«Le tourisme atteint des sommets au Québec», vrai ou faux ?

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Éric FournierLes médias nationaux se sont intéressés à la performance de l'industrie touristique québécoise au cours des deux dernières semaines. Bonne nouvelle si l'on considère l'importance de notre industrie dans l'économie québécoise.

Toutefois, force est de constater que deux visions semblent s'opposer. La première est plus pragmatique et reste prudente face aux enjeux de notre industrie. Elle met en évidence nos besoins de changement face à la stagnation de notre performance sur certains marchés et notre forte décroissance sur les marchés américains.

La deuxième est beaucoup plus enthousiaste et avançait la semaine dernière que le Québec touristique connait des sommets inégalés.

Qu'en est-il vraiment?

D'entrée de jeu
En tourisme, la performance d'une destination s'évalue à l'échelle mondiale par son nombre de visiteurs. De façon plus pointue, le nombre de visiteurs d'une destination est le total du nombre de touristes plus le nombre d'excursionnistes.

Mont-TremblantQu'est-ce qu'un excursionniste?
Un excursionniste est, de façon pratique, une personne qui réalise un voyage de moins de 24 heures sans utiliser d'hébergement.

Avant 2005…
Au Québec, Tourisme Québec considérait, avant 2005, comme un excursionniste un individu qui se déplaçait d'au moins 80 km pour réaliser son voyage.

Ainsi, quelqu'un qui habitait Bromont où Saint-Adèle et qui se déplaçait à Montréal (ou l'inverse) pour des fins d'agrément était réputé comme un excursionniste et était, par conséquent, comptabilisé comme un visiteur pour la région de Montréal et le Québec touristique.

À partir de 2006…
Tourisme Québec a modifié la définition d'un excursionniste en 2005 (la date exacte est à valider), en réduisant à 40 km, donc de moitié, son rayon de déplacement.

Cette modification a eu un impact extrêmement important, notamment dans les deux régions métropolitaines du Québec.

Ainsi, et à titre d'exemple, quelqu'un de Saint-Jean-sur-Richelieu, Repentigny ou Blainville est maintenant réputé comme excursionniste lors de ses déplacements vers Montréal (où l'inverse).

Les impacts
Il va sans dire que cette modification de définition a eu un impact considérable au niveau du nombre d'excursionnistes au Québec (du moins théoriquement) et conséquemment du nombre total de visiteurs comptabilisé par Tourisme Québec pour évaluer la performance de notre destination.

Le rayon de déplacement d'un excursionniste varie selon les destinations. Par exemple, en France, il est de 100 km.

Un exemple
Si l'on consulte Le tourisme au Québec en bref 2004 publié par Tourisme Québec pour l'année 2004, les données sont les suivantes :

— Touristes : 28 344 000
— Excursionnistes : 25 565 000
— Visiteurs (total) : 53 909 000

Si l'on consulte Les plus récentes données sur le tourisme au Québec publié par Tourisme Québec, les données de 2013 sont les suivantes :

— Touristes : 29 407 000
— Excursionnistes : 60 256 000
— Visiteurs (total) : 89 664 000

Il devient évident de constater qu'entre 2004 et 2013, soit sur une période de 9 ans, le nombre de touristes au Québec a progressé de 3.7 % (1 063 000 touristes) soit 1/3 de 1 % par an.

En revanche, le nombre d'excursionnistes est passé, durant la même période, de 25.5 M à plus de 60 M, soit une progression de 136 %.

Cette formidable, mais théorique, progression est majoritairement due à la modification de la définition d'un excursionniste dans la méthodologie utilisée.

De fait, malgré ces nouvelles données aucune clientèle supplémentaire (du moins de façon significative) n'a, par exemple, fréquenté nos restaurants ou nos entreprises touristiques.

L'impact de cette croissance (artificielle) du nombre d'excursionnistes vient ainsi et conséquemment propulser vers l'avant le nombre de visiteurs au Québec.

Quelles conclusions en tirer
Cette façon de présenter la performance de notre industrie, sans expliquer les nouvelles nuances, a tendance à induire les gens en erreur et laisser croire aux personnes intéressées que l'industrie touristique se porte bien alors que dans les faits la situation est bien différente.

Est-ce une mauvaise compréhension de la lecture de notre performance touristique ou une documentation qui a été mal analysée?

La question se pose…


Collaboration spéciale, Éric Fournier