Pensons notamment à :
1. Un contrôle total
Les destinations et marques peuvent contrôler chaque aspect : l’apparence, le ton, le calendrier de publication. Pas de risque de dérapage dans une story Instagram après une soirée trop arrosée. Ou pas de scandale si le porte-parole l’échappe dans sa vie privée, par exemple…
2. Des coûts potentiellement réduits
Plus besoin de payer billets d’avion, hôtels, per diem. Une influenceuse IA peut « visiter » dix pays dans la même journée sans quitter son disque dur. Et il fera toujours beau lors de la journée de tournage !
3. Une constance et une disponibilité sans faille
Pas de maladie, pas de conflits d’horaire : l’avatar virtuel est disponible 24/7 pour incarner une marque. Pensez Barbie et Ken, quoi! (OK, je sors)
4. Une image innovante
Se positionner comme pionnier dans l’utilisation de l’IA peut envoyer un message fort : celui d’une destination tournée vers l’avenir et la créativité numérique.
Les zones d’ombre
S’il y a des avantages, ne soyons pas dupes : il y a également plusieurs côtés moins positifs. En voici au moins cinq.
Authenticité en question
Le voyage est par essence une expérience humaine, sensorielle, faite de rencontres et d’imprévus. Un avatar qui « pose » devant les chutes Montmorency ou qui « déguste » une poutine à Montréal ne risque-t-il pas de sonner creux? C’est sans contredit le talon d’Achille le plus évident et le plus fort de cette tactique.
La confiance du public
Des études récentes montrent que si la curiosité est forte, la confiance envers les influenceurs virtuels reste fragile. Déjà que les influenceurs réels ont parfois mauvaise presse, imaginez avec un avatar créé de toute pièce. Les générations plus jeunes sont ouvertes à l’innovation, mais valorisent aussi l’authenticité et le vécu. Bref, il y a enjeu potentiel ici.
Transparence et réglementation
Devra-t-on préciser clairement qu’il s’agit d’une création artificielle? Comment gérer la frontière entre publicité et contenu éditorial quand l’avatar n’a, au fond, jamais mis les pieds sur le terrain? Ceci étant dit, la plupart des influenceurs IA l’affichent dès leur profil et ne cachent pas cette réalité, contrairement à certains influenceurs bien réels qui ne dévoilent pas toujours leur collaboration commerciale ou rémunérée.
L’effet d’éviction
Investir dans des influenceuses IA, est-ce priver de contrats les créateurs de contenu humains, souvent ancrés dans leur territoire et capables de faire vivre une destination par leurs histoires personnelles? C’est une question bien réelle qui a d’ailleurs suscité de multiples conversations dans des groupes Linkedin et Facebook, croyez-moi!
Un look stéréotypé
Un dernier élément à mentionner, et non le moindre. Avez-vous remarqué que dans la liste des influenceurs IA évoqués plus haut, ce sont tous… des femmes? Et on va se le dire, des femmes qui ont toutes le physique de l’emploi, si je peux ainsi dire, ou plutôt un physique classique, bien stéréotypé.
Ce fut d’ailleurs une discussion controversée l’année dernière lors des Rencontres institutionnelles du e-tourisme à Pau, quand le créateur d’Anne Kerdi a tenté de justifier cet aspect à un parterre de professionnelles qui sont demeurées dubitatives devant ses arguments.
Et au Québec?
Imaginer une influenceuse virtuelle pour promouvoir le Vieux-Québec en hiver ou les baleines du Saint-Laurent n’est pas farfelu. Avec la montée des outils d’IA générative accessibles, plusieurs offices de tourisme pourraient être tentés d’expérimenter.
Mais la question demeure : la clientèle viendrait-elle encore « vivre une expérience authentique » si la première impression en ligne a été façonnée par un avatar qui n’a jamais ressenti le froid de janvier ou le vertige que l’on ressent du haut de l’Acropole des Draveurs, dans Charlevoix?
Entre innovation et prudence
L’avenir des influenceurs IA dans le tourisme n’est pas écrit. D’un côté, leur potentiel de créativité et d’économie attire. De l’autre, l’authenticité, valeur cardinale du voyage, semble difficile à concilier avec une identité générée de toutes pièces.
Plutôt que d’opposer les deux, une voie médiane pourrait émerger :
- Des campagnes hybrides où des influenceurs humains collaborent avec des avatars;
- L’utilisation d’avatars pour des contenus pédagogiques ou ludiques (explications historiques, expériences immersives);
- La transparence totale pour éviter le piège de la tromperie.
Alors, bonne idée ou pas?